Pourquoi et comment vous est venue l’idée de cette étude ?
Jean-Marc Atlan : Assez rapidement, quand le confinement a commencé, nous avons reçu beaucoup de questions de nos clients. Ils nous demandaient : « comment pouvez-vous nous accompagner dans cette situation ? » Nous avons donc organisé un travail de mise en commun. Les dirigeants avaient envie de confronter avec nous et d’autres entreprises ce qu’ils vivaient. C’était tellement inédit. Ça nous a poussé à faire ce travail d’interrogation auprès d’une centaine d’interlocuteurs.
Quelles sont les grandes leçons à retenir de cette période de confinement, positives et négatives ?
On apprend toujours beaucoup pendant les crises. La première grande caractéristique inédite, c’est que ça arrive brutalement, à tout le monde et au même moment. On peut retenir trois grands constats. 1/ La capacité des organisations -hommes et femmes- à s’adapter. Du jour au lendemain, ils se sont remis en cause. Et, dans l’urgence, il y a eu une mobilisation collective générale dans les entreprises qui s’est traduite par une capacité à trouver des solutions très vite. 2/ Cela se traduit par une efficacité individuelle ou collective égale voire supérieure à l’ordinaire, avec une productivité qui progresse de 20 à 30% dans certains cas. C’est une grande surprise. Si certains avaient des doutes quant au télétravail et considéraient qu’il y avait des risques, on s’aperçoit que ça marche, même si le travail exclusivement à distance a bien sûr ses limites. 3/ On voit apparaître une double exigence très forte de management de crise et de management à distance. Il a fallu se recentrer sur les personnes et consacrer beaucoup de temps à l’écoute et à l’attention. Ce qui suppose des organisations à plusieurs vitesses avec un impératif qui s’impose aux dirigeants : revenir au management des personnes. Et c’est là que l’épaisseur humaine fait la différence, car il faut plus manager des gens que piloter des process.
Toutes les entreprises ont été marquées mais pas de la même manière. Certaines ont été durement affectées, d’autres beaucoup moins…
Oui pour les entreprises c’est certain, mais aussi pour les personnes. Tout le monde a vécu la crise mais pas à un même degré. Il y a un haut niveau d’inquiétude chez certains. La vulnérabilité est au centre de tout. L’inquiétude est différente suivant les personnes. C’est sûr que ce n’est pas la même crise pour tout le monde. Et c’est à la sortie que ça va changer.
« Laisser à chacun le temps de digérer »
Justement, faut-il redouter de nouvelles fractures après le confinement entre ceux qui étaient en première ligne et ceux qui étaient plus tranquilles, moins exposés ? Certains l’évoquent en parlant des cols bleus et des cols blancs qui n’ont pas vécu le même confinement ?
Oui, il va falloir ressouder le collectif. Parmi tous les enjeux de l’après-confinement, celui-ci est majeur : ressouder l’ensemble des équipes, notamment autour de la question de la santé au travail, au sens de sécurité. On voit bien que cette préoccupation a pris une place majeure. La capacité de rassembler passe par la garantie apportée d’une bonne sécurité au travail. Ensuite, je dirais qu’il ne faut pas se tromper de combat : oui, il faut se remobiliser, se retrousser les manches, mais il faut aussi laisser à chacun le temps de digérer. Les personnes auront besoin de partager. Il faudra prendre ce temps de l’écoute. Ne pas repartir comme avant. De nouveaux standards de fonctionnement et de relation sont apparus, il faudra composer avec. C’est une grande leçon : on doit prendre le temps de faire ce que l’on appelle un retour d’expérience. N’oublions pas que les équipes sont bouleversées, et pour certaines, éreintées.
Il y a aussi beaucoup de questionnements sur la raison d’être des entreprises. Que faire pour que les bons réflexes nés de cette situation inédite ne soient pas oubliés demain ?
C’est très important. Cela passe à la fois par du management de proximité et une vision de long terme et peut-être, pour un temps, moins de stratégie. La double question qui nous est posée est la suivante : comment gère-t-on la pression du quotidien et comment donne-t-on de la perspective. Pour le quotidien, le management de proximité sera plus que jamais essentiel. Pour la perspective, c’est la nécessité de bien se focaliser sur l’identité et les relations avec toutes ses parties prenantes, y compris la puissance publique. Par exemple, la santé au travail, on va demander beaucoup plus à l’entreprise de la prendre en charge. Est-ce qu’on parlera de RSE demain ? Je n’en suis pas sûr, tant il sera surtout impératif de la mettre en œuvre ! Donc, tout le monde se pose beaucoup de questions sur la raison d’être des organisations avec cette crise. Entre les deux, la stratégie à moyen terme, pour nous, ne sera pas la priorité du moment tant la visibilité est faible.
Il y a de grandes incertitudes sur la suite, tant du point de vue sanitaire qu’économique. Comment piloter dans ces conditions ?
Comme je viens de l’évoquer, cela passe par plus de management, plus d’identification autour de la raison d’être de l’entreprise et moins de stratégie. C’est une tendance qui ressort dans notre étude : pour un moment au moins, on sera plus dans le pourquoi et le comment et moins dans le combien.
Quels conseils donnez-vous aux entreprises ?
Dès le déconfinement, savoir reconnaître et remercier l’engagement des personnes. Prendre le temps du retour d’expérience. Capitaliser sur les bonnes choses qu’on a vues pendant ce confinement. Savoir rassembler. Les équipes ont plus besoin de rassembleurs que de sauveurs nous a dit très justement un dirigeant. Et aider ensuite à retrouver du sens au travail. On va récupérer des gens qui se posent plein de questions existentielles. Il faut reconstruire du sens. C’est essentiel que les dirigeants se concentrent là-dessus. C’est quoi notre business model ? Comment consolider ce qu’on a vécu pour passer à une autre étape ? C’est quoi notre projet collectif et l’utilité de notre mission ? S’il y a un besoin de communication interne renforcé, en revanche, on ressent une volonté de sobriété dans la communication externe, et c’est très bien. Et, au final, il y a quatre vertus cardinales qui reviennent en boucle et qui constituent en quelque sorte la boussole des dirigeants pour demain : autonomie, solidarité, utilité et humilité.