Si on le compare à d’autres grands patrons lyonnais, Christophe Rollet est à ranger dans la catégorie des dirigeants plutôt discrets. Mais le pilote de Point S ne se prive pas pour autant de faire entendre ses prises de positions tranchées, souvent à contre-courant des discours habituels du patronat. Le directeur général du réseau lyonnais d’entretien automobile avait ainsi pris la parole lors des discussions sur la généralisation du travail du dimanche, dont il est un farouche opposant au même titre que le travail nocturne.
« Parce que les clients n’ont pas plus d’argent à dépenser quand les magasins sont ouverts tard le soir ou les sept jours de la semaine », alors que cela induit des charges supplémentaires pour les points de vente. Mais surtout parce que cela « va à l’encontre de la qualité de travail des salariés ». Et, pendant le premier confinement, il n’a pas hésité à se payer directement le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui proposait alors que les salariés travaillent un peu plus – notamment en limitant les jours fériés – pour accompagner la reprise post-Covid.
Une « idée malvenue », tacle Christophe Rollet : « Je trouve que ces propos sont déplacés, car ils participent à dégrader encore davantage l’image des patrons. Cela démontre que les représentants du patronat sont trop déconnectés de la réalité que nous vivons tous. Ce n’est pas le moment de créer des tensions entre les employeurs et leurs salariés », tance-t-il.
Et, dire tout cela, « c’est mon rôle de dirigeant », affirme Christophe Rollet, qui rapporte d’ailleurs recevoir régulièrement des « messages positifs » d’autres chefs d’entreprise considérant, comme lui, « que le Medef ne représente pas l’opinion de beaucoup de patrons ». Sans avoir, eux, l’exposition médiatique de celui qui est à la tête d’un réseau présent dans 40 pays à travers 5 500 centres automobiles (dont près de 600 en France) qui réalise plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an et compte 8 000 collaborateurs dans le monde.
« L’idée n’est pas de me mettre en avant, mais je m’autorise ce droit à la parole », commente Christophe Rollet. Et tant pis si faire entendre sa petite musique le met un peu en marge des cercles patronaux lyonnais. De toute façon, il ne les fréquente pas. « Je n’ai pas le temps pour cela », dit-il exclusivement concentré sur le développement express de Point S qui s’apprête à célébrer, en 2021, le cinquantenaire de sa création. Tandis que lui fêtera, également l’année prochaine, ses 20 ans à la direction générale de l’enseigne.
Catastrophe
Propulsé alors qu’il n’avait que 36 ans à la tête d’un groupe moribond qui ne comptait que 180 points de vente, il est l’homme qui a véritablement transformé Point S pour en faire un poids lourd mondial. « Redresser cette enseigne en déliquescence n’était pas un défi gagné d’avance. Au début, on m’a même souvent conseillé de vite changer d’entreprise si je voulais avoir une chance de réussir ma carrière… », raconte-t-il. Il endosse, dans les premiers temps, le rôle du cost killer, taillant dans les effectifs et se délestant d’un entrepôt et d’une partie des stocks. « Christophe a connu des premières années vraiment difficiles. Dès qu’il ouvrait un dossier, il découvrait une catastrophe : les trous dans les comptes étaient colossaux, il a fallu se couper un bras pour se remettre à flot. Et il n’y avait plus aucune relation de confiance entre l’enseigne et ses adhérents… », rappelle Stéphane Bernard, le propriétaire d’un centre auto à Voiron et président du conseil d’administration de Point S.
Mais le jeune dirigeant a un plan bien précis en tête pour redresser la barre. Qui se décline en plusieurs étapes : après avoir rapatrié le siège d’une tour de la région parisienne au centre-ville de Lyon – sa ville natale – pour « se rapprocher et recréer du lien » avec les adhérents, puis insufflé une nouvelle image avec la création d’un nouveau logo, il se lance dans la diversification de l’enseigne qui n’était alors qu’un spécialiste du pneu. Un repositionnement gagnant.
Sous sa coupe, Point S revoit sa copie et étend, au fil du temps, son champ d’action à l’ensemble de l’entretien automobile (frein, amortisseur, pare-brise, vidange…). « Cela semble une évidence aujourd’hui, mais il a fallu convaincre les adhérents du bien-fondé de ces nouveaux métiers », rapporte Christophe Rollet. Car on touche ici à la particularité du fonctionnement de Point S : les gérants des centres auto ne sont pas des salariés aux ordres, mais des chefs d’entreprise indépendants, regroupés sous la bannière bleue et blanche dont ils détiennent 100 % du capital. Et, partant, donnent leurs avis sur les décisions stratégiques du groupe. Un modèle à mi-chemin entre la franchise (dans son fonctionnement au quotidien) et la coopérative (par son actionnariat et son mode de prise de décision). « C’est ce qui fait notre singularité et notre force », expose le dirigeant.
« Sérieux et fiabilité »
Parallèlement à cette diversification vers de nouveaux métiers, Christophe Rollet lance la diversification géographique avec une internationalisation du réseau qui réalise désormais 85 % de son chiffre d’affaires hors de France. Déjà très présent en Europe et en Amérique du Nord, avec des premiers pions posés sur le continent africain, Point S s’est aussi lancé dernièrement à la conquête de la Chine. Fraîchement créée, la filiale Point S China vise l’ouverture de 2 000 centres d’entretien d’ici à 2026 dans le pays. « Cela faisait plusieurs années que nous lorgnions sur la Chine où le marché de l’après-vente automobile est en forte croissance », commente-t-il, en annonçant l’objectif d’être présent dans 100 pays dans les huit années qui viennent.
« Mon rôle, c’est de maintenir l’ambition d’un groupe indépendant qui ne peut compter que sur lui-même. Et, ma plus grande satisfaction, c’est que Point S soit devenu une référence du secteur, réputé pour son sérieux et sa fiabilité. La preuve, c’est que nous avons beaucoup de réseaux, au départ concurrents qui nous sollicitent pour passer aux couleurs de Point S », poursuit le directeur général qui a ainsi signé, coup sur coup, deux acquisitions l’été dernier avec le rachat d’Happy Car (26 centres auto) et la reprise, à la barre du tribunal de commerce de Paris, du spécialiste de la distribution de pièces auto en BtoB Otop (53 centres de services).
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« Le secteur est dans une phase de consolidation et nous restons attentifs aux opportunités », annonce le dirigeant qui n’entend pas dévier d’un pouce de sa ligne de conduite. Même si celle-ci peut parfois surprendre, comme lorsqu’il fait le choix de ne pas faire de vente sur Internet. « Nous sommes un réseau traditionnel et fier de l’être ! », martèle Christophe Rollet. À l’heure où l’e-commerce de pièces détachées gagne sans cesse des parts de marché grâce à des prix cassés, Point S mise exclusivement sur un réseau de centres « physiques » avec « des conseils livrés par des professionnels de l’auto » comme valeur ajoutée. « Je ne veux pas aller sur la bataille des prix qui ne fait aucun gagnant, mais que des morts. »
Convaincre et séduire
La recette de la réussite de Christophe Rollet ? Une « très fine connaissance du marché automobile » et un « sens du commerce », répond en chœur son entourage. « Il sent les bons coups, il a plein de bonnes idées, il sait quand aller vers de nouveaux métiers sans se préoccuper de ce que font les autres. C’est un indépendant qui sait précisément où il veut mener sa boîte », décrit ainsi Patrick Cholton, le président de la Fédération française de carrosserie et du salon Solutrans. « Christophe Rollet a le chromosome de l’indépendance », surenchérit Jean-Marc Pierret, le directeur de la rédaction du site spécialisé Après Vente Auto, qui évoque un « miracle Point S » : « L’enseigne ne se développe pas dans un esprit de concentration, mais de coopération. Et ce n’est pas simple de fédérer autour de soi des indépendants qui sont indépendants par nature. C’est donc que Christophe Rollet a réussi à convaincre et séduire ses interlocuteurs. Et quand il ouvre de nouveaux pays à l’international, il le fait avec le socle Point S, mais aussi le respect de la philosophie et de la culture locales. C’est du bon boulot. Et il n’a pas beaucoup d’erreurs stratégiques à son actif. »
Et, en effet, l’enseigne a multiplié le lancement de nouveaux concepts – Point S Glass, le dernier en date –, et peu de plantages et de retours en arrière sont à déplorer. Notamment grâce au « pragmatisme » de Christophe Rollet, selon Joël Arandel, le directeur marketing de Point S depuis plus de dix ans : « Ce n’est pas quelqu’un qui a la tête dans les nuages. Peu importe la taille du dossier, il ne laisse rien au hasard. Dès le départ, il va tout de suite très loin dans la réflexion : comment ce concept sera déclinable, dans quels pays… », témoigne-t-il. « Christophe est un travailleur acharné qui transpire l’exigence et la rigueur », reprend Stéphane Bernard, le président du conseil d’administration de Point S.
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Gratter sous le vernis
Alors, bien sûr, Christophe Rollet peut paraître parfois un peu austère. « La première fois qu’on le voit, on se dit qu’il ne doit pas rire tous les jours. Mais il faut gratter sous le vernis. Car c’est, en fait, quelqu’un de très abordable et agréable. Un adhérent peut l’appeler un samedi, il décroche », reprend Stéphane Bernard. Une proximité du directeur général avec les adhérents du réseau aussi louée par Joël Arandel, le directeur marketing de Point S : « Je ne vais pas dire qu’il connaît les 600 points de vente français, mais pas loin. Il assiste plusieurs fois dans l’année à des réunions régionales. L’entreprise a changé de dimension, mais il est resté proche de la réalité du terrain. »
La preuve lors des congrès de Point S qu’il anime en personne chaque début d’année ou lors du rituel Forum de juin au Matmut Stadium quand il n’hésite pas à monter sur scène, assurant lui-même les remises de prix à ses adhérents. Si l’acteur et humoriste Patrick Bosso, qui incarne le slogan « Pas de stress, il y a Point S » dans les pubs télé, le rejoint sur scène, c’est quelques minutes, pas plus. Et uniquement quand Christophe Rollet l’appelle pour remettre un trophée. Car le maître de cérémonie, c’est le directeur général, en tandem quand même avec Joël Arandel. Et, lorsqu’il se retourne sur ces deux dernières décennies où Point S, comme lui, a changé de dimension, Christophe Rollet a cette formule : « Sans Point S, je n’en serais pas là. Et inversement. » Cela peut faire office de bon résumé.
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