Ils témoignent
Jérôme Salord, fondateur du groupe d’assurance santé pour les animaux SantéVet (190 collaborateurs, 66 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Cyril Chassagnard, directeur régional « activité eau » de Veolia, l’opérateur en charge de l’assainissement et de la distribution de l’eau dans la métropole (1 400 collaborateurs).
Renaud Gairard, fondateur du groupe d’événementiel Meetings (28 collaborateurs, 3 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Anthony Kuntz, fondateur du groupe d’éducation numérique digiSchool (65 collaborateurs, 6 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Alain Coulas, fondateur de l’agence de communication sonore ATS Studios (100 collaborateurs, 7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Daniel Karyotis, directeur général de la Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes (3 400 collaborateurs, 700 millions d’euros de produit net bancaire).
Le jour où tout a basculé
Renaud Gairard, Meetings
Tout a commencé avec l’annonce officielle, le dimanche 8 mars par le ministre de la Santé Olivier Véran, de l’interdiction de tous les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Dès le lundi, et les jours suivants, nous enregistrons des annulations en cascade. C’est vraiment impressionnant, et tous les salariés sont hyper inquiets. Le vendredi 13 mars, au lendemain du 1er discours d’Emmanuel Macron, j’annonce aux salariés qu’ils sont au chômage partiel jusqu’à fin mai. Je continue de venir tous les jours au bureau. Je suis seul. Et il n’y aucun appel. Je prends un coup. Et tout de suite, il faut faire toutes les démarches : chômage partiel, reports d’échéances fiscales, sociales, bancaires…
Cyril Chassagnard, Veolia
Nous n’avons pas été surpris par la mesure de confinement annoncée par le président de la République, le 16 mars au soir. En interne, nous avions déjà travaillé sur plusieurs plans de continuité de l’activité allant jusqu’au scénario du pire, celui où la moitié des salariés auraient été touchés par la pandémie. Dans ce cas, nous sommes allés jusqu’à imaginer le confinement de salariés sur des sites de traitement d’eau, une mesure d’isolement de la population pour éviter qu’ils ne tombent, à leur tour, malades. Heureusement cela n’est pas arrivé, mais c’est dans notre culture d’imaginer le pire. On ne peut pas laisser les gens plus de quelques heures sans eau potable.
Daniel Karyotis, Banque Populaire
Les premiers jours de la crise ont été difficiles parce qu’il fallait que nous assumions notre rôle aux côtés de nos clients professionnels (entreprises, artisans…) – c’est notre priorité et notre devoir – tout en veillant à préserver la santé de nos collaborateurs. Certains avaient peur de venir à la banque, il a donc fallu les rassurer et prendre toutes les mesures pour faire en sorte qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions. Avant la crise, on commençait à se projeter sur l’année prochaine, voire même sur 2022. Mais quand vous êtes en pleine crise, le long terme, c’est la fin de semaine. On ne savait pas vers quoi on s’avançait, on ne connaissait pas l’ampleur du Covid-19. Mais il fallait toutefois que l’on reste présents, car l’économie régionale dépend de nous. Il faut assumer cette responsabilité particulière.
Les répercussions sur son entreprise
Alain Coulas, ATS
L’annonce du confinement a été un choc et il a fallu réagir très vite. J’ai immédiatement décidé de fermer nos deux sites de Lyon. Chez nous, il n’y a que les commerciaux qui ont l’habitude de télétravailler. Il a donc fallu imaginer de nouveaux process pour continuer à servir nos clients, d’autant que la crise a entraîné une forte augmentation des demandes. On a travaillé toute la nuit, et le 17 mars à 14 heures, 52 % de nos équipes étaient en télétravail (les autres salariés ont été mis en chômage partiel, NDLR). On n’a pas compté nos heures et nous avons réussi à déménager cinq studios chez des collaborateurs. Dès le soir ils pouvaient mixer, chez eux, les messages pour nos clients enregistrés à distance par nos comédiens et nos comédiennes. C’est un véritable tour de force.
Jérôme Salord, SantéVet
Avant la crise, la mise en place du télétravail était un projet d’entreprise sans urgence… qui en est devenu une. Les informaticiens ont travaillé tout le week-end, jour et nuit, pour permettre le transfert automatique de toutes nos lignes téléphoniques pour nos commerciaux et la liaison à domicile de nos téléconseillers avec le système informatique de l’entreprise. Grâce à eux, le mardi matin, plus personne n’était au bureau. En trois jours, 183 des 200 collaborateurs étaient en télétravail. Il y a eu, bien sûr, quelques bugs au début. Mais pas beaucoup. Et notre serveur a également parfaitement tenu la charge. Cette expérience va nous aider à mettre en place le télétravail… mais de façon plus légère, un ou deux jours par semaine par exemple.
Cyril Chassagnard, Veolia
Dès le 17 mars, 300 collaborateurs qui peuvent exercer leur mission à distance étaient en télétravail. Mais il faut des équipes sur le terrain, pour faire tourner les usines et assurer des opérations de maintenance. Nous avons donc redimensionné les effectifs au minimum et organisé une rotation de deux équipes qui se relaient tous les 15 jours, l’une des deux équipes étant en « réserve », à disposition en cas de hausse du nombre de malades. Des cellules de crise sont organisées quotidiennement, en cascade, à tous les niveaux de l’entreprise : groupe, national, régional à Lyon et par territoire. J’ai pu voir l’importance de ces cellules de crise « à l’ancienne ». Cette méthode est peut-être un peu militaire, mais elle fonctionne.
Anthony Kuntz, digiSchool
Nous sommes passés en full télétravail dès le 16 mars, et quasiment tout tournait normalement au bout d’une semaine. Le confinement des élèves a entraîné une hausse de trafic sur nos sites d’apprentissage en ligne, notamment d’élèves du primaire – ce qui n’est généralement pas notre fonds de commerce – avec une progression de fréquentation de l’ordre de 1 000 %. Alors que l’on avait une road map prévue pour l’année avec une gamme de services à lancer en septembre pour la préparation du brevet et du bac, l’actualité nous a forcés à changer notre fusil d’épaule, on a donc lancé plus tôt ces nouveautés. Et des projets ont été temporairement mis de côté pour répondre, au plus vite, aux besoins des utilisateurs.
Le patron face à la crise
Daniel Karyotis, Banque Populaire
Dans ces périodes-là, il faut essayer de garder son calme, sa lucidité, sa rationalité… Il est fondamental de prioriser ! Et c’est au patron de l’entreprise d’impulser cela, ce qui demande parfois de prendre sur soi. J’avais, moi aussi, des doutes, des interrogations et des zones d’inquiétude. Mais mon rôle, c’est de dépasser tout cela pour faire en sorte que l’entreprise garde sa sérénité.
Renaud Gairard, Meetings
Dès fin mars, j’ai commencé à dire publiquement qu’il ne fallait pas rêver, et que je n’envisageais pas une reprise de l’activité cet été, notamment des festivals. Cela m’a été reproché dans le milieu, mais il ne sert à rien d’être dans le déni. J’ai anticipé qu’il faudrait tenir en trésorerie jusqu’à fin août et prolonger le chômage partiel jusqu’à mi-septembre. Pour résumer, on fait le dos rond. Je me suis exprimé aussi sur LinkedIn pour exprimer ma solidarité en mettant, par exemple, à disposition nos chapiteaux, inutilisés en ce moment, pour des installations temporaires à proximité des hôpitaux. J’ai eu envie d’accompagner toutes ces initiatives qui voient le jour un peu partout.
Alain Coulas, ATS
La crise que l’on traverse est une leçon de vie. Je redécouvre les collaborateurs d’ATS, leurs envies… Des idées émergent dans nos discussions à distance, comme la réalisation de livres audio. Je m’aperçois que l’on ne connaît pas suffisamment les personnes avec qui l’on travaille. L’éloignement pousse à se demander comment on peut travailler ensemble à l’avenir. Le contact humain manque et, quelque part, le confinement permet de réapprendre à vivre ensemble.
Jérôme Salord, SantéVet
La visioconférence fonctionne bien, mais, à le vivre depuis un mois, on s’aperçoit des limites humaines du télétravail. Car rien ne remplace la qualité des échanges en face à face. Au quotidien, il manque aussi les ragots à la machine à café, la possibilité d’échanger de façon informelle… La période actuelle montre que le contact humain reste indispensable. Je sais aussi que quelques salariés sont un peu en souffrance, confinés dans des conditions pas idéales avec des enfants en bas âge et les deux parents qui travaillent. Cela peut friser l’enfer. Alors on allège la charge de travail, et ils n’ont aucune culpabilité à avoir. Qu’ils s’occupent d’abord de leur santé physique et morale, le reste passe après.
Ce que la crise va changer
Cyril Chassagnard, Veolia
Je vois des élans de solidarité qui se développent plus vite que d’habitude. Je sens que les collaborateurs ont envie d’être en adéquation avec leurs valeurs dans le privé comme dans leur entreprise. Pendant le confinement, une boîte à idées solidaires a été créée, ce qui s’est notamment traduit par le don de combinaisons que l’on avait en stock, ou des tournées d’un collaborateur de Veolia, avec un véhicule du groupe, pour distribuer à ses collègues des produits de son voisin maraîcher.
Daniel Karyotis, Banque Populaire
On perçoit tous qu’il y aura un avant et un après Covid-19. Je pense que notre modèle économique et sociétal a démontré ses limites. Il faut donc se poser les vraies questions et que l’on soit tous engagés, chacun à notre niveau, sur les sujets majeurs comme la transition énergétique ou le développement durable. Ce sont des sujets sur lesquels il va falloir vraiment accélérer. Le Covid-19 n’arrive pas à n’importe quel moment. C’est arrivé en 2020, ce n’est peut-être pas le fruit du hasard. Il faut en tirer des enseignements majeurs.
Renaud Gairard, Meetings
Je dirais que cette période permet de se poser, de prendre du recul, de réfléchir. Je crois vraiment que rien ne sera plus comme avant. Nous devons repenser nos comportements et faire évoluer nos métiers. Il y a une carte à jouer… encore faut-il trouver des idées ! Je me bats pour cela. Ce dont je suis sûr, c’est qu’après cette crise, on n’aura jamais eu autant envie de se revoir.
Anthony Kuntz, digiSchool
En tant qu’acteur du digital, on se dit que cette crise a mis le focus sur l’intérêt de l’éducation à distance combinée au présentiel. Il est évident que personne ne pourra plus ignorer et mettre sous le tapis ces solutions. Lors du confinement, l’entreprise a démontré son utilité. J’espère un changement d’état d’esprit sur l’éducation numérique. La question suivante est de savoir comment on se réinvente.
Dossier réalisé par Vincent Lonchampt, Jean-Pierre Vacher et Maxime Feuillet.
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