François Massar­dier (Calif) : « Une mauvaise stra­té­gie de lobbying pour Jean-Michel Aulas »

François Massardier, dirigeant de Calif, une société de lobbying exerçant à Paris, St-Etienne et Lyon, analyse pour Lyon Décideurs, la stratégie déployée par Jean-Michel Aulas depuis la mi-mars. En résumé, « un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire ».

Le Conseil d’Etat vient de rendre sa déci­sion, en référé. L’OL a donc perdu. Mais les clubs d’Amiens et Toulouse ont eu gain de cause : ils ne sont pas relé­gués. C’est un échec person­nel pour Jean-Michel Aulas. Vous, le lobbyiste, comment analy­sez-vous cette déci­sion ? Peut-on dire que c’était perdu d’avance pour lui ?

François Massar­dier : On dit souvent que le lobbying, c’est l’art de faire passer un inté­rêt parti­cu­lier pour un inté­rêt géné­ral. Jean-Michel Aulas dit qu’il est préoc­cupé par la situa­tion écono­mique de l’en­semble du foot­ball français mais il raisonne avant tout par rapport à son club. Donc, on est bien en présence d’un cas d’école de lobbying. Et ce qui s’est passé n’a pas fini d’être étudié. Ce qui est clair, dans le cas présent, c’est que Jean-Michel Aulas n’a pas cessé de prendre des virages à 180° : un coup, il a plaidé pour une saison blanche, puis pour des play off, puis une reprise clas­sique. Il a trop fait dans le média­tique, là où il aurait dû agir en coulisses. En situa­tion de crise, il faut toujours s’adap­ter, mais savoir répondre clai­re­ment à la ques­tion « Quelle est la stra­té­gie ? ». Or, clai­re­ment, sa stra­té­gie n’était pas assez packa­gée au départ.

Sa stra­té­gie était assez simple : il s’agis­sait de trou­ver une solu­tion pour que l’OL ne soit pas écarté des Coupes d’Eu­rope l’an prochain, à cause d’un cham­pion­nat suspendu à la 28e jour­née (sur 38 au total) …

C’est une première erreur. Dans ce genre de situa­tion, même s’il pensait surtout à son club, il fallait qu’il cherche des alliés. Et il pouvait en trou­ver avec les relé­gués : Amiens et Toulouse. A force d’avan­cer tout seul, il s’est vrai­ment retrouvé isolé. A part retwee­ter la péti­tion d’Amiens, il n’y a jamais eu d’ac­tion concer­tée OL-Amiens-Toulouse. Une campagne de commu­ni­ca­tion commune, une prise de parole des trois, ça prenait un autre relief. C’était criant aussi au Conseil d’Etat. Jean-Michel Aulas a plaidé seul pour l’OL, pendant plus d’une heure. Amiens et Toulouse sont passés au second plan, écra­sés par Jean-Michel Aulas qui les a à peine lais­sés parler. Mais fina­le­ment, ce sont eux qui ont eu gain de cause. Quant à la ques­tion d’être écarté des coupes d’Eu­rope, l’OL a encore une chance de jouer l’Eu­ropa League puisqu’il est en finale de la Coupe de la Ligue face au PSG et cette finale aura bien lieu.

Sur le fond, dans son raison­ne­ment, et sur la compa­rai­son avec les autres grands cham­pion­nats qui reprennent tous pour termi­ner leur saison 2019/2020, ce qui place le foot­ball français en situa­tion déli­cate, n’a-t-il pas raison ?

Il a tota­le­ment raison sur le fond. Son combat est légi­time. Sauf qu’il n’a pas cessé d’in­ter­ve­nir dans les médias, et c’est à double tran­chant. Quand il a commencé à écha­fau­der ses solu­tions succes­sives, il n’y avait pas de place pour autre chose que la prio­rité sani­taire. Et ça jusqu’à fin avril. Jean-Michel Aulas s’est quand même fait reprendre de volée par le Président du syndi­cat des joueurs, Sylvain Kasten­deuch. Parler d’enjeu écono­mique, quand il y a près de 1 000 morts par jour, ça ne passe pas. A ce moment-là, son discours était inau­dible.

« En pleine crise sani­taire, les pouvoirs publics avaient d’autres préoc­cu­pa­tions »

Il a défendu son club bec et ongles… Et il peut dire aujourd’­hui « j’ai vrai­ment tout fait pour obte­nir gain de cause »

Oui, c’est ça : son combat, c’était l’in­té­rêt de Jean-Michel Aulas et de l’OL avant tout, même s’il a dit ensuite que c’était l’ave­nir écono­mique du foot­ball français qui était en ques­tion. Prenez l’his­toire des amen­de­ments parle­men­taires. Ils ont été présen­tés essen­tiel­le­ment par des parle­men­taires du Rhône. C’est le B.A BA du lobbying, on fait en sorte que les amen­de­ments soient portés par des dépu­tés ou séna­teurs de tout l’Hexa­gone, pas unique­ment par ceux qui défendent une entre­prise de leur terri­toire. Et, puis, être présent en tribune, au moment du vote dudit amen­de­ment, c’est une cari­ca­ture. Ensuite, si on veut vrai­ment obte­nir gain de cause, on agit dans la discré­tion, auprès du gouver­ne­ment, de Mati­gnon, de l’Ely­sée. Je connais des secteurs écono­miques qui sont montés au créneau auprès des pouvoirs publics dans cette période et avec succès.

Il s’est peut-être dit que le loca­taire de l’Ely­sée étant un suppor­ter marseillais, le Président de l’OL n’avait aucune chan­ce…

Ce serait faire injure au Président de la Répu­blique et au Premier ministre de penser qu’une déci­sion de cet ordre soit influen­cée par des affi­ni­tés person­nelles. Ce qui est sûr, c’est qu’à Lyon, Jean-Michel Aulas a toujours fini par avoir gain de cause vis-à-vis des pouvoirs locaux. A Paris, en pleine crise sani­taire, les pouvoirs publics avaient d’autres préoc­cu­pa­tions.

Pour finir, si je vous dis que votre posi­tion est celle d’un lobbyiste stépha­nois, donc peut-être pas pro OL, que répon­dez-vous ?

Un, je ne travaille pas pour l’ASSE, même si je suis suppor­ter des Verts. Deux, je l’ai dit, je pense que Jean-Michel Aulas a raison sur le fond, mais il s’y est très mal pris, sur ce dossier depuis le début. Trois, je recon­nais l’im­mense réus­site écono­mique de Jean-Michel Aulas, qu’il s’agisse de CEGID ou de l’OL. Mais sa stra­té­gie de commu­ni­ca­tion laisse parfois pantois, par exemple quand il polé­mique à 3 heures du matin sur Twit­ter avec des suppor­ters…

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