Voilà, c’est fini. Neuf mois seulement après son ouverture en octobre dernier, la Cité Internationale de la Gastronomie de Lyon ferme définitivement ses portes. Le centre culturel, fragilisé par des premiers mois poussifs, n’aura pas survécu aux impacts engendrés par la crise sanitaire du coronavirus. « Devant ces difficultés, face à l’incertitude de l’évolution économique et touristique, et malgré tous nos efforts pour la sauvegarder, nous avons pris la décision de ne pas rouvrir la Cité et d’arrêter définitivement son exploitation », explique MagmaCultura, la société chargée de son exploitation, dans un communiqué. La fin – provisoire – d’un projet qui aura agité la ville et la Métropole pendant près d’une décennie.
Une candidature lyonnaise jugée désinvolte
Retour en arrière. Suite à l’inscription par l’UNESCO en 2010 du repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le gouvernement charge la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA) d’ouvrir sur le territoire, un lieu culturel entièrement dédié à la gastronomie. Plusieurs villes se portent alors candidates pour accueillir le projet. D’abord réticent sur la portée d’une candidature lyonnaise malgré les multiples appels des élus de l’opposition (UMP et centristes), Gérard Collomb finit par se lancer dans la bataille, suite à un accord sur le financement du projet avec le groupe Eiffage en octobre 2012.
Le projet lyonnais, porté par des figures comme Paul Bocuse ou Christian Têtedoie et par la riche histoire gastronomique de la ville, fait figure de favori face aux candidatures de Dijon, Tours, Rungis, Versailles ou Beaune. D’autant que le lieu choisi pour accueillir le centre, l’Hôtel-Dieu, voué à accueillir plusieurs centaines de touristes par jour, apparaît comme un vrai plus dans le dossier.
Mais la candidature lyonnaise patine, discréditée par certains concurrents comme François Rebsamen, maire de Dijon (et futur ministre du Travail), qui égratigne son rival Gérard Collomb dans les médias sur son manque d’implication et son arrogance dans ce projet. La sentence finit par tomber en janvier 2013 et résonne comme un coup de tonnerre. La MFPCA choisit finalement de créer non pas une seule Cité de la gastronomie, mais un réseau de plusieurs centres, porté par les projets de Rungis, Tours et Dijon, laissant ainsi Lyon de côté. « Si la mise à l’écart de Lyon peut sembler curieuse, cette éviction est due au fait que la ville n’a pas assez pris au sérieux ce dossier » soutient alors Jean-Robert Pitte, président de la MFPCA dans les colonnes de l’Express.
Projet à 17 millions d’euros
Passablement agacé par ce résultat, Gérard Collomb peine à cacher sa frustration. « C’est une déception pour nous et une décision totalement incompréhensible. Trois villes sont retenues et pas Lyon alors que nous accueillons la semaine prochaine 17 500 chefs du monde entier lors du SIRHA. J’invite les membres du jury à se rendre à Lyon à cette occasion. Ils pourront se rendre compte par eux-mêmes si Lyon a vocation à représenter la gastronomie française dans le monde. » Le premier magistrat de la ville, vivement remonté contre Jean-Robert Pitte, propose alors de créer une Cité de la Gastronomie « entre Lyonnais » puis finit par se raviser. La ville revoit sa copie initiale et réitère sa candidature avec de nouvelles modifications en avril 2013.
Cette seconde tentative est la bonne. Gérard Collomb prend sa revanche et permet à Lyon de rejoindre le réseau national des cités de la gastronomie avec Rungis, Dijon et Tours. Le projet s’élève alors à plus de 17 millions d’euros, portée par la Ville (4 millions d’euros), la Métropole (2 millions), l’Etat (1 million) et plusieurs mécènes (Apicil, Crédit Agricole Centre-Est, Dentressangle Initiatives, Eiffage, Elior Group, l’institut Paul Bocuse, Mérieux Nutri sciences, Metro, Plastic Omnium et le groupe Seb) à hauteur de 10,4 millions d’euros.
Un groupe espagnol à l’exploitation
L’ouverture de cet « extraordinaire pôle culturel de développement économique et touristique », selon les termes employés par la MFPCA, est prévue pour le début de l’année 2017. Mais les travaux prennent du retard et les polémiques ressurgissent. Le groupe espagnol MagmaCultura est choisi en juin 2018 par la Métropole de Lyon, suite à l’appel d’offres pour l’exploitation de cette future Cité de la Gastronomie. De quoi faire grincer des dents les candidats recalés, à commencer par GL events, qui s’était appuyé sur les Toques blanches lyonnaises pour consolider son projet.

« Sur tous les projets qu’on nous a proposé, nous en avons retenu trois et c’est Magma Cultura qui a obtenu la meilleure note avec 18,2/20, les deux autres, dont GL Events, tournent autour de 14/20 », précise alors Gérard Claisse, vice-président de la Métropole en charge de la Politique d’achat public. « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous ne choisissons pas des Espagnols, mais bien le groupe qui nous a proposé le meilleur projet », soutient de son côté David Kimelfeld, alors président de la Métropole de Lyon. « Nous aurions aimé prendre un projet lyonnais, cela aurait rajouté du cœur, mais les Espagnols ont, tout simplement, créé quelque chose de plus adapté », justifie quant à lui, Georges Képénékian, successeur de Gérard Collomb à la mairie de Lyon.
Vexées, les Toques blanches lyonnaises du chef Christophe Marguin appellent à boycotter l’installation qui finit par ouvrir ses portes en octobre 2019 (bien avant les centres de Dijon, Tours et Rungis, toujours en phase de construction aujourd’hui). Le centre propose un parcours du goût sur 4000 m2 et quatre niveaux, avec des expositions temporaires, des objets de collection (le piano de cuisson de Paul Bocuse), des ateliers de cuisine, des conférences et des espaces ludiques pour les enfants, ainsi qu’un espace dégustation. Mais le prix, jugé trop élevé (12 euros pour l’entrée, 12 euros supplémentaires pour la dégustation) ternit rapidement l’image de la Cité. La foule et les touristes ne se pressent pas et les entrées enregistrées sont surtout celles des groupes scolaires. La crise du Covid aura davantage fragilisé cette jeune structure et précipité la décision de MagmaCultura de ne pas réouvrir le centre.
Quel avenir pour le site ?
Les questions se portent désormais sur l’avenir du site. La Métropole de Lyon avait choisi Magma Cultura France comme délégataire de service public pour l’exploitation pour huit ans, à compter de la date d’ouverture. Le nouvel exécutif à la ville et à la Métropole devrait rapidement se pencher sur ce dossier phare, avec éventuellement, l’hypothèse d’une résiliation de la DSP, possible en cas de force majeure (crise du Covid). « L’avenir du lieu sera étudié en lien étroit avec les parties prenantes du projet, dont les mécènes. La réouverture rapide au public du Grand Dôme est par ailleurs en cours d’étude », précise la Métropole dans un communiqué.
« La décision de Magma Cultura est une opportunité pour la Métropole et les Grandes Lyonnaises et les Grands Lyonnais de se réapproprier ce lieu emblématique du territoire. Je vais me rapprocher de l’ensemble des acteurs économiques, associatifs et institutionnels afin de travailler ensemble au futur de ce lieu. Un avenir qui ne peut se construire qu’avec les habitantes et habitants de la Métropole », avance de son côté Bruno Bernard, président de la Métropole. Après dix années marquées par les couacs et polémiques, la Cité Internationale de la Gastronomie n’a sûrement pas fini de faire parler d’elle.
