Ludi­vine Sapin, figure montante

Alors qu’elle prend la suite de son père, Bruno Sapin, au sein de l’incontournable étude d’administration judiciaire AJ Partenaires, Ludivine Sapin est aussi un visage émergent des réseaux lyonnais. Seule femme et plus jeune administrateur de la place, elle s’appuie sur un fort tempérament et un bagage professionnel fourni pour ne plus être considérée comme la « fille de ».

Ludi­vine Sapin le sait très bien : il y en aura toujours pour penser qu’elle s’est confor­ta­ble­ment glis­sée dans les chaus­sons de son père, le tout juste retraité Bruno Sapin, consi­déré comme le roi lyon­nais de l’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire. Mais pas sûr qu’elle ait vrai­ment fait le choix de la faci­lité en déci­dant de faire carrière au sein d’AJ Parte­naires, la struc­ture fondée par son pater­nel, qui traite quelque 450 dossiers d’en­tre­prises en diffi­culté par an. Une étude d’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire incon­tour­nable de près de 50 colla­bo­ra­teurs, avec plusieurs antennes régio­nales (Grenoble, Bourg-en-Bresse, Romans-sur-Isère), qu’elle copi­lote désor­mais avec son asso­cié à 50–50 Didier Lapierre. Ce qui fait de la tout juste quadra Ludi­vine Sapin un ovni à plusieurs titres, à la fois « fille de », seule femme et plus jeune admi­nis­tra­teur judi­ciaire de la place lyon­naise. « Je sais que les gens sont encore plus exigeants quand on cumule le fait d’être une femme et la fille de Bruno Sapin. J’ai dû prou­ver ma compé­tence pour être accep­tée profes­sion­nel­le­ment », rapporte celle qui est aussi la seule parmi ses confrères lyon­nais – à notre connais­sance tout du moins – à pouvoir faire mention dans son C.V. d’une carrière d’avo­cate new-yorkaise.

Car, avant de rejoindre AJ Parte­naires en 2010, Ludi­vine Sapin qui a passé le barreau de Lyon puis de New York, a d’abord exercé dix ans dans les buil­dings de la Grosse Pomme, et plus préci­sé­ment au dépar­te­ment « Inter­na­tio­nal Tax Services » du cabi­net PwC. « À la base, je pensais rester un an ou deux à New York, le temps de faire un stage après mes études, et je suis fina­le­ment restée sept ans. Mon premier fils est même né là-bas… » Sa carrière new-yorkaise connaît un tour­nant en 2009, au moment de la crise des subprimes. « Je me suis posé la ques­tion de rester aux États-Unis ou de reve­nir en France. J’ai fait un choix de vie, mais aussi un choix d’orien­ta­tion profes­sion­nelle. » De retour à Lyon, elle rejoint direc­te­ment l’étude de son père. Tout natu­rel­le­ment à l’en­tendre : « J’ai baigné depuis toute petite dans le monde de l’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire, je savais que c’était le métier auquel je voulais me desti­ner. Et je peux le confir­mer après dix ans de pratique : ce métier d’ac­com­pa­gne­ment et d’orien­ta­tion des diri­geants qui rencontrent des diffi­cul­tés vers les procé­dures les plus adap­tées pour sauver des entre­prises et des emplois est passion­nant », expose-t-elle. 

Cette déci­sion de se tour­ner vers l’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire est pour­tant « inat­ten­due » pour son père Bruno Sapin : « Quand elle m’a dit qu’elle allait rentrer de New York, je n’ima­gi­nais pas que ce serait pour prendre ma suite. Je pensais plutôt qu’elle pour­sui­vrait une brillante carrière d’avo­cate dans un cabi­net inter­na­tio­nal à Paris », dit-il. Dans les bureaux d’AJ Parte­naires rue de Créqui (Lyon 3e), dont les fenêtres donnent direc­te­ment sur le tribu­nal de commerce, l’avo­cate repart de zéro, ou presque. Elle reprend un cursus d’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire puis se fait les dents auprès de son père, opérant notam­ment dans quelques dossiers emblé­ma­tiques, à l’image du sauve­tage du groupe indus­triel en perdi­tion Kem One ou encore de la sauve­garde et de la restruc­tu­ra­tion de la griffe lyon­naise de luxe pour hommes Zilli. Un solide bagage néces­saire selon elle. « Je ne veux pas être consi­dé­rée comme la “fille de”. Mon parcours atypique et très spécia­lisé me donne plus de confiance et d’as­sise auprès de mes inter­lo­cu­teurs  », estime Ludi­vine Sapin.

Parcours semé d’em­bûches

Et les chaus­sons n’étaient sans doute pas si douillets que cela, à entendre Bruno Sapin, réputé dans tout Lyon pour sa froi­deur, admettre rétros­pec­ti­ve­ment avoir été « sans doute parfois un peu dur avec Ludi­vine » pendant son appren­tis­sage. « Mais je ne voulais pas que les choses soient plus faciles pour elle que pour les autres. Elle a dû faire des efforts pour réus­sir. Et je peux témoi­gner qu’elle a fait ce qu’il fallait pour méri­ter que je lui cède mes parts », rapporte celui qui met aujourd’­hui le tempé­ra­ment de sa fille en avant : « Elle n’est pas toujours faci­le… Elle est très déter­mi­née et elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Ludi­vine va au bout de ses convic­tions, quitte à parfois oublier qu’il n’y a que les imbé­ciles qui ne changent pas d’avis. On peut lui expliquer les choses, mais il faut toujours qu’elle fasse sa propre expé­rience. » Aux premières loges pendant toutes ces années, son désor­mais asso­cié Didier Lapierre estime que Ludi­vine Sapin « a su rele­ver le défi en ne restant pas dans l’ombre de son père. Y compris en faisant entendre sa vision des choses quand elle n’était pas d’ac­cord avec lui », précise-t-il. Un fort tempé­ra­ment souli­gné par l’en­semble de ses proches. « Ludi­vine, c’est un sacré carac­tère dans un gant de velours. Elle n’est jamais agres­sive, mais elle arrive toujours à faire passer ses messages  », rapporte ainsi son ami le notaire Sébas­tien Ginon qui est lui, de son côté, appelé à prendre la suite de son père Xavier Ginon au sein de l’étude Ginon & Asso­ciés. « Être des “fils ou filles de” est un sujet récur­rent dans nos discus­sions. La succes­sion d’une étude est une grande chance, mais c’est aussi un parcours semé d’em­bûches », juge-t-il. « Je ne sais pas si ça marche pour le sapin comme pour le roseau, mais Ludi­vine peut plier, mais ne rompt pas. Et l’on peut dire qu’elle a réussi à faire sa place dans ce métier d’hommes, à la fois chez ses confrères, mais aussi du côté des chefs d’en­tre­prises ou des juges du tribu­nal de commerce », fait remarquer l’avo­cat Loïc Jeam­brun, qui offi­cie pour EY Avocats et qui compte parmi ses proches.

Et c’est vrai que Ludi­vine Sapin peut faire valoir aujourd’­hui une plutôt bonne répu­ta­tion dans le tout petit monde des procé­dures judi­ciaires d’en­tre­prises, qui ne compte que quatre études d’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire à Lyon. « C’est une bonne profes­sion­nelle qui fait bien son boulot. Quand on connaît son parcours, on pour­rait craindre qu’elle soit hautaine ou suffi­sante. Mais ce n’est pas le cas de Ludi­vine Sapin », estime un intime du tribu­nal de commerce de Lyon, qui a eu affaire à elle dans plusieurs dossiers. Et, à l’usage, les obser­va­teurs ont pu se rendre compte que si elle porte le nom de Sapin, elle n’est pas pour autant un clone de l’illustre Bruno Sapin. Et si ce dernier râle contre « la géné­ra­tion de Ludi­vine qui passe trop de temps derrière son écran à répondre à des mails, ce qui peut amener à prendre des déci­sions trop hâtives », l’in­té­res­sée reven­dique une approche plus moderne de la profes­sion : « Nous sommes beau­coup plus dans l’uti­li­sa­tion du digi­tal et dans la réac­ti­vité par rapport à la géné­ra­tion de mon père. Tous les diri­geants ont mon numéro de portable et peuvent me joindre à n’im­porte quel moment. Le monde écono­mique s’est complexi­fié, les entre­prises ont besoin de réponses quasi immé­diates », juge-t-elle. Dans l’ap­proche des dossiers, aussi, père et fille n’use­raient pas des mêmes méthodes. « Autant son père est une figure de rigi­dité, autant Ludi­vine respire le consen­sus », résume l’une de ses connais­sances. Son asso­cié Didier Lapierre abonde : « Elle sait garder ses distances, mais son empa­thie fait qu’elle noue des rela­tions humaines sincères avec les personnes qu’elle côtoie. »

Visi­bi­lité

Autre diffé­rence notoire entre les Sapin père et fille : si Bruno Sapin brillait par sa discré­tion et une commu­ni­ca­tion média­tique réduite au mini­mum, comme d’ailleurs la plupart de ses confrères, Ludi­vine Sapin assume une « plus grande visi­bi­lité » dans les réseaux lyon­nais dont elle est une figure montante. Admi­nis­tra­trice jusqu’à il y a quelques mois d’OL Fonda­tion (aux côtés de Jean-Michel Aulas, Thierry Frémaux, Sido­nie Mérieux…), membre du Conseil natio­nal des admi­nis­tra­teurs judi­ciaires et aussi de l’as­so­cia­tion Préven­tion & Retour­ne­ment (qui regroupe des profes­sion­nels de l’ac­com­pa­gne­ment des entre­prises en diffi­culté), elle est égale­ment, depuis mars dernier, la nouvelle prési­dente du Cercle Féal, un réseau lyon­nais de déci­deurs quadra (chefs d’en­tre­prises, avocats, commis­saires priseurs, experts-comp­tables, notai­res…). Un club qu’elle a inté­gré par le biais de Sébas­tien Ginon, le président d’alors, qui voulait ouvrir aux femmes un réseau jusqu’a­lors exclu­si­ve­ment mascu­lin. Une nouvelle fois première femme… « J’aime sortir d’un cadre stric­te­ment profes­sion­nel, et le Cercle Feal est avant tout un réseau amical d’en­tre­pre­neurs de ma géné­ra­tion », expose-t-elle.

Une présence dans les réseaux lyon­nais qui n’est pas sans inci­dence dans un métier où l’in­dé­pen­dance vis-à-vis des chefs d’en­tre­prises accom­pa­gnés est inscrite dans les statuts. Il y a quelques mois, Ludi­vine Sapin s’est ainsi dessai­sie, après discus­sions avec le président du tribu­nal de commerce et le procu­reur, du dossier de la procé­dure de sauve­garde de MDA Company, l’em­pire élec­tro­mé­na­ger dirigé par l’en­tre­pre­neur Michel Vieira, lui aussi très proche de Jean-Michel Aulas. « Certains auraient pu imagi­ner que je n’au­rais pas géré ce dossier en toute indé­pen­dance. Il est impor­tant de veiller à préser­ver cette appa­rence d’im­par­tia­lité aux yeux des tiers », souligne-t-elle. Surtout dans une profes­sion qui a plusieurs fois défrayé la chro­nique, à l’image de la condam­na­tion, en octobre dernier, de l’ex-manda­taire judi­ciaire Jean-Philippe Reverdy pour avoir détourné 12 millions d’eu­ros. Et de pour­suivre sur la « néces­sité de l’objec­ti­vité » qui permet, aussi, « de dire des choses que le chef d’en­tre­prise n’a pas envie d’en­tendre ».

L’ad­mi­nis­tra­tion judi­ciaire est ainsi : Ludi­vine Sapin voit débarquer, sur son bureau, des dossiers d’en­tre­prises de toutes tailles, de la petite TPE locale dont la tréso­re­rie est à sec à la multi­na­tio­nale dont la procé­dure peut concer­ner plusieurs centaines de sala­riés. « Les “petits” dossiers m’ap­portent autant de satis­fac­tion, si ce n’est plus, car j’ai le senti­ment d’être véri­ta­ble­ment utile aux côtés d’en­tre­pre­neurs qui ont mis les écono­mies d’une vie dans leur société et qui risquent de tout perdre. Ce ne sont pas des dossiers média­tiques, mais ils me tiennent à cœur. » Le métier est évidem­ment très prenant. « On sait quand les jour­nées commencent, jamais quand elles finissent. Et comme j’ai trois enfants, il faut être bien orga­ni­sée », commente Ludi­vine Sapin. Une orga­ni­sa­tion au quoti­dien qui impres­sionne son entou­rage. « Je connais des gens moins occu­pés qu’elle qui n’ont jamais le temps de boire un verre. Elle si… Je me demande parfois comment elle fait », vante son autre proche Joseph Brigneaud, un inves­tis­seur en capi­tal rencon­tré au Cercle Féal. « Je ne lui dis pas, mais je suis admi­ra­tif de la manière dont elle mène à la fois une vie fami­liale et une carrière profes­sion­nelle de premier plan », en fait même des éloges Bruno Sapin. C’est dire.

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