Il y a un point sur lequel Francis Thomine met tout le monde d’accord : il est celui qui a placé Groupama sur la carte lyonnaise. « Avant, Groupama n’était ni connu, ni reconnu à Lyon. Personne ne nous connaissait et nous étions perçus uniquement comme l’assureur des agriculteurs, ce qui était très réducteur. Il a fallu montrer que l’on existait », résume Francis Thomine. Nommé à la direction générale de Groupama Rhône-Alpes Auvergne en avril 2013, il avait donc une feuille de route simple : faire que le groupe mutualiste ait enfin une notoriété jugée en adéquation avec son poids dans la région, à savoir 2 200 collaborateurs et près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires réalisé par an (dont 25 % « seulement » auprès du monde agricole).
Et Francis Thomine estime aujourd’hui cette mission « réussie ». « Ces dernières années, les gens ont découvert Groupama sous un autre visage, celui d’un généraliste qui s’adresse aussi aux salariés, aux retraités, aux entreprises, aux collectivités… Et nous sommes également désormais considérés comme un acteur institutionnel majeur de l’écosystème lyonnais », se félicite-t-il, installé dans le canapé de son spacieux bureau au dernier étage du siège du groupe installé à Vaise.
Un changement de statut largement attribué à ce Catalan d’origine de 59 ans, yeux rieurs et carrure de rugbyman, souvent qualifié de « sympa et jovial » et considéré comme un personnage « un peu à part » dans le monde des assureurs lyonnais. « C’est sûr que Francis Thomine ne ressemble pas à ces patrons froids et austères que l’on a l’habitude de rencontrer dans les grands groupes d’assurances. On sent qu’il recherche véritablement des rapports humains avec les autres », commente un entrepreneur lyonnais de l’immobilier qui a l’habitude de le croiser dans le microcosme lyonnais. Le communicant Érick Roux de Bézieux, qui conseille Francis Thomine, abonde : « C’est avant tout quelqu’un qui aime les gens. »
« Je suis tout le temps dehors »
Et cela tombe bien, car le plan Thomine pour faire « exister Groupama dans l’écosystème lyonnais » repose justement sur un intense travail de réseautage du directeur général auprès des mondes économiques, sportifs, culturels ou encore politiques… « Depuis le premier jour de ma nomination, je suis tout le temps dehors, que ce soit au stade ou au concert ou à des réceptions. C’est dans ma nature, j’ai besoin d’aller vers les autres », explique celui qui n’a pas intégré le réseau lyonnais les mains vides : l’une de ses premières décisions fortes fut d’allouer dix millions d’euros chaque année (soit 1 % du chiffre d’affaires) aux actions de mécénat ou de sponsoring, là où aucune ligne de budget n’était prévue par ses prédécesseurs.
Partenaire de l’entreprise lyonnaise solidaire Les Petites Cantines ou encore de la fondation d’entreprises Émergences, Groupama s’affiche aussi aux côtés du musée des Beaux-Arts de Lyon, des Nuits de Fourvière ou encore du Printemps de Pérouges… Mais le plus beau coup de Francis Thomine reste évidemment le naming du Groupama Stadium, dont le prolongement du contrat a été acté en fin d’année dernière, au terme de longues et dures tractations avec Jean-Michel Aulas. « Il a fait à l’évidence connaître Groupama dans le Landerneau lyonnais. C’est quelqu’un qui n’est pas coincé, qui est intéressant, cultivé et qui parle cash. Il s’est donc fait accepter par les autres patrons lyonnais. Dans le monde des assurances, il est à l’évidence celui qui a le plus réussi à mettre son entreprise en avant. C’est du bon boulot », applaudit Guy Mathiolon, le président du groupe de travaux publics Serfim et fin connaisseur du monde patronal lyonnais.
« Je suis impressionné par sa capacité à rendre les gens à l’aise », complète Mohamed Tria, le président du club de foot Sporting Club de Lyon (ex-AS Duchère) qui compte parmi ses proches. C’est d’ailleurs Francis Thomine qui a soufflé à cet ancien directeur d’un groupe lyonnais d’ingénierie l’idée de se reconvertir en tant que courtier en assurances, désormais son métier. « En plus de ses origines catalanes, Francis Thomine est né et a grandi en Algérie, cela se ressent. Il est assez oriental dans sa façon de faire, il a cette culture orale où on se tape dans la main pour dire “marché conclu”. C’est sûr qu’il est décalé par rapport aux autres directeurs généraux des assureurs lyonnais », poursuit-il.
« Approche différente de son métier »
Atypique par son style, Francis Thomine, qui se revendique comme un « autodidacte de l’assurance », tranche aussi par son parcours. « Je n’ai pas suivi le cursus classique, c’est peut-être la raison pour laquelle je dépoussière les standards du métier », analyse-t-il. Ingénieur informatique de formation qui a débuté sa carrière chez IBM, il rejoint l’assureur en 2001 via sa filiale Groupama Systèmes d’Information dont il deviendra directeur général cinq ans plus tard. Avant d’être propulsé à la direction générale de la plus grosse région de l’assureur mutualiste. « C’était un pari, car Francis Thomine n’avait jamais été au contact du terrain, et qu’il connaissait finalement peu le monde mutualiste, rappelle Jean-Louis Pivard, sociétaire qui occupe le poste de président du conseil d’administration de Groupama Rhône-Alpes Auvergne. Mais la greffe a pris. Il a apporté un regard neuf qui a permis de faire passer une étape à Groupama. »
Et, côté finances, tout va pour le mieux à entendre Francis Thomine : en huit ans de mandat, le chiffre d’affaires de Groupama Rhône-Alpes Auvergne est passé de 720 à 952 millions d’euros, 250 emplois ont été créés et les fonds propres ont été doublés. « Et nous continuons aussi de développer notre réseau de 320 agences de proximité, alors que la tendance dans la profession est plutôt à leur suppression », énumère-t-il.
« Francis est un garçon entier, très exigeant, un excellent professionnel », explique une figure lyonnaise de l’assurance, ancien collègue de Francis Thomine chez Groupama. Un groupe au sein duquel le DG a prouvé qu’il pouvait imposer ses vues. Il a notamment dû convaincre la direction parisienne du groupe mutualiste, plutôt réticente à la base, de la pertinence du coûteux naming du stade de l’OL. « Il y a eu un débat au sein du groupe. Personne n’attendait que l’on mette notre nom là, y compris en interne », rappelle-t-il. Ce qui fait dire à Jean-Michel Aulas que Francis Thomine « est l’archétype du cadre supérieur qui est devenu entrepreneur grâce à une approche différente de son métier ».
Besoin de reconnaissance
Le boss de l’OL doit le savoir : il n’y a sans doute pas de compliment qui puisse faire plus plaisir à l’intéressé, dont plusieurs proches soulignent le besoin de reconnaissance. « Le naming a dopé la notoriété de Groupama, mais pas celle de Francis Thomine à son plus grand désespoir. Il a un grand besoin d’être connu et reconnu », rapporte l’un d’eux.
Un autre rapporte cette anecdote d’un Francis Thomine qui se désole d’être toujours bien moins connu qu’un Olivier Ginon par exemple, alors que les deux patrons réalisent grosso modo le même volume de chiffre d’affaires. Et ne faites pas devant lui le distinguo entre directeurs généraux et entrepreneurs-actionnaires : « Un directeur général a autant de responsabilités qu’un entrepreneur, affirme-t-il. Je dirige cette entreprise comme si c’était la mienne. » « Francis Thomine est un franc-tireur qui a une très haute image de lui-même », tacle, sous couvert d’anonymat, un fin connaisseur du monde lyonnais de l’assurance. Qui fait partie des déçus de Francis Thomine. Car ils existent. « On ne compte plus le nombre de personnes qu’il a séduites par son côté assez convivial et charmeur, puis qui ont été ensuite déçues ou en colère. C’est un beau parleur qui a fait beaucoup de promesses – notamment de partenariats – sans toujours les tenir », indique un chef d’entreprise lyonnais.
Un autre s’émeut d’avoir aidé Francis Thomine à tisser ses réseaux lors de son arrivée à Lyon, notamment par l’organisation de dîners avec des décideurs, puis d’avoir été « oublié une fois qu’il n’a plus eu besoin de moi ». Tandis que cet ancien collaborateur de Groupama Rhône-Alpes Auvergne reconnaît au dirigeant « une capacité incontestable à emmener les salariés dans un grand projet », mais évoque un « personnage ambivalent » : « Il est sympathique au contact direct, mais il y a un vrai écart avec ce qu’il fait en interne. C’est quelqu’un de très autocentré qui n’écoute pas une opinion différente de la sienne. Au siège de Groupama, il a une vraie cour autour de lui. Pour ne pas avoir de problème, il faut être d’accord avec tout ce qu’il dit. Et dès qu’on exprime un désaccord, on n’a souvent pas d’autre choix que de partir. »
Des ambitions nationales ?
Il n’est pas rare, non plus, que l’on prête à Francis Thomine des ambitions nationales. « Sans doute se serait-il bien vu à la tête de Groupama. Mais c’est un groupe très politique, et il n’est peut-être pas suffisamment dans la ligne », avance un observateur. De son côté, Francis Thomine est catégorique, il ne vise pas ce job : « Jamais, je n’ai pas cette ambition. Je ne suis pas fait pour et cela ne m’intéresse pas », jure-t-il. Donnant même, en guise de gage, la suite de son programme : il se verrait bien encore sept ans à la direction de Groupama Rhône-Alpes Auvergne « pour aller au bout de mon aventure ».
En clair, boucler son premier plan stratégique étalé sur dix ans (2013-2023), celui de la visibilité de Groupama, puis enchaîner sur un nouveau cycle de cinq ans qui le conduira jusqu’à ses 66 ans. « La prochaine étape de la fusée, c’est de faire en sorte que Groupama devienne l’assureur des territoires dans l’esprit des gens », expose-t-il dans un discours marketing. Et pour l’après, c’est aussi déjà planifié : Francis Thomine, qui habite dans l’Ain et dispose d’un pied-à-terre à Lyon, a d’ores et déjà prévu de rester vivre dans la région. Une autre façon de dire qu’il reste focus sur sa mission lyonnaise, sans envie d’ailleurs.
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