Jean-Christophe Vincent a donc ouvert à la mi-mai, le troisième grand chapitre de son parcours professionnel. L’ancien ambitieux militant strauss-kahnien, retiré du jeu politique après l’affaire du Sofitel en 2011, et devenu depuis spécialiste des relations institutionnelles et affaires publiques chez Serfim puis 6e Sens Immobilier, succède à l’emblématique Mohamed Tria, à la présidence de Lyon-La Duchère. Choisi par Nicolas Gagneux, le président de 6e Sens Immobilier et actionnaire majoritaire du club, il aura la lourde tâche de relever le deuxième fleuron du foot lyonnais, descendu en quatrième division au terme d’une saison calamiteuse.
Une nouvelle étape de taille pour cet enfant du 9e arrondissement, très attaché à son territoire et plus habitué jusqu’à présent à un rôle tout en discrétion, loin des lumières et des projecteurs. « Il a toujours été cet homme de l’ombre, jamais vraiment au premier rang, qui conseillait plus ou moins bien »,souffle l’ancien président (PS) de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, qui a beaucoup côtoyé Jean-Christophe Vincent dans les rangs du PS, notamment lorsque celui-ci occupait le poste de secrétaire général du groupe PS à la Région.
« Il a toujours aimé être celui qui conseille, oriente, et accompagne. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il n’aurait pas aimé être élu », prolonge son ami Erick Roux de Bézieux, le fondateur de l’agence de communication Syntagme. Mais les aléas de la vie politique, ses relations troubles avec Gérard Collomb (voir encadré) et surtout la chute de Dominique Strauss-Kahn, auront foudroyé les ambitions politiques de ce militant social-démocrate. « Si l’histoire avec DSK ne s’était pas terminée de la sorte, ma perspective, c’était de me présenter aux législatives de 2012 sur la 2e circonscription du Rhône, celle où j’habite et où Hubert Julien-Laferrière est aujourd’hui élu », précise le principal intéressé.
« Il a l’étoffe et connaît le club depuis longtemps. C’était une évidence de le nommer à la présidence »
Nicolas Gagneux, Président de 6e Sens Immobilier et actionnaire majoritaire de Lyon-La Duchère
Dix ans presque jour pour jour, après l’éclatement de l’affaire du Sofitel, Jean-Christophe Vincent découvre donc enfin le devant de la scène à La Duchère. Le quinquagénaire prend les rênes d’un club qu’il connaît bien, pour avoir développé dès 2008 – et toujours dans l’ombre -, les actions socio-éducatives et partenariats privés aux côtés de Mohamed Tria.
« Il a longtemps rêvé de cet engagement sur le plan social et politique, sans jamais avoir l’occasion de le faire au niveau où il le souhaitait, donc c’est une belle opportunité qui s’offre à lui aujourd’hui dans ce club très impliqué sur le champ social », détaille Jean-Jack Queyranne. « Jean-Christophe a toujours eu cette sensibilité et cette attention particulière sur les problématiques d’insertion et d’intégration, complète David Kimelfeld, ancien président de la Métropole et proche de « JCV » depuis leur rencontre au PS dans les années 2000. Le club de La Duchère n’est pas qu’un simple club sportif ; il ne lui faut pas un président qui n’ait que la vision du résultat sportif mais qui aille bien au-delà. Et pour le coup, Jean-Christophe est totalement adapté à cela. »
Numéro 2 du PS du Rhône
Bien avant le PS, Serfim, 6e sens Immobilier et le club de Lyon-La Duchère, la trajectoire de Jean-Christophe Vincent s’écrit dans les années 1990 au Centre Pierre Léon, le centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise. « Je rêvais de devenir anthropologue, j’ai fait une thèse que j’ai finalement abandonné après six années lorsqu’un copain m’a dit qu’ils recrutaient quelqu’un pour être directeur du cabinet du PS du Rhône auprès de Sylvie Guillaume. » Seul des 27 candidats à ne pas être encarté, JCV, en concurrence avec le futur ministre Olivier Dussopt, est finalement choisi et intègre le PS au début des années 2000.
À tout juste 30 ans, ce novice de la politique impose rapidement sa patte au sein de la fédération rhodanienne du parti. « C’est un garçon avec une personnalité forte et des vraies convictions affirmées, il n’est pas du tout effacé. Il y avait donc des gens avec qui il s’entendait très bien, et d’autres avec lesquelles le débat était beaucoup plus animé », se souvient le député Hubert Julien-Laferrière, l’un de ses amis proches, rencontré dans le 9e arrondissement. « J’ai travaillé à cette période pour Sylvie Guillaume et Christiane Demontès, deux femmes pleines de conviction, avec des forts caractères. Et comme je ne suis pas réputé pour me laisser faire, il y avait parfois des gros coups de gueule », se remémore Jean-Christophe Vincent.
Dans la lignée de cette première expérience, il découvre, après les régionales de 2004, un nouveau rôle comme secrétaire général du groupe PS à la région, et est nommé dans le même temps secrétaire fédéral du PS dans le Rhône. Considéré comme le numéro 2 de la section départementale du parti (derrière Christiane Demontès puis Jacky Darne), il rejoint à cette époque le petit club fermé des Rugissants, répondant à l’appel d’Erick Roux de Bézieux et Romain Blachier.
« On avait créé ce club qui réunissait une quinzaine de personnalités de la politique lyonnaise qui avaient entre 30 et 40 ans, avec un potentiel rôle politique à jouer ultérieurement, témoigne Erick Roux de Bézieux. L’idée, c’était de faire en sorte que les gens se parlent et arrêtent de considérer qu’untel était un con parce qu’il était de gauche, ou qu’un autre était un imbécile parce qu’il était de droite. » Parmi les convives présents autour de la table : Farida Boudaoud, Elodie Roux de Bézieux, Thomas Rudigoz, Fouziya Bouzerda… « Je crois que je suis le seul à ne pas avoir été élu dans cette histoire », ironise avec recul et frustration Jean-Christophe Vincent.
Le traumatisme de la chute de DSK
Car le militant strauss-kahnien, qui servait parfois de chauffeur au leader socialiste entre deux rendez-vous dans le Rhône, s’imaginait bien siéger dans l’hémicycle du Palais Bourbon en 2012, après la supposée victoire à la Présidentielle de « son » candidat, grand favori des sondages. Un rêve envolé au printemps 2011 lorsqu’il découvre, hébété, Dominique Strauss-Kahn menotté et escorté par la police new-yorkaise.
« Tout le monde a compris que c’était complètement fini, mais je continuais à y croire. J’ai mis du temps à comprendre, je lisais tous les documents qui sortaient, je me disais qu’un complot allait sortir, qu’il allait être réhabilité. Ça paraissait tellement grotesque que c’était compliqué face à l’énormité de la situation et après 10 ans de travail auprès d’une équipe, de se dire que ça y est, c’était terminé. » Après quelques mois passés à défendre DSK dans la presse lyonnaise, Jean-Christophe Vincent, résigné, finit par accepter son sort et l’envol de ses ambitions électorales. « C’est une frustration parce que j’ai l’impression de ne pas être allé au bout de quelque chose alors que j’avais beaucoup travaillé pour. Alors j’ai décidé de quitter la politique. Sans DSK, je n’avais pas vocation à rester au PS. »
En contact avec de nombreux chefs d’entreprise, il rebondit dans le privé chez Serfim, comme directeur du développement et des relations publiques au printemps 2012, séduit par le discours de Guy Mathiolon qu’il aurait pu rejoindre quelques années plus tôt à la CCI. « On a considéré que son profil, par son parcours et sa personnalité, pouvait nous être utile dans l’entreprise, avance le président de Serfim. Son rôle était de faire connaître l’entreprise auprès des collectivités pour montrer que nous étions un acteur crédible et que nos dossiers de réponse aux appels d’offre ne finissent pas à la poubelle. »
« En politique, il a toujours été cet homme de l’ombre, jamais vraiment au premier rang, qui conseillait plus ou moins bien... »
Jean-Jack Queyranne
Un rôle de lobbyiste influenceur parfaitement adapté à cet ex-homme de l’ombre du jeu politique. « Je ne cherche à influencer personne, précise toutefois Jean-Christophe Vincent. Mon rôle, c’est de renforcer l’identité et la notoriété d’une entreprise pour donner envie de travailler avec elle. » Un virage professionnel salué par ses anciens camarades socialistes.
« Passer des cercles politiques au monde de l’entreprise, ce n’est pas si évident et je sais de quoi je parle, concède David Kimelfeld qui travaille pour l’agence Syntagme d’Erick Roux de Bézieux depuis sa défaite aux métropolitaines. Mais Jean-Christophe a eu la capacité de rebondir et de s’adapter très rapidement, il a grandement oeuvré pour l’installation de Serfim dans le paysage lyonnais. »
L’AS Duchère depuis 20 ans
Mais après huit années passées aux côtés de Guy Mathiolon, JCV quitte l’entreprise en septembre dernier, pour rejoindre 6e Sens Immobilier comme directeur général délégué stratégie et relations publiques. « On a senti qu’on avait de réels besoins sur la transversalité et les relations publiques, un poste qui n’existait pas chez nous, révèle Nicolas Gagneux, président de 6e Sens. On a rencontré Jean-Christophe à la Duchère, quand nous sommes devenus actionnaires majoritaires du club et le feeling est rapidement passé puisque c’est quelqu’un qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui dit les choses. C’est une qualité importante aujourd’hui. »
Son arrivée chez 6e Sens est officialisée moins de six mois après les premiers échanges. « Nicolas et Romain (Valéry, DG de 6e Sens) m’ont expliqué qu’à leur stade de développement, ils avaient besoin d’un profil comme le mien, souligne Jean-Christophe Vincent. Et en parallèle, les changements chez Serfim faisaient que c’était aussi le moment de partir. Mon rôle était très lié à Guy, et l’arrivée de sa fille Alexandra à la présidence était plutôt synonyme d’une perte de pouvoir pour moi. Je ne suis pas certain qu’on se serait bien entendu. Elle arrive, à elle de choisir les personnes avec qui travailler et non des gens choisis par son père. »
Un point de vue partagé par Guy Mathiolon : « Son départ s’est très bien passé et c’est d’ailleurs assez rare quand cela se passe aussi bien. J’ai complètement compris ses motivations et je trouve son choix de carrière intelligent. L’arrivée de ma fille dans l’entreprise faisait qu’il fallait peut-être renouveler le comité de direction, et compte-tenu de l’activité de 6e Sens, je pense que sa valeur ajoutée va sans doute être encore plus forte que chez nous. »
« Je ne suis pas réputé pour me laisser faire »
Jean-Christophe Vincent
Au sein du groupe immobilier lyonnais, Jean-Christophe Vincent est donc en charge des relations publiques, de la transversalité, du fonds de dotation, et depuis mai dernier, de la présidence du club de Lyon-La Duchère. Un club qu’il fréquente depuis près de 20 ans, d’abord en tribunes avec ses amis politiques du 9e Mickael Sabatier, Yvon Perez et Hubert Julien-Laferrière, puis aux côtés du président Mohamed Tria, depuis 2008.
« Je militais avec son frère Nordine qui connaissait mon appétence pour le club et mes réseaux relationnels. Donc il m’a rapidement présenté à Mohamed lorsqu’il est devenu président. » Membre du comité de direction, JCV s’occupe de mettre en relation le club avec des partenaires privés et initie les premières actions sociales du club, à l’image du forum de l’emploi « Ton Métier C’est Ton But », lancé en 2013.
Et lorsque Mohamed Tria, fatigué par 13 années de présidence et une dernière saison catastrophique (le club visait la Ligue 2 mais descend en 4e division), choisit au printemps dernier de passer la main, les nouveaux propriétaires du club n’hésitent pas longtemps sur l’identité de son successeur. « C’était le choix le plus logique et une évidence, confirme Nicolas Gagneux. Jean-Christophe est celui qui connaît le mieux le club puisqu’il était déjà là avant. Il a l’étoffe et la stature pour nous emmener là où on veut être sur les aspects sociaux et sociétaux. »
Une arrivée vue d’un bon œil par les éducateurs sportifs comme Ibrahim Tan, au club depuis dix ans : « On le connaît bien, il est au club depuis longtemps et certains d’entre nous ont même eu son fils comme joueur. Il s’inscrit dans la continuité de Mohamed sur les aspects socio-éducatifs, la formation au club et le développement de la section féminine. »
Retour en politique ?
Le néo-président qui « passe sans cesse d’un sujet 6e Sens à un autre Lyon-La Duchère et inversement entre 7h et 23h » sort donc enfin de l’ombre. « Avant comme conseiller, il proposait des choses et était ensuite confronté à un arbitrage en sa faveur ou en sa défaveur. Là, il va pouvoir mettre en place son projet et démontrer qu’il a la capacité de gérer ça par lui-même, souffle son ami Mickaël Sabatier, qui lui a fait découvrir le club au début des années 2000. Quand il a un objectif en tête, il ne le lâche pas, il est déterminé et cela va faire du bien au club. Quand on joue ensemble, il est toujours en attaque, et même s’il se cassait une jambe, il continuerait avec l’autre pour essayer de marquer. L’objectif, c’est que le but rentre, il s’en fout s’il doit aller mettre un plâtre après. » Un témoignage confirmé par Hubert Julien-Laferrière, gardien de l’équipe, qui s’était cassé une cote lors d’un duel musclé avec JCV sur le terrain : « C’est quelqu’un de très investi. Avec son engagement pour la jeunesse et l’insertion, il fera un très bon président. »
Et ce nouveau rôle, plus exposé, laisse supposer à certains observateurs un potentiel retour du Strauss-kahnien dans la politique lyonnaise, notamment dans le 9e arrondissement. « Quand on a fait une bonne partie de sa vie dans le monde politique, on ne quitte jamais la politique, affirme son ami Erick Roux de Bézieux. Mais quand vous êtes président de Lyon-La Duchère, avec des actions sociales qui fonctionnent, vous êtes dans la vraie politique, celle qui construit. C’est plus gratifiant que d’avoir une cocarde sur sa voiture. » Le principal intéressé, connu dans le microcosme lyonnais pour organiser de nombreux dîners chez lui avec des personnalités des milieux associatif, politique, économique ou journalistique, assure de son côté « n’avoir aucune ambition politique ». Le regard tourné vers l’avenir, plutôt que vers son passé.
« Gérard Collomb m’a pris pour un con »
Proche de l’ancien maire de Lyon pendant de nombreuses années, le visage de Jean-Christophe Vincent se crispe à l’évocation du nom de Gérard Collomb : « Ne me dîtes surtout pas que j’ai été un fidèle de Gérard Collomb. D’abord, je ne suis pas fidèle, parce que je ne suis pas un clébard et avec lui, j’ai eu des très hauts et des très bas. Ça a été une relation en dents de scie, avec des moments très forts et d’autres très décevants où il n’y avait rien à attendre d’un homme qui ne pensait qu’à lui et qui estimait qu’il avait toujours raison sur tout. En mars 2019, il m’a proposé d’être maire du 9e lors des dernières élections et en juillet 2019, ce n’était plus le cas. Il m’a pris pour un con. Je lui ai dit les 20 ans de déception qu’il représentait pour moi et je me suis barré »
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