En tant qu’actionnaire de nombreuses entreprises dans cette région et partout en France, vous êtes bien placé pour savoir comment se portent les entreprises. Où en sont-elles après un an de crise sanitaire ?
Bertrand Rambaud : Nous ne sommes pas dans une crise économique classique comme en 2008 qui a affecté l’ensemble de l’économie. On est dans une crise sanitaire qui a eu des conséquences économiques, mais c’est d’abord une crise sanitaire. Elle a touché violemment certains secteurs, mais d’autres ont bien tiré leur épingle du jeu. Et le gros de la mêlée, qu’il soit industriel ou dans les services, passé l’effet de surprise violent du printemps 2020, a retrouvé un fort niveau d’activité. Et, mis à part les secteurs à l’arrêt, le début d’année 2021 est plutôt très favorable. Il n’y a pas d’effondrement de l’économie.
Certains avaient prédit 1 million de chômeurs en plus fin 2020 en France. D’autres annoncent tous les trois mois une vague de dépôts de bilan. Rien de tout cela ne s’est produit. Les entreprises sont-elles particulièrement résistantes ou les mesures de soutien du gouvernement ont-elles été très efficaces ?
En France, nous avons de supers patrons d’entreprises. Il y a eu une réactivité et un sang froid des dirigeants qui m’ont impressionné. Ensuite, il y a eu une réaction de l’écosystème forte, exceptionnelle même : l’Etat, mais aussi les banques ont permis de très fortement limiter la casse. Après, attention, c’est une perfusion qui a été injectée. Elle intervient dans une période d’extrême liquidité. Les aides ont été très importantes, historiques. Un jour, on va débrancher tout cela. Et forcément, il y aura des défaillances d’entreprises dans les secteurs les plus touchés et dans les petites entreprises. Nous ne sommes pas arrivés dans cette crise sanitaire avec des entreprises fragilisées financièrement. Le tissu économique est globalement sain.
Siparex, créé à Lyon, a été un des pionniers du capital investissement indépendant en France. Plus de 40 ans après, qu’est devenu le groupe cofondé par Dominique Nouvellet ?
C’est un groupe fondé par Dominique Nouvellet que je dirige depuis une douzaine d’années maintenant. Il évolue dans un marché porteur. Le capital investissement prend une part croissante dans le financement de l’économie. Dans cet environnement, Siparex a construit une offre large pour l’accompagnement des entreprises. Par exemple, on est présent dans l’innovation avec une marque XAnge qui est très performante. Nous aurons deux licornes dans le portefeuille d’XAnge cette année, c’est-à-dire des affaires qui valent plus de 1 milliard €, alors qu’on y est entré quand elles étaient au berceau. Nous avons structuré notre offre autour de l’approche classique -PME, ETI- tout en lançant de nouveaux produits. Nous avons progressé au niveau international, en Europe, mais aussi en Afrique et au Canada plus récemment. La taille de nos actifs sous gestion se rapproche de 2,5 milliards €, soit une croissance constante. Siparex est dans une dynamique d’évolution forte avec, en plus, une équipe opérationnelle qui accompagne les entreprises, au-delà du métier d’investisseur, à se digitaliser, à faire des acquisitions.
« La place de Lyon est essentielle pour moi. 30% de nos investissements sont toujours réalisés dans cette grande région Auvergne-Rhône-Alpes. »
Quel bilan peut-on faire de votre exercice 2020, que ce soit en termes d’investissements, de cessions et de capitaux levés ?
Nous avons connu une année exceptionnelle en capitaux levés. 2020 aura été l’année la plus forte historiquement avec plus de 400 millions € levés pour le groupe. 2021 sera encore de meilleure facture que 2020. Sur les investissements, on est autour de 200 millions € d’investissements, soit un recul de 20% environ, avec un trou d’air pendant le 1er confinement. Pour les cessions, la baisse est de l’ordre de 40%. Mais 2021 sera très différent. On est sur un volume d’activité très, très fort, à date, en matière de levées de fonds, mais aussi de cessions avec un effet rattrapage. En matière d’investissement, malgré un environnement très concurrentiel, la tendance est bonne aussi. 25% de nos participations ont réalisé des acquisitions en 2020. La tendance d’activité constatée à l’automne 2020 s’est poursuivi au 1er trimestre 2021.
L’an dernier, vous avez évoqué comme objectif d’arriver à 5 milliards € sous gestion, contre 2,5 milliards € actuellement. Vous n’aviez pas donné de date pour l’atteinte de cet objectif. Aujourd’hui, vous pouvez en donner une ?
En 2021, Siparex ne sera pas loin des 3 milliards € d’actifs sous gestion. Doubler la taille du groupe d’ici à 2025 est dans notre projet et nous sommes en cela soutenus par notre conseil de surveillance sous la présidence active de Michel Rollier. Nous maintenons ce cap. Il y a un grand moteur de croissance chez Siparex, grâce aux équipes et à l’environnement du marché. Il y a une très belle dynamique d’entreprise dans tous nos métiers, sans parler de toute la structuration du groupe qu’on a complété. Il faut des personnes pour faire des deals, mais aussi pour faire tourner la maison Siparex, pour s’occuper de la relation avec les investisseurs, tant sur le plan marketing que digital. On a aussi une équipe internationale pour aller chercher des capitaux à l’étranger. Vous citiez Dominique Nouvellet tout à l’heure, qui a inculqué des valeurs et une culture très forte. Cela se perpétue dans les gênes des collaborateurs de Siparex. Cela reste nos racines, tout en s’adaptant à l’environnement dans lequel on évolue.
Et la place de Lyon dans le dispositif Siparex reste importante ?
La place de Lyon est essentielle pour moi. 30% de nos investissements sont toujours réalisés dans cette grande région Auvergne-Rhône-Alpes. Cela montre notre ancrage à Lyon. Le siège social reste à Lyon et on y est très attaché.

Siparex est le gestionnaire du fonds souverain régional mis en place à l’initiative de la région et aux côtés de Bpifrance, de banques mutualistes et d’assureurs. L’avenir est aux partenariats public-privé, plus que jamais ?
Je suis très heureux et fier que l’on ait ce véhicule d’investissement, ici et dans le cadre du plan de relance. Je suis heureux que Siparex en soit le gestionnaire avec tous ces acteurs qui illustrent toute la richesse de l’écosystème régional. C’est une vraie force de ce territoire. Chez Siparex, nous avons pas mal de fonds public/privé. Bpifrance est un acteur public. Et, sans lui, le capital investissement français ne serait pas au niveau où il se trouve aujourd’hui. C’est une belle illustration d’une très bonne coopération entre le public et le privé. Nous même, Siparex, nous vivons dans les territoires. Il y a beaucoup d’alliances public/privé et ça fonctionne très bien pour peu que chacun reste à sa place. Dans le cas de ce fonds souverain, en respectant les règles de Bruxelles, il y a 49% de l’argent qui vient du public et 51% du privé. C’est un super levier. Un euro privé amène un euro public et réciproquement.
Cette implication de la région n’est pas nouvelle. On se souvient de Rhône-Alpes Création inventée par Alain Mérieux, du Fonds régional d’investissement mis en place sous Jean-Jack Queyranne. Une suite logique ?
Oui, une suite logique et un vrai sens de l’histoire. Les territoires, c’est la base de notre économie. Quand on parle de souveraineté industrielle, ça part des territoires. Dans les missions des régions, il y a l’économie. Donc, la région a un vrai rôle à jouer, un rôle d’accélération qui consiste à mettre tout le monde dans une dynamique. La région Auvergne-Rhône-Alpes, par sa présence et sous l’impulsion de son président, Laurent Wauquiez a permis de drainer des capitaux privés autour d’un projet. Si elle n’avait pas lancé l’initiative, le projet n’existerait pas.
Combien d’entreprises vont-elles pouvoir bénéficier de la manne de ce fonds souverain ?
Une vingtaine pour les PME-ETI. Et pour les TPE, qui seront identifiées par le Medef, une vingtaine aussi. Au total, toute taille confondue, ce sera une quarantaine en tout.
Quels seront les critères qui guideront vos choix d’investissement ?
Ce sont des entreprises déjà existantes, des PME et ETI, avec pour objectif de redonner un coup de jus pour sortir de la période actuelle. Il y aura deux cibles : celles qui ont été affectées et qui ont des bilans déséquilibrés et qui ont besoin de rééquilibrer leurs fonds propres pour repartir. Et puis, aussi, d’autres qui ont peut-être moins bougé ces derniers mois, mais qui ont besoin de trouver des moyens complémentaires pour repartir de façon offensive sur des transformations, des acquisitions, des développements organiques ou autres. Ce qu’on apporte, ce sont des fonds propres. Après le temps des financements d’urgence (PGE), il y a maintenant un temps pour financer les redémarrages et rééquilibrer les bilans. Là, on est dans le temps des fonds propres après le temps de la dette.
« Un PGE, c’est une dette. Il faut la rembourser. »
La bourse a retrouvé ses plus hauts historiques depuis 2000. Avec la société grenobloise HRS, Euronext Growth a signé début 2021 sa plus belle introduction en bourse. La bourse reste-t-elle le plus redoutable concurrent du private equity en matière de financement du développement des entreprises ?
Ce n’est pas un concurrent, c’est un outil complémentaire. Je me réjouis que les marchés financiers retrouvent des couleurs. La preuve de cette complémentarité, c’est notre investissement chez Gérard Perrier Industrie, au niveau des holdings de contrôle. Cela n’empêche pas l’entreprise d’être cotée en bourse. Les concurrents, ils sont dans notre environnement. Ce sont d’autres acteurs français. On est dans un métier d’offre. Donc, il faut être extrêmement différenciant. Le métier du capital d’investissement en 2021 n’a rien à voir avec ce qu’il était dix ans auparavant, voire cinq ans.
Les PGE doivent-ils être intégralement remboursés par les entreprises ou peut-on envisager qu’une partie des sommes soient transformées en fonds propres ?
Un PGE, c’est une dette. Il faut la rembourser.
Intégralement ?
Oui, on ne peut pas être dans les dettes perpétuelles. C’est comme pour les Etats. On ne va pas gommer les dettes des Etats. La dette peut être compartimentée. Elle peut être payée très à terme. Mais on paie ses dettes. Et une entreprise paie ses dettes.
Moderna, dont le patron est Français, ancien directeur général de bioMérieux, connait un succès impressionnant parce que Stéphane Bancel a pu mobiliser plusieurs milliards de $. Une biotech lyonnaise qui chercherait à lever rapidement 500 millions € pour une avancée majeure en termes de santé publique, les trouverait-elle ici ?
C’est un point essentiel qui va au-delà des biotechs d’ailleurs. C’est un point très intéressant. Je connais bien l’innovation puisque nous sommes dans le domaine de l’innovation avec X-Ange. C’est une question que l’on se pose tous les jours. Trouver un investisseur français qui est capable de mettre des sommes pareilles, la réponse est non. Mais j’apporterai des bémols. D’abord, on n’est pas obligé de partir aux Etats-Unis pour faire cela. Il y a des fonds internationaux qui sont prêts à accompagner des entreprises, ici en France, pour des levées de fonds importantes. Nous le vivons chez XAnge dans notre branche innovation, nous avons des tours de table qui se montent à 100 ou 200 millions €. L’argent arrive en France. Après, il y a un sujet culturel. Les épargnants en France -et je ne parle pas des épargnants individuels- restent allergiques au risque, à la grande différence des Américains. Toutefois, il y a quand même du mouvement en France. C’est bien de crier tout le temps sur la France, mais on voit les choses évoluer. Il y a des initiatives qui ont été prises par le gouvernement en 2019 pour mobiliser des sommes importantes. 500 millions €, on n’y est pas encore. Mais 50 à 100 millions, on y arrive. C’est le sens de l’histoire. C’est en train de se faire.
Vous, Siparex, le plus gros ticket que vous pouvez investir, c’est de quel ordre ?
50 millions €. On n’en fait pas tous les jours. Mais on sait faire et, cela veut dire que ça peut représenter un tour de table de 150 à 200 millions €. Ce qui était inenvisageable il y a cinq ans.
Est-ce qu’on sait aussi bien financer qu’aux Etats-Unis des projets risqués ? Est-ce qu’on a la même culture du risque en France ?
Non, c’est clair. Mais l’écart ne se creuse pas. Il aurait plutôt tendance à se réduire. Mais la tech française était complètement en panne dans son financement il y a cinq ans. Aujourd’hui, la tech est très prisée. Il y a de l’argent sur ce segment. Il y a de l’intérêt. On est en train de faire une magnifique levée de fonds sur X-Ange. On n’y serait pas parvenus de la même façon, cinq ans auparavant. Il y a quelque chose qui se passe. Il faut le dire. On dit trop que tout va mal. Certes, il y a des choses qui ne vont pas bien. Mais nous avons de supers entrepreneurs. Nous avons une super tech, mais pas que de la tech au sens professeur Nimbus, de la tech de rupture d’usage, de modèle, pas toujours ultra capitalistique. On peut être dans la Deep Tech sans avoir des usines qui coûtent des dizaines de millions €. Cela existe et on a beaucoup plus d’argent pour ces exemples.