« Je me fais vraiment du souci pour les anti-pubs. Ils ne vont plus avoir de boulot, les mecs vont sérieusement s’ennuyer… » C’est dit sur le ton de la provoc, mais cela reflète assez bien l’état d’esprit des professionnels lyonnais de la pub (régies d’afficheurs, imprimeurs, concepteurs de mobilier publicitaire…) qui ont assisté, le 22 février, à la première réunion (en visioconférence) avec les services de la Métropole pour évoquer le futur Règlement local de publicité (RLP). Des discussions pour mieux encadrer la publicité extérieure entamées dès 2017 avec Gérard Collomb, puis poursuivies avec David Kimelfeld. Mais dont le ton a changé depuis l’arrivée de la majorité écolo de Bruno Bernard à la Métropole, qui a fait de la « baisse de la pression publicitaire » l’un de ses thèmes de campagne. Les nouvelles propositions, compilées dans un document que Lyon Décideurs s’est procuré : interdiction des publicités de plus de 2 m2 (donc la fin des 4 x 3 à l’exception « éventuellement » de quelques zones économiques et commerciales), interdiction totale des publicités sur toitures, tendre vers l’interdiction des écrans numériques « tant en publicité qu’en enseigne », ainsi que vers l’interdiction des publicités sur bâches de chantiers, ou encore la limitation de la taille des enseignes…
Une réunion qui s’est déroulée dans un « climat courtois » selon nos informations, mais dont des participants sont ressortis abasourdis. « On attend d’un règlement qu’il réglemente. Mais là, on est dans l’éradication totale de la publicité », décrypte l’un d’eux. Tandis que ce patron d’une PME lyonnaise de la pub évoque un « foutage de gueule avec le sourire » : « Qu’on ne vienne pas nous parler de concertation, la messe est dite. On a apporté des contributions pour mieux recycler, réduire notre bilan carbone ou encore favoriser l’intégration de la pub dans le paysage. Personne ne veut transformer la place Bellecour en Times Square, mais nous ne sommes absolument pas écoutés. On nous répond seulement : “On va vous tuer.” » « Clairement, le message, c’est qu’on ne veut plus de notre métier, abonde Christophe Quatrini, le patron du concepteur lyonnais d’écrans numériques Charvet Digital Media (50 salariés) qui équipe notamment la Métropole. Nous avons pris un gros coup de massue. »
Rejet et colère
On ne peut pas pour autant parler d’effet de surprise, avec des indications claires dès la nomination de Philippe Guelpa-Bonaro au poste de vice-président de la Métropole en charge de la Réduction de la publicité. « On est loin d’une éradication de la pub, plaide-t-il. Il y aura toujours des centaines de mètres carrés de publicité sur le territoire de la métropole. Mais il est clair que nous voulons restreindre son emprise. Après une période de rejet et peut-être de colère, les entreprises du secteur vont accepter ces nouvelles règles et s’adapter grâce à leur créativité. » Ses interlocuteurs en sont encore clairement au premier stade. Avec des inquiétudes sur la pérennité des PME du secteur si le marché lyonnais s’assèche. Comme l’a grondé sur LinkedIn Jean-François Curtil, le patron du groupe de communication extérieure Exterion Media : « Combien de salariés vont se retrouver sans emploi grâce à vos idées en faveur d’un monde meilleur ? » « Pour eux, la pub, c’est uniquement les méchants grands annonceurs, mais, en fait, le secteur est composé d’une kyrielle de petites entreprises d’impression, de graphisme, etc. », avance Emmanuel Imberton, le patron de la Cotonnière Lyonnaise (signalétique, enseigne lumineuse, banderoles PVC). Et l’ancien président de la CCI Lyon-Métropole de poursuivre : « Bien sûr, il y a eu des abus comme le long de la RN6 à Saint-Priest avec des 4 x 3 tous les cinq mètres. Mais il ne faut pas tomber dans l’abus inverse en revenant au Varsovie des années 1950. »
Amazon sur papier recyclé
En attendant la prochaine grande étape du calendrier, fin juin, avec le bilan de la concertation présentée au conseil métropolitain, les acteurs de la pub aiguisent leurs arguments. « Au-delà de nos entreprises, le renforcement du RLP est une source d’inquiétude chez les commerçants de proximité qui ont besoin de communiquer dans cette période difficile. Et il faut savoir que 60 % de nos clients sont locaux, nous sommes des alliés de la relance économique », souligne Fabrice Roman, le directeur régional de l’afficheur Clear Channel qui détient notamment les contrats du Sytral (métro, bus, tramway) et des parkings LPA. La profession compte aussi faire du lobbying auprès des maires de la métropole en axant les discussions sur le portefeuille. Et plus particulièrement sur la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE) promise mécaniquement à se réduire.
Plutôt serein, le vice-président de la Métropole en charge de la Réduction de la publicité rapporte que les nouvelles propositions sont soutenues parfois même par des maires de droite. « La protection du cadre de vie est un sujet qui dépasse les parties », affirme Philippe Guelpa-Bonaro, qui promet aussi s’inquiéter du sort des salariés de l’écosystème lyonnais de la pub. « C’est un sujet que j’ai en tête. Nous souhaitons amener les salariés vers des emplois qui ont du sens dans la transition écologique et solidaire. Et je ne suis pas certain que cela ait du sens de faire de la pub pour Amazon qui ne paie pas ses impôts en France, même sur du papier recyclé. Et vous savez, beaucoup de gens auront à changer d’emploi au cours de leur vie », déclare-t-il. Pas sûr que cela rassure les professionnels de la pub. Pas sûr que ce soit le but recherché non plus.