Emlyon – Tawhid Chtioui : insou­mis ou erreur de casting ?

Deux lectures s’opposent après le départ de Tawhid Chtioui, neuf mois seulement après sa prise de fonction à la tête d’Emlyon. Pour ses soutiens, il a payé le fait de ne pas être aux ordres de ceux qui l’ont mis en place. Pour ses détracteurs, le costume était trop grand pour lui.
Photo Susie Waroude

« Ce qui est sûr, c’est que ça n’a pas duré long­temps. » Passé cette remarque – que tout le monde approuve – de Bernard Belle­tante sur la durée du mandat de son succes­seur, les visions divergent pour analy­ser la démis­sion de Tawhid Chtioui, neuf mois seule­ment après sa nomi­na­tion à la prési­dence du direc­toire et à la direc­tion géné­rale d’Emlyon. Un départ surprise, offi­ciel­le­ment enté­riné le 6 janvier, ponc­tué d’une stan­ding ovation de plusieurs minutes des sala­riés de l’école de mana­ge­ment pour le jeune direc­teur (42 ans). En peu de temps, Tawhid Chtioui – qui ne souhaite pas prendre la parole publique­ment – a réussi à « renouer le dialogue social et à remo­bi­li­ser les troupes » selon les mots d’un profes­seur de longue date de l’école de mana­ge­ment. Après une prési­dence Belle­tante parfois quali­fiée « d’au­to­ri­taire » et marquée par un déve­lop­pe­ment à marche forcée, notam­ment à l’in­ter­na­tio­nal, le discours de Tawhid Chtioui, très axé sur la péda­go­gie et l’en­ga­ge­ment socié­tal, passait bien auprès d’équipes internes éprou­vées.

Contre­pied 

Mais, alors même que l’école de commerce retrou­vait une forme d’apai­se­ment, l’air deve­nait peu à peu irres­pi­rable dans ses hautes sphères. Entre, d’un côté Tawhid Chtioui, et de l’autre ceux qui l’ont porté à la direc­tion de l’école : Bernard Belle­tante, le président du conseil de surveillance Bruno Bonnell et, dans une moindre mesure, le président de la CCI Lyon-Métro­pole Emma­nuel Imber­ton.

Bernard Belle­tante, Bruno Bonnell et Emma­nuel Imber­ton

Les premières tensions appa­raissent très vite, quelques semaines seule­ment après la prise de fonc­tion de Tawhid Chtioui. Et ses premières déci­sions prises en solo. «  Bernard Belle­tante et Bruno Bonnell ont sans doute cru que Tawhid Chtioui serait leur vassal, dès lors qu’ils avaient validé son recru- tement. Mais c’est un homme libre  », analyse une fine connais­sance des réseaux éduca­tifs lyon­nais. «  Avec Tawhid Chitoui, on a décou­vert une person­na­lité bicé­phale. Quand il est arrivé à Lyon, on le croyait aligné sur Bernard Belle­tante et Bruno Bonnell. Et, à peine dési­gné comme direc­teur géné­ral, il a pris leur contre­pied sur plusieurs sujets. Ils ont vite senti que leur créa­ture leur échap­pait  », complète, en off, un profes­seur de l’école.

Les sujets de discorde ne manquent pas. À commen­cer par « LE » dossier stra­té­gique de l’ar­ri­vée d’un inves­tis­seur privé au capi­tal de l’école. Bruno Bonnell privi­lé­giait le fonds Eura­zeo, tandis que Tawhid Chtioui mili­tait pour Qualium Inves­tis­se­ment allié à Bpifrance – l’op­tion qui a finale- ment été rete­nue. Le rapa­trie­ment sur le campus d’Écully, pour raison budgé­taire, des équipes d’Emlyon instal­lées dans un immeuble de La Part-Dieu par Bernard Belle­tante, qui enten­dait ainsi recon­nec­ter l’école à Lyon, a égale­ment été source de désac­cords. 

Problèmes d’hommes

Pour marquer leur oppo­si­tion, Bruno Bonnell puis Bernard Belle­tante (qui était en charge du projet de Campus à Gerland) ont succes­si­ve­ment quitté leurs fonc­tions en fin d’an­née dernière. «  Mais il ne faut pas méses­ti­mer leurs pouvoirs de nuisance même après leurs départs. Sans comp­ter que Tawhid Chtioui n’a pas de réseau à Lyon. Il s’est retrouvé isolé.  »

C’est dans ce contexte déjà compliqué que les rela­tions se sont ensuite rafraî­chies avec l’ac­tion­naire Qualium, condui­sant au départ devenu inéluc­table de Tawhid Chtioui. « Il y a eu une tran­si­tion mana­gé­riale qui a été mal assu­rée. Bernard Belle­tante a souhaité prendre du recul en 2018 et nous a dit : j’ai une solu­tion, c’est Tawhid Chtioui. Nous l’avons rencon­tré, audi­tionné et, collec­ti­ve­ment, nous l’avons nommé à la direc­tion. Mais le rôle de premier de cordée n’est pas toujours simple, surtout quand il y a de nouveaux équi­libres à trou­ver », commente Emma­nuel Imber­ton.

« On a fait une erreur de casting, c’est évident. Ça n’a pas fonc­tionné et ça a été un problème d’hommes au pluriel », abonde Bernard Belle­tante. Quant à Bruno Bonnell, il sort carré­ment la sulfa­teuse : « Il avait une vision solide pour Emlyon, mais son exécu­tion a été exécrable. Diri­ger une école aussi complexe, ce n’est pas dire “j’ai raison contre tout le monde”. Résul­tat, il a eu ce qu’il mérite et il doit assu­mer. Le chal­lenge était un peu élevé pour lui. Le mieux est qu’il retourne gérer une petite école comme il le faisait aupa­ra­vant. »

Par Vincent Lonchampt et Jean-Pierre Vacher

Les Faits :

AVRIL 2019 

Alors direc­teur géné­ral d’Em­lyon Afrique,Tawhid Chtioui est nommé président du direc­toire et direc­teur géné­ral de l’école. « Je défends le même projet que Bernard Belle­tante mais j’em­prun­te­rai des chemins diffé­rents. Je pense que je consa­cre­rai beau­coup plus de temps aux équipes  », affirme-t-il d’em­blée. 

SEPT. 2019 

Dans la foulée de l’en­trée au capi­tal de Qualium Inves­tis­se­ment,Bruno Bonnell quitte ses fonc­tions de président du conseil de surveillance. Et lance un message clair à Tawhid Chtioui : « Atten­tion à ne pas brusquer Emlyon. » 

OCT. 2019 

Bernard Belle­tante quitte à son tour Emlyon. Président de l’école pendant cinq ans, il était en charge du projet de démé­na­ge­ment d’Em­lyon sur son nouveau campus de Gerland, prévu en 2022. 

6 JANV. 2020 

Le départ de Tawhid Chitoui est offi­cia­lisé. Tugrul Atamer (photo), membre du direc­toire, est nommé à la prési­dence par inté­rim.

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