Difficile à imaginer aujourd’hui, mais il n’y a pas si longtemps, Gilles Moretton coulait encore une retraite paisible faite de jeux avec ses petits-enfants, de virées à moto ou d’après-midi à la pêche, après avoir fait un break au Népal à la découverte des lacs sacrés et à l’assaut de l’Annapurna. « D’ailleurs, j’avais prévu de refaire l’Annapurna », commente-t-il.
Mais voilà, le programme a radicalement changé pour l’ancien tennisman de 62 ans (qui a grimpé jusqu’à la 65e place mondiale en 1981), surtout connu comme le créateur du Grand prix de tennis de Lyon à la fin des années 1980, puis comme président de l’Asvel entre 2001 et 2014, et enfin comme éphémère président de TLM (2013-2014). Avant, donc, de prendre le large. Deux ans après avoir remis le pied à l’étrier en étant élu à la tête de la Fédération régionale de tennis, le Croix-Roussien de naissance est désormais dans la course à la présidence nationale de la Fédération française de tennis (FFT) qui désigne son nouveau président le 12 décembre prochain.
Et si Gilles Moretton estimait, lors de notre rencontre mi-octobre, être « largement » en ballottage favorable, l’affaire est loin d’être de tout repos. Car la campagne se déroule dans un climat franchement délétère avec son concurrent, l’actuel président de la FFT, Bernard Giudicelli. Les deux hommes se détestent ouvertement et ne se serrent pas la main quand ils se croisent. Le différend remonte à 2017, à l’époque de la campagne pour la présidence de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes : Giudicelli, dont l’autre candidat en lice était un de ses proches, avait alors accusé Gilles Moretton d’avoir trempé dans un trafic de billets de Roland-Garros, avant d’être condamné pour diffamation. « J’étais un danger pour son candidat, il fallait donc me faire tomber », décrypte Gilles Moretton.
« Mal à la tête »
Ce n’est donc pas du tout une surprise si l’actuelle campagne pour la FFT est vite montée en température. D’abord avec des échanges d’amabilités par presse interposée. Avant qu’une nouvelle étape ne soit franchie, mi-octobre, avec la saisine par Gilles Moretton du Comité d’éthique et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). La raison : Bernard Giudicelli a demandé, sur Facebook, aux présidents d’autres fédérations nationales d’afficher leur soutien à sa campagne. « Une demande d’ingérence depuis l’étranger et un usage d’influence qui dépassent les règles élémentaires d’éthique », estime Gilles Moretton, très remonté. « J’ai en face de moi quelqu’un de malhonnête et de no limit. Il n’a rien à faire dans le sport, car ce n’est pas le sport qui l’intéresse », tacle-t-il. Alors oui, la campagne est bouillante, mais cela n’effraie pas Gilles Moretton. « La vie est un combat. Que ce soit comme joueur ou comme chef d’entreprise, j’ai toujours été entraîné à cela », philosophe celui qui porte la liste « Ensemble pour un autre tennis », soutenue par plusieurs ex-tennismen, à commencer par son grand copain Yannick Noah qu’il connaît depuis l’adolescence et les années passées dans le même sport-études à Nice.
D’ailleurs, c’est justement lors d’un rendez-vous entre anciens joueurs français de la Coupe Davis que la candidature de Gilles Moretton a émergé. « On refait le monde du tennis… Ce sont des soirées qui se finissent tard et on a souvent mal à la tête le lendemain », raconte Gilles Moretton. Qui n’a pas de trou noir quant aux discussions : pour ses compères, celui qui a été tour à tour joueur, formateur, organisateur de tournoi et maintenant président d’une ligue régionale coche « toutes les cases » pour la présidence de la FFT, à la faveur d’une connaissance à la fois du tennis professionnel, amateur et business. « On est venu me chercher, ce n’était pas du tout prévu dans mon programme. Et j’ai accepté car j’aime passer du temps dans les clubs, et que j’avais envie de rendre au tennis ce qu’il m’a donné », explique Gilles Moretton pour la belle histoire. Dont le plan de campagne a été simple : labourer le terrain en se rendant de club en club, et de ligue régionale en ligue régionale, pour faire entendre sa voix et son programme.
Incontournable à Lyon
En tout cas, le retour dans l’arène de Gilles Moretton n’étonne pas ses proches. « Quand on est entrepreneur, on ne peut pas se satisfaire d’aller à la pêche. Pour moi, ce retour est logique car c’est un challenge formidable. Être président de la Fédération française de tennis sera le summum d’une carrière consacrée au sport », s’enflamme Roland Tchénio, l’ancien patron de Toupargel, qui a été un actionnaire important de l’Asvel du temps de Moretton, dont il est un fidèle parmi les fidèles. Ce dernier loue, comme l’ensemble de ses proches, le tempérament de battant de son ami : « Quand il s’implique dans quelque chose, c’est toujours à fond. Il a gardé cela de sa carrière de sportif et de compétiteur. » « C’est quelqu’un de très déterminé qui met tous les moyens à disposition pour atteindre ses objectifs », salue l’ancien adjoint aux Sports de la Ville de Lyon, Thierry Braillard. « Gilles est un conquérant. Il a une détermination hors du commun. Il ne lâche jamais et c’est cela sa vraie force », abonde encore Stéphane Morot-Sir, le directeur du développement de l’Asvel, qui a été un compagnon de route pendant plus de 20 ans, de la première société GMO (Gilles Moretton Organisation) à Canal + Events en passant par Occade Sport, Gones&Sports et enfin l’Asvel.
Une époque où Gilles Moretton était incontournable à Lyon. Notamment parce que le Grand prix de tennis, organisé au palais des Sports de Gerland, était, jusqu’au règne de l’OL au début des années 2000, l’événement sportif de l’année où tout le gratin lyonnais se pressait. Sans compter que l’ex-tennisman devenu homme d’affaires dans l’événementiel sportif a aussi lancé, à la même époque, le marathon de Lyon (revendu ensuite à ASO), ou encore organisé des galas de patinage artistique… « Lyon doit beaucoup à Gilles Moretton. Il a largement contribué à la vie événementielle à une époque où il ne se passait pas grand-chose », résume une de ses connaissances.
« Pas d’états d’âme »
Pour autant, le bilan lyonnais de Gilles Moretton s’accompagne d’un bémol : toutes ses aventures se sont plus ou moins finies en eau de boudin. À commencer par son bébé, le GPTL, déménagé en 2010 à Montpellier après 23 éditions lyonnaises. La conséquence du mariage raté, en 2007, de sa société Occade Sport (qui organisait notamment le GTPL) à Canal + Events, la filiale événementielle de la chaîne cryptée. À peine la vente entérinée, rien ne s’est passé comme prévu : « Le problème, c’est que mon interlocuteur, Alexandre Bompard, à l’époque numéro 2 de Canal +, est parti à Europe 1 trois mois après la vente. J’ai eu un nouvel interlocuteur avec qui cela s’est moins bien passé », euphémise Gilles Moretton, qui sera viré deux ans plus tard par son nouvel actionnaire avant que plusieurs différends ne soient réglés devant les tribunaux. À peine Moretton débarqué, le GPTL est attiré à Montpellier par un Georges Frêche généreux en deniers publics. « J’ai vendu à Canal + car je cherchais un diffuseur pour mes événements. Je n’ai aucune aigreur, j’ai fait ce que j’avais à faire », affirme-t-il aujourd’hui.
Et, pendant son mandat à la présidence de l’Asvel, Gilles Moretton n’a pas atteint son objectif numéro 1 : mettre sur les rails la construction d’une grande salle multifonction pour remplacer la vieillissante Astroballe de 5 600 places. Un projet pour lequel il s’est battu corps et âme pendant plusieurs années. Sans succès, malgré plusieurs moutures étudiées et un calendrier sans cesse repoussé. Désormais sénateur du Rhône, Gilbert-Luc Devinaz, à l’époque adjoint aux Sports de Villeurbanne, se souvient de rencontres pour le moins tendues entre la municipalité et le président du club de basket, agacé que rien ne se décante. « Je retiens que Gilles Moretton n’est pas quelqu’un de facile. Il n’est pas simple d’essayer de le convaincre qu’il faut chercher une autre voie quand on rencontre une difficulté. Pour lui, c’est noir ou blanc, alors que, parfois, la diplomatie peut aider à surmonter les problèmes. Mais je l’ai apprécié pour son honnêteté », expose-t-il. Un serpent de mer de la salle multifonction qui pourrait finalement se décanter du côté de Décines, porté par le duo Aulas-Parker. « Je trouve génial qu’ils puissent faire cette grande salle qui est nécessaire à Lyon, affirme Gilles Moretton. Je n’ai pas d’états d’âme, il y a des gens meilleurs que moi pour développer. Mon intérêt, c’est l’Asvel et je suis dans l’admiration de ce que le club est en train de devenir. »
« Profondément gentil »
Aucun regret, non plus, jure-t-il, à propos de son départ de l’Asvel en 2014, remplacé par Tony Parker. C’est lui qui avait convaincu Parker quelques années plus tôt, alors qu’il était encore joueur aux États-Unis, de rentrer au capital du club avec l’idée de faire passer un palier à l’Asvel grâce à un actionnaire à la renommée mondiale. « Avec l’Asvel, je suis allé au bout de ce que je pouvais faire. Et le deal était clair avec Tony Parker : le jour où il arrêtait sa carrière, il reprenait la présidence du club », rappelle-t-il. Reste que la fin de mandat à l’Asvel a laissé Gilles Moretton sur sa faim. « Mais ça, il ne vous le dira pas », assure un de ses proches, qui raconte : « Tony Parker, c’est à la fois une star et un bulldozer. Et je dirais qu’il n’a pas été d’une correction totale avec Gilles Moretton. Pour résumer, il s’est clairement servi de lui, puis l’a délaissé quand il n’en avait plus besoin. » Et ce dernier de poursuivre : « Gilles a fait une belle carrière de chef d’entreprise alors qu’il n’en a pas la nature. Oui, c’est un battant, mais c’est aussi quelqu’un de profondément gentil. C’est une qualité dans la vie mais, dans les affaires, les gentils peuvent se faire baiser quand ils tombent sur des tueurs. »
Côté sportif, le bilan est aussi mitigé. Bien sûr, l’Asvel a conquis deux titres de champion de France sous sa présidence. Mais le club a aussi connu quelques sacrés trous d’air pendant ces 13 années. Pour autant, son mandat est globalement salué, notamment pour avoir ramené des partenaires et développé le marketing autour du club villeurbannais. « Il a été nommé président à un moment où il fallait penser à l’économie du club pour assurer son avenir. Quand on écrira l’histoire du club, on dira qu’il a été un bon président », juge ainsi Gilbert-Luc Devinaz. Ce n’était pas gagné d’avance pour l’ancien tennisman, rentré dans l’organigramme du club via sa société GMO alors mandatée pour trouver des sponsors. Un profil tourné business et non issu du sérail basket : l’arrivée de Gilles Moretton n’a pas manqué, à l’époque, de faire grincer des dents. « Mais c’est justement parce qu’il n’appartenait pas à cette famille basket qu’il a pu apporter une vision qui va au-delà du terrain : celle d’un véritable chef d’entreprise qui connaît le sport. Gilles Moretton a posé les fondements pour que le club change de dimension à l’arrivée de Tony Parker », reprend Stéphane Morot-Sir, le directeur du développement de l’Asvel. Et si Gilles Moretton est unanimement décrit comme quelqu’un « qui ne recherche pas la lumière », ses proches le trouvent très à l’aise dans son nouveau rôle – forcément médiatique et exposé – de challenger à la présidence de la FFT. Ainsi son avocat Alain Jakubowicz, qui le côtoie depuis leurs années lycées : « Gilles peut parfois faire preuve d’un peu d’excès de modestie. Il n’est pas du genre à vouloir gravir les échelons s’il ne se sent pas capable. Et, dans cette campagne, il est à sa place, dans son élément… C’est un garçon mystérieux qui n’aime pas parler de lui, mais je le sens heureux », juge-t-il. Et c’est bien là, pour Gilles Moretton, le principal moteur de son retour aux affaires.
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