La scène se joue mi-septembre dans un salon de la Cité de la Gastronomie. Invités par Bruno Bernard, les principaux acteurs lyonnais du tourisme exposent alors leurs craintes et les difficultés rencontrées depuis le début de la crise sanitaire.
Un tour d’horizon qui est aussi l’occasion, pour le nouveau président de la Métropole, de mesurer la cote de popularité de François Gaillard : à la fin de chacune des prises de parole – ou presque – des professionnels, le même refrain et les mêmes remerciements « pour le travail accompli par François Gaillard et ses équipes ». Le directeur d’OnlyLyon Tourisme & Congrès joue justement, cet après-midi là, les entremetteurs entre l’exécutif métropolitain et les représentants de la gastronomie, de l’hôtellerie, de la culture, de l’événementiel et des aéroports de Lyon.
À la tête de l’office du tourisme depuis 2004, il aurait pu voir son poste menacé par l’arrivée des nouveaux élus à la Métropole. « Généralement, quand il y a un changement complet de politique, c’est le genre de poste stratégique où l’on place une personne de son camp », soutient Alain Galliano, ex-vice-président de la Métropole en charge des Relations internationales et de l’Attractivité. Une hypothèse d’ailleurs vivement redoutée par les professionnels du tourisme.
« Quand je voyais la communication des Verts pendant leur campagne et cette volonté de développer le tourisme local avant tout, j’ai eu peur qu’ils le virent », confie Christophe Marguin, le président des Toques Blanches Lyonnaises. « Enlever un homme fort comme François Gaillard aurait envoyé un message ultra-négatif à toute la profession », poursuit Loïc Renart, patron des Aubergistes lyonnais, qui pilote trois hôtels à Lyon.
Si l’on admet dans les rangs écologistes que la question s’est posée, les nouveaux responsables politiques à la Métropole ont fini par trancher.
« Nous n’avons pas vocation à être des chasseurs de têtes frénétiques. Ce sont les idées et les projets qui comptent. On a discuté avec lui dès juillet, on lui a donné notre vision du tourisme, il nous a dit que beaucoup de choses étaient déjà enclenchées dans ce sens, explique Hélène Dromain, vice-présidente de la Métropole en charge du tourisme. Ça nous a paru parfaitement en phase. Donc on n’allait pas, simplement parce qu’il a été nommé par Gérard Collomb, chercher quelqu’un d’autre qui n’aurait pas eu la même légitimité auprès des professionnels du secteur. »
Car la légitimité acquise au fil des années par François Gaillard auprès des acteurs du tourisme est incontestable, voire inégalable. « Il nous a apporté beaucoup de choses, c’est l’homme qui a fait briller la destination Lyon », soutient Christophe Marguin. « Il fait un boulot d’enfer pour le développement de la ville depuis quinze ans. On a des centaines de milliers de touristes de tous les pays qui viennent maintenant découvrir Lyon », observe Vincent Le Roux, le directeur du restaurant Paul Bocuse de Collonges. « Je pense que le monde entier, au moins l’Europe, nous l’envie, ose même Loïc Renart. Porter ce marketing territorial à l’échelle d’une ville comme Lyon avec ce succès sur la durée, c’est rare ! »
Coup de poker
Avant de venir dépoussiérer le tourisme à Lyon, François Gaillard a fait ses classes dans sa Savoie natale. Né à Chambéry en décembre 1975, le jeune homme assiste, émerveillé, aux Jeux Olympiques d’Albertville à l’âge de 16 ans. « J’ai grandi dans un environnement montagnard où beaucoup de personnes vivent directement ou indirectement grâce au tourisme. J’ai cette culture dans les gênes et j’ai toujours voulu travailler dans cet environnement. Les JO ont décuplé cette motivation. »
Il se forme alors en langues, puis en management hôtelier à Lausanne, en Suisse, et bifurque rapidement vers la promotion touristique. « J’ai vite compris que ce qui m’intéressait, c’était d’avoir une vision globale, de comprendre quels sont les leviers à actionner pour développer toute une destination, au profit des socioprofessionnels, et au service de la collectivité. » Après un passage dans le massif des Bauges, François Gaillard est nommé directeur de l’office du tourisme de La Plagne en 2002, à seulement 26 ans. Il travaille alors, avec succès, sur le rapprochement avec la station voisine – et concurrente – des Arcs, pour former l’un des plus grands domaines skiables au monde.
En 2004, Bruno Bret, son ancien professeur de marketing à l’université lui annonce que Lyon cherche quelqu’un pour rajeunir son office du tourisme. François Gaillard postule, passe de multiples entretiens, patiente plusieurs mois et est finalement choisi, à 28 ans, par Denis Trouxe, le président d’alors de l’office du tourisme et Jean-Michel Daclin, adjoint de Gérard Collomb au rayonnement international.
« Gérard Collomb ne voulait pas qu’on l’embauche parce qu’il était trop jeune et sans grande expérience, mais il a fini par nous faire confiance », révèle Jean-Michel Daclin. « C’était un coup de poker, mais c’est l’un des meilleurs recrutements que j’ai pu faire, se félicite aujourd’hui l’ancien maire de Lyon. Il a boosté l’activité de Lyon de manière formidable en comprenant qu’on avait un handicap : pour la plupart des gens, nous n’étions pas une ville touristique, car les gens qui passaient à Lyon, arrivaient par Fourvière et ses bouchons, puis enchaînaient avec la Vallée de la Chimie. Ils ne connaissaient que ça de la ville. »
Brut de décoffrage
À son arrivée, la filière touristique lyonnaise n’est que très peu structurée, l’office du tourisme accuse un découvert gigantesque et le moral des troupes est en berne. « On avait un joyau caché avec un potentiel fort, relate François Gaillard. Il fallait en faire prendre conscience les élus et l’ensemble des socioprofessionnels. Après cela, le regard a commencé à changer. Les élus et Gérard Collomb ont compris que si la ville n’était pas attirante d’un point de vue touristique, elle ne pouvait pas l’être pour d’autres aspects. C’est là qu’on a commencé à parler de marketing territorial avec la création d’OnlyLyon. »
La marque, créée en 2007, rassemble tout un écosystème de partenaires avec le même objectif commun : faire rayonner la ville à l’international pour attirer décideurs, chefs d’entreprise, leaders d’opinion, touristes, artistes ou étudiants. « À l’époque, on faisait tous ce travail de promotion, mais en ordre desserré, avec des arguments et des campagnes qui n’étaient pas les mêmes, bien souvent sur les mêmes marchés et sur des mêmes cibles. Avec OnlyLyon, on s’est tous mis à tirer dans le même sens », précise le directeur d’OnlyLyon Tourisme & Congrès.
À l’échelle lyonnaise, François Gaillard effectue, avec ses équipes, un large travail auprès des différentes branches de la filière touristique. « Il a su fédérer les gens des musées, de l’hôtellerie, de la restauration, du fluvial. Il est apprécié de tout le monde et tout le monde respecte son travail », témoigne Christophe Marguin. « Il a réussi à créer cette adhésion autour de lui, c’est un vrai leader », prolonge Anne-Marie Baezner, responsable des sites lyonnais de GL Events.
Et le travail finit par porter ses fruits. La ville convainc EasyJet d’installer sa troisième base française à Saint-Exupéry en 2008, est élue meilleure destination européenne de week-end lors des World Travel Awards en 2016, intègre les prestigieuses sélections des destinations à découvrir du guide Lonely Planet et du New York Times en 2019, est élue capitale européenne du tourisme durable en 2019 ou encore deuxième meilleure grande ville du monde dans un classement publié fin 2020 par le Condé Nast Traveler…
« Je suis fier de ce qu’on a réussi à constituer au fil des années avec les équipes. Je fais mon boulot de manager mais on est une équipe de 75 personnes et ce sont eux qui font le boulot. Ma qualité, c’est sans doute de tirer le meilleur de tous ces gens là, mais je suis seulement le chef d’orchestre », sourit-il.
Des qualités managériales saluées par Jean-Michel Daclin, président d’OnlyLyon Tourisme & Congrès entre 2014 et 2019 : « J’aime beaucoup son management de l’humain, il est très attentif à ses collaborateurs et les met toujours en avant. Il peut être brut de décoffrage et ne met pas toujours les formes mais il est clair avec eux. » Un style très direct apprécié des professionnels du tourisme.
« Il est très franc et authentique, et c’est pourquoi il est respecté et écouté, avance Thomas Zimmermann, créateur du Lyon Street Food Festival. Dans les échanges, c’est un bulldozer, une boule d’énergie. Il comprend très vite, calcule, dégaine et réagit rapidement. Il a une attitude très dynamique, très motrice. Je le compare parfois au chef Philippe Etchebest. » Mais contrairement au chef célèbre pour ses coups de gueule, le directeur de l’office du tourisme n’est pas un grand bavard.
« Il parle peu, ce qui peut mettre des gens mal à l’aise de prime abord, d’autant qu’il est imposant voire intimidant, avec un regard très perçant. Il maîtrise le silence comme personne », décrit Emmanuelle Sysoyev, qui travaille avec lui dans la structure OnlyLyon depuis 2008. « C’est vrai qu’au début avec François, on peut avoir l’impression qu’on passe un examen », renchérit Anne-Marie Baezner.
« Il ne dit jamais plus de choses qu’il n’en faut. S’il joue au poker, il ne doit pas être mauvais », poursuit Lionel Flasseur, directeur du programme OnlyLyon entre 2011 et 2017, qui occupe désormais le poste de directeur régional d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme.
Secret de longévité
Le personnage, assez secret, se dévoile beaucoup plus lors des voyages de la délégation OnlyLyon, organisés ces 15 dernières années aux quatre coins du monde. « Le moment où j’en ai le plus appris sur lui, c’était au Japon il y a sept ans, se remémore Emmanuelle Sysoyev. On avait tous les deux perdu la délégation à Osaka. Sur le chemin pour rentrer à l’hôtel, on s’est arrêté pour diner car il connaissait une petite échoppe traditionnelle pas loin. Je savais qu’il était passionné du Japon mais pas qu’il connaissait même Osaka comme sa poche. Je me suis laissée guider, c’était une vraie découverte du Japon comme de François, qui est toujours plus à l’aise dans les échanges en petit comité. »
Le Savoyard, pas franchement fan des soirées mondaines, admet volontiers cloisonner vie publique et vie privée. « J’ai assez peu de relations professionnelles qui sont aussi amicales. J’évite le mélange des genres, mais est-ce que ce n’est pas aussi le secret de la longévité ? », demande-t-il. Olivier Occelli, ancien collaborateur au sein de l’office du tourisme, connaît pourtant le François Gaillard, père de deux jumeaux, fan de moto, de ski, de rugby, de boxe anglaise et de MMA mieux que personne.
« On s’organise souvent des sorties à ski ou en snowboard à la montagne, et on partage la même passion pour la moto. On a passé le permis moto quasiment en même temps et on part régulièrement ensemble sur les routes pour déconnecter », témoigne le directeur de l’office du tourisme de Bordeaux depuis 2018.
« On a fait de grandes escapades, jusqu’au Sahara en passant par l’Espagne et le Maroc. Ce sont des épopées où il vous arrive des galères mais les souvenirs sont géniaux. Pourquoi pas participer à un rallye-raid à l’avenir. J’approche de la cinquantaine, j’ai encore certaines cases à cocher sur ma check-list », prévient François Gaillard.
En poste à l’office du tourisme depuis plus de 15 ans, ces quelques cases pourraient aussi déterminer son avenir professionnel. « À la base, j’étais venu ici pour rester cinq ans. J’ai des envies, j’ai toujours été ouvert au challenge, et je suis ouvert à toute opportunité. Ce n’est jamais souhaitable que quelqu’un reste toute une vie au même endroit. » S’il ne s’imagine pas quitter le navire dans la tempête actuelle, François Gaillard ne cherche pas non plus la sortie à tout prix.
« Il y a encore beaucoup de choses à faire et notamment sur les enjeux environnementaux. Le nouvel exécutif est extrêmement impliqué, présent, et disponible sur ces questions. On a affaire à des gens conscients de l’importance de la filière dans la métropole, de son impact social, en terme d’emploi, et des retombées économiques », développe-t-il. Assis près de son bureau, le regard posé sur une statuette du Bocuse d’Or, François Gaillard sait toutefois combien son fauteuil reste fragile. « Personne n’est indispensable. Si un jour, un exécutif en place décide que je ne suis plus l’homme de la situation, je m’en irais. Même si quitter Lyon, ce n’est pas facile. »
« Préparer les lendemains meilleurs »
La filière touristique a subi les répercussions de la crise sanitaire de plein fouet lors de ces douze derniers mois. Une période forcément éreintante pour le directeur d’OnlyLyon Tourisme & Congrès. « J’ai vécu ces derniers mois comme un challenge, comme une expérience nouvelle dans ma vie professionnelle. Pour être très honnête, il y a des moments où nous nous sommes sentis désemparés, à cause de ces effets d’annonce et de contre-annonce. On est passé par tous les stades, de l’optimisme, à l’euphorie, à la déception, au découragement. Mais notre rôle, c’est d’être optimiste et jouer ce rôle de locomotive pour préparer les lendemains meilleurs. »
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