« L’hypothèse d’un été sans festivals est exclue. » Les propos tenus par Roselyne Bachelot illustrent parfaitement la volonté du gouvernement : éviter le spectre d’un deuxième été sans rassemblements culturels. Et pour donner de la visibilité aux organisateurs, la ministre de la Culture a détaillé mi-février le cadre général dans lequel les festivals pourront se tenir (si la situation sanitaire le permet) : une jauge maximale de 5000 spectateurs, assis et distanciés. Des conditions jugées intenables par plusieurs grands festivals français (les Eurockéennes, le Hellfest…) qui accueillent chaque jour plusieurs dizaines de milliers de personnes et qui ont donc préféré jeter l’éponge. C’est aussi le cas de Musilac à Aix-les-Bains, qui affiche une programmation pop, rock, rap et reggae. « Économiquement ça aurait été impossible de le faire dans les conditions imposées, avance Rémi Perrier, l’organisateur de Musilac à Aix-les-Bains. Et surtout, cette configuration assise ne colle pas à l’ADN de notre festival. »
Si l’événement savoyard renonce, les responsables des autres festivals de la région comme Les Nuits de Fourvière, Jazz à Vienne, Nuits Sonores ou le Printemps de Pérouges poursuivent de leur côté les préparatifs. « On a la chance d’avoir un lieu comme le Théâtre Antique qui se prête sans problème à ces contraintes avec un public assis et distancié, indique Samuel Riblier, le directeur de Jazz à Vienne. Même si on est toujours dans le flou et qu’on ne sait pas comment sera la situation sanitaire dans deux mois, on s’active puisqu’on a la hantise de se réveiller en juin après avoir baissé les bras et finalement s’apercevoir que ça aurait été jouable. »
Réduction des coûts
Les zones d’incertitudes, encore nombreuses, rendent l’équation financière encore plus délicate pour les organisateurs. « La possibilité d’avoir des bars et de la restauration est la condition sine qua non pour pouvoir organiser Nuits Sonores et nous sommes toujours dans le flou sur cette question. Économiquement, on ne pourra pas faire sans », annonce Pierre-Marie Oullion, directeur artistique du festival électro lyonnais, rejoint sur cet aspect par les responsables de Jazz à Vienne. Autre point sensible : la question des jauges d’accueil. « On sait que les réouvertures se feront de manière progressive, d’abord en jauge dégradée et donc en aucun cas à 5000 spectateurs », indique Marie Rigaud, la directrice du Printemps de Pérouges. De quoi compliquer davantage la situation financière pour les organisateurs, déjà fragilisés par l’annulation des éditions 2020.

Côté budgets, les enveloppes pour 2021 sont bien moins épaisses que celles des précédentes éditions. « Le budget pour 2021 est de l’ordre de 600 000 euros, contre environ 3 millions d’euros habituellement », révèle Marie Rigaud. Même cas de figure pour Les Nuits de Fourvière où ce montant atteint 8,5 millions d’euros cette année contre 13 millions d’euros pour les éditions précédentes. Une nouvelle donne qui poursse chaque festival à s’inscrire dans une logique de réduction des coûts. Ainsi, le Printemps de Pérouges n’organisera cette année aucun concert sur le site du Polo Club de l’Ain mais seulement une dizaine de soirées dans la cour du château de Chazey-sur-Ain, déjà investie en 2019. De leur côté, Les Nuits de Fourvière divisent par trois leur nombre de scènes (4 en 2021 contre 12 en 2019). « Chaque scène qu’on ouvre génère des coûts humains et matériels. Donc en réduisant le nombre de scènes, forcément on réduit les coûts, explique le directeur Dominique Delorme. Et normalement, vous avez chaque année une installation de la taille d’une petite ville en backstage du Grand Théâtre, pour le confort des gens qui travaillent. Cette année, on va devoir la réduire énormément. Les conditions de travail seront un peu plus spartiates, mais ça nous permet de faire de grosses économies. »
« Ne pas mourir ! »
Les Nuits de Fourvière admettent avoir travaillé en lien étroit avec les artistes et producteurs pour « calibrer le coût des spectacles » sur leur budget. « Les productions des artistes ont fait des efforts. On a travaillé en bonne intelligence avec tout le monde et chacun s’est adapté aux possibilités », insiste Dominique Delorme. L’objectif du directeur des Nuits de Fourvière, qui fêteront cette année leur 75e anniversaire, est clair : ne pas générer de déficit en 2021 pour ne pas être endetté et hypothéquer la programmation de 2022. « Pour l’instant ça marche, notamment grâce aux entreprises mécènes qui nous apportent un énorme soutien et grâce au soutien de la Métropole qui a maintenu à l’identique sa subvention de 2019 en 2020 et en 2021 », rapporte-t-il.
Les pouvoirs publics (Ville et Métropole) ont aussi appuyé Nuits Sonores, tandis que le Printemps de Pérouges a pu compter sur le soutien de la communauté de communes de la Plaine de l’Ain, du département de l’Ain, ainsi que de la Région. « C’est un peu la nouvelle donne et la bonne nouvelle. On se félicite d’avoir été entendu. Le festival a bien été aidé, ce qui nous permet d’assurer notre pérennité », commente Marie Rigaud. Seul Musilac s’estime aujourd’hui laissé de côté par le département de la Savoie et la Région. « On a approché Laurent Wauquiez par courrier mais depuis c’est silence radio. Nous ne voulons pas mourir ! On veut continuer à produire et monter ce projet qui irrigue tout un territoire au niveau économique », martèle Rémi Perrier. Le festival qui devait cette année accueillir des têtes d’affiche comme Angèle, Vianney ou PNL, a choisi de rembourser l’ensemble des festivaliers et a d’ores et déjà annoncé ses dates pour 2022. « On va se battre, ça ne va pas être facile, nos fonds propres sont légers. Mais on repart à l’aventure, d’autant que l’année prochaine, c’est l’année de nos 20 ans. » En espérant que la pandémie ne soit alors plus qu’un lointain souvenir…

Le point au cas par cas
Les Nuits de Fourvière
Maintenu du 27 mai au 31 juillet. Billetterie ouverte depuis le 6 mai. « Nous avons 3200 places (hors distanciation) en jauge assise pour le Grand Théâtre, contre 4200 en temps normal. » Budget 2021 : 8,5 millions d’euros contre 13 millions d’euros en 2017, 2018 et 2019.
Jazz à Vienne (Isère)
Maintenu du 23 juin au 10 juillet. Billetterie ouverte depuis le 6 avril. « Avec la distanciation, on passe de 7500 places à moins de 4000. »
Musilac (Savoie)
Annulé. 90 000 spectateurs accueillis en 2019.
Le Printemps de Pérouges (Ain)
Maintenu du 9 au 19 septembre sur le site du château de Chazey-sur-Ain : 1000 places hors distanciation. Billetterie ouverte, concert de Sting repoussé en 2022. « Comme pour la plupart de nos collègues, la billetterie met du temps à démarrer. En plein confinement, avec couvre-feu et aucune visibilité sur les mois qui viennent, les gens n’achètent que peu de billets. »
Nuits Sonores
Maintenu du 20 au 25 juillet. Billetterie ouverte depuis le 29 avril. Jauge de 2500 places. « On aura peut-être une édition compliquée économiquement, déficitaire ou juste à l’équilibre, mais on a à coeur de renouer avec le public, remettre nos équipes au travail et se reconnecter avec nos bénévoles. »
Woodstower
Maintenu du 24 au 29 août au Grand parc de Miribel-Jonage. Billetterie ouverte. Jauge de 5000 places. « Ce ne sera pas un Woodstower habituel mais le choix est fait de s’adapter pour enfin retrouver le public après un an sans festival. »