Laurent Abit­bol : l’im­pe­ra­tor du voyage

Le numéro un du voyage en France est un patron couche-tôt et discret. En vingt ans à la tête du groupe Marietton, cet ancien CRS, fan d’Enrico Macias, a transformé la modeste affaire familiale en véritable mastodonte du tourisme. Accro au travail, Laurent Abitbol est à la fois admiré et jalousé. Et unanimement reconnu pour sons sens « naturel » des affaires.

Ce 17 janvier au matin, Laurent Abit­bol est un homme en colère. « Comment ont-ils osé ? », tempête-t-il devant son café pris chez Jocteur, au cœur des Halles Paul Bocuse. Et de tran­cher : « C’est décidé, je n’achè­te­rai plus un seul pneu Miche­lin ! Terminé ! C’est une honte ! » L’objet de ce cour­roux mati­nal : l’an­nonce, quelques heures plus tôt, du déclas­se­ment du restau­rant Bocuse de trois à deux maca­rons. Une déci­sion qui le touche au cœur : l’Au­berge de Collonges fait office de cantine pour Laurent Abit­bol.

C’est notam­ment à cette table qu’il prend toutes les déci­sions impor­tantes concer­nant son groupe Mariet­ton Déve­lop­pe­ment, un véri­table empire du voyage de 1 800 sala­riés, qui réalise 1,6 milliard d’eu­ros de chiffre d’af­faires par an. Son plus gros coup, l’ac­qui­si­tion du géant Havas Voyages, fin 2015, s’est d’ailleurs décidé grâce à une cuisse de poulet chez Monsieur Paul. 

Trou­vant objec­ti­ve­ment autant d’ar­gu­ments « pour » que « contre » ce rachat (Paris venait d’être frappé par les atten­tats du 13 novembre, ce qui allait impac­ter le tourisme), il est alors allé déjeu­ner seul pour tran­cher. « J’adore le poulet et je me suis dit : « Si on me sert la cuisse en premier, j’achète. Si on me sert d’abord l’aile, je n’achète pas. » Et on m’a apporté la cuisse en premier. Je suis très super­sti­tieux, et il me fallait quelque chose d’ir­ra­tion­nel pour tran­cher. » La signa­ture défi­ni­tive obte­nue le 31 décembre 2015, le groupe Mariet­ton est passé, en quelques heures, du statut d’en­tre­prise régio­nale à celui de groupe connu dans le monde entier. « Ce rachat a changé ma vie », raconte-t-il.

« Ma stra­té­gie, c’est la non stra­té­gie. Je fonc­tionne à l’ins­tinct »

Laurent Abit­bol devient, par la même occa­sion, un homme fort du secteur. Et si l’homme Abit­bol est un fin gour­met, le diri­geant Abit­bol est carré­ment un glou­ton. De 2007 à 2020, il a procédé à plus d’une ving­taine d’ac­qui­si­tions : Carre­four Voyages, Ailleurs Voyages, OL Voyages… Il avale tout sur son passage. Le mois dernier encore, Mariet­ton a mis la main sur le groupe Bleu Voyages (275 sala­riés) installé à Rive-de-Gier. « C’est un incroyable oppor­tu­niste, dans le bon sens du terme  », commente Jean-Pierre Mas, le patron des Entre­prises du Voyage, qui fédère près de 2 000 acteurs du marché. « C’est un décom­plexé, il n’a peur de rien », reprend René-Marc Chikli, le président du Seto, le syndi­cat des tour-opéra­teurs français. « Une sorte de Bernard Tapie du voyage », complète, en off, un autre commen­ta­teur. 

Photo : Marie-Eve Brouet

La méthode Abit­bol ? « Ma stra­té­gie, c’est la non-stra­té­gie. Je fonc­tionne à l’ins­tinct », jure-t-il. Ceux qui le côtoient décrivent unani­me­ment un homme d’af­faires « au flair hors pair » et un intui­tif « génial ». « C’est un entre­pre­neur extrê­me­ment talen­tueux », nous confie ainsi son ami Jean-Michel Aulas, avec qui « Laurent » part l’été à Saint-Tropez. Le patron de l’OL décrit un homme « bien­veillant et avenant », et salue « une trajec­toire remarquable » jalon­née de quelques coups de maître. La prise de Havas Voyages, bien sûr, mais aussi le rachat à prix cassé d’un avion Boeing 735–500 au lende­main des atten­tats du 11 septembre 2001. « Nous faisions à peine 20 millions d’eu­ros de chiffre d’af­faires à l’époque. Cette opéra­tion déci­dée en quelques heures nous a permis de casser les prix au départ de Lyon, de Nantes, de Marseille, etc. » Et, ainsi, de lancer véri­ta­ble­ment la dyna­mique de crois­sance du groupe Mariet­ton. Jusqu’à faire du diri­geant de 53 ans, aux allures de « monsieur tout le monde », le puis­sant numéro un français du tourisme, classé désor­mais dans le top 500 du maga­zine Chal­lenges des plus grandes fortunes du pays avec un patri­moine estimé à 120 millions d’eu­ros.

Sans filtre ni posture

Un chan­ge­ment de statut, évidem­ment, pour le discret Laurent Abit­bol. L’amou­reux de Lyon qui « peut se bala­der des heures dans le centre-ville » et déteste être loin de ses terres est désor­mais obligé de parta­ger sa semaine en deux. « Du lundi au jeudi, je suis pari­sien. Puis je reviens à Lyon ; mes racines. » Une vie pari­sienne que Laurent Abit­bol appré­cie néan­moins. L’homme au contact facile aime désor­mais fréquen­ter les stars du show­biz (lire plus bas). Il peut égale­ment faire valoir un impor­tant carnet d’adresses. Comme en témoigne, par exemple, la venue à deux reprises – dont l’an dernier à Jéru­sa­lem – de Nico­las Sarkozy, qu’il fréquente dans les loges du PSG, au congrès annuel de Selec­tour, un réseau qui chapeaute 1 200 agences de voyages et dont il est le président. « Invi­ter Sarkozy aurait pu passer comme une démarche très poli­tique. Si j’avais fait la même chose, on m’au­rait tapé dessus, assure René-Marc Chikli du Seto, qui lui aussi a occupé la prési­dence de Selec­tour. Mais avec Laurent, ça passe… Avec lui, tout passe. »

Et si ça « passe », juste­ment, c’est que Laurent Abit­bol est un ovni dans le monde des affaires. Un diri­geant sans filtre ni posture. « Il n’a aucun complexe. Quand il pense quelque chose, il l’af­firme sans se dire « je risque de passer pour un abruti si je dis ça ». Il ne cherche ni à briller ni à séduire. La réus­site ne l’a pas changé, il est resté quelqu’un de simple », expose ainsi le jour­na­liste Gérard Angel, qui le côtoie de longue date. « Il vit sur une autre planète », complète Jean-Pierre Mas

Travailleur acharné qui ne s’oc­troie que le samedi après-midi comme repos hebdo­ma­daire et explique s’ac­cor­der très peu de loisirs (« je n’ai pas le temps pour cela »), Laurent Abit­bol contrôle « son » monde du bout de son smart­phone, qu’il ne quitte jamais. Un SMS, un appel… « Laurent » répond dans la foulée. Pas d’or­di­na­teur. Pas ou peu d’emails. « J’ai besoin de voir les gens, de discu­ter avec eux », confirme l’in­té­ressé. Pas de costume non plus. Et très peu de soirées. « Je ne bois pas et n’aime pas les monda­ni­tés. Et j’ai un problème, je me couche tôt », balaie-t-il.

Ses plai­sirs : sa famille, qui tient évidem­ment une place primor­diale dans le groupe Mariet­ton. Son père et son oncle ont fondé l’af­faire fami­liale, et il est aujourd’­hui aux manettes aux côtés de ses deux frères. « La famille consti­tue vrai­ment le socle de Laurent. C’est quelqu’un de très protec­teur », confirme son frère Arnaud Abit­bol, le vice-président exécu­tif de Mariet­ton Déve­lop­pe­ment. Ses amis consti­tuent son autre pilier. « Il est du genre à passer un coup de fil alors qu’il est à l’autre bout du monde », confie ainsi un de ses amis de trente ans. « C’est quelqu’un de fidèle en amitié », abonde égale­ment Gérard Collomb, qui fait lui aussi partie de ses proches. « Il est joyeux et a une vision opti­miste de la vie… ainsi qu’un sens aigu des affaires », loue le maire de Lyon. 

Leur rencontre s’est faite par le biais de la poli­tique. Cela se sait peu, mais Laurent Abit­bol a figuré, au début des années 1 980, sur la liste de celui qui était alors candi­dat dans le 9e, l’ar­ron­dis­se­ment où est implan­tée l’en­tre­prise fami­liale. « Et depuis, nous sommes toujours restés amis », rapporte Gérard Collomb. Passionné de poli­tique, Laurent Abit­bol compte égale­ment Emma­nuel Hame­lin, le maire du 6e Pascal Blache ou encore le président du dépar­te­ment du Rhône Chris­tophe Guillo­teau parmi ses proches. « Il aurait aimé faire de la poli­tique. Et il a aujourd’­hui cette approche des chefs d’en­tre­prise qui se disent – à tort à mon avis – que s’il a réussi dans les affaires, il aurait réussi en poli­tique », pour­suit Gérard Angel.

Une posi­tion domi­nante 

Et si son poste de président du groupe fami­lial peut aujourd’­hui sembler comme une évidence, son destin n’était pour­tant pas tout tracé. Après des études à l’école de commu­ni­ca­tion lyon­naise Efap (il était dans la même promo­tion que la jour­na­liste Laurence Ferrari), celui qui a été CRS pendant son service mili­taire (photo ci-contre) pense d’abord deve­nir poli­cier. « Mais le salaire ne corres­pon­dait pas à mes attentes », confie-t-il. Il intègre alors le groupe Mariet­ton. Jusqu’à deve­nir un magnat du tourisme français, à la fois admiré et jalousé.

À mesure de son ascen­sion, l’em­pire Mariet­ton ne manque pas de faire grin­cer des dents dans la profes­sion. « Oui, il a une posi­tion domi­nante qui ne plaît pas à tout le monde », reprend René-Marc Chikli, le président du syndi­cat des tour-opéra­teurs français. En témoigne la récente bronca des sala­riés français du groupe TUI (Nouvelles Fron­tières, Club Marmara, etc.) en réponse à une rumeur de cession au groupe Mariet­ton. Immé­dia­te­ment, la branche CGT a rappelé la « ferme oppo­si­tion des sala­riés et de leurs repré­sen­tants à la vente de TUI France à qui que ce soit et encore moins à M. Abit­bol ». L’objet de la crainte : Laurent Abit­bol, qui se décrit comme un « gentil qui a horreur du conflit et n’aime pas licen­cier » a néan­moins l’image d’un « cost killer » dans le milieu. Et d’un diri­geant qui ne se laisse pas faire. 

Ainsi, le voya­giste breton Salaün (CA 2019 : 240 millions d’eu­ros), qui cherche à étof­fer son réseau d’agences en France, vient de préci­ser qu’il évitera soigneu­se­ment toute implan­ta­tion dans la région lyon­naise. De peur de se retrou­ver en fron­tal « avec la concur­rence Mariet­ton ». Une déci­sion sage, a priori. « Si quelqu’un vient l’ir­ri­ter sur ses bases lyon­naises, Laurent est capable de déclen­cher une guerre atomique », prévient René-Marc Chikli. Il est (aussi) comme ça Laurent Abit­bol

Par Pierre Ties­sen (avec Vincent Lonchampt)

Pourquoi il est admiré

– En 20 ans, il a fait du groupe Mariet­ton le premier voya­giste trico­lore 

– Sens natu­rel des affaires : il fonc­tionne à l’ins­tinct

– Fidèle en amitié et toujours dispo­nible pour son « clan »  

Pourquoi il est critiqué

– À force d’ac­qui­si­tions, il s’est forgé une posi­tion domi­nante sur le marché

– Répu­ta­tion de « cost killer »

– Carac­tère tempé­tueux parfois

Laurent Abit­bol, l’ami des stars

Avec la noto­riété qui accom­pagne son statut de patron de Havas Voyages, Laurent Abit­bol s’est décou­vert une passion pour le show­biz. En plus de sa galaxie d’en­tre­prises qu’il gère via le groupe Mariet­ton, l’homme d’af­faires lyon­nais est à la tête de 2A2B, une société de produc­tion qui a notam­ment financé le dernier album d’Enrico Macias. Le chan­teur est en effet « un copain », invité régu­liè­re­ment à animer des soirées amicales ou « corpo­rate  ». « Au point que l’on en a un peu marre d’en­tendre Enrico Macias chan­ter à chaque fois », s’amuse un proche de Laurent Abit­bol. Ce dernier accom­pa­gneaussi Patxi, ancien chan­teur de la Star Academy. « Et j’ai deux ou trois projets de films en tête, que j’es­père lancer cette année », sourit fière­ment le produc­teur Abit­bol.

BIO EXPRESS

21 octobre 1965 : Nais­sance de Laurent Abit­bol à Lyon. La même année, son père et son oncle ouvrent la première agence rue Mariet­ton à Vaise.

1991 : Entrée dans le groupe fami­lial Mariet­ton

2005 : Il devient président du groupe Mariet­ton, épaulé par son frère Stéphane.

2015 : Rachat de Havas Voyages. Le groupe Mariet­ton devient le numéro 1 français.

2020 : Pour­suit le déve­lop­pe­ment de son groupe avec plusieurs rachats de réseaux d’agences.

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