Côté italien, on commence à s’impatienter des lenteurs françaises. Et, pour l’Union européenne, les tergiversations de la France agacent franchement. Avec la présidence française de l’Union européenne qui commence dans deux semaines, les soutiens historiques du Lyon-Turin espèrent qu’Emmanuel Macron va prendre le taureau par les cornes et faire bouger les lignes. Officiellement, le projet de liaison à grande vitesse Lyon-Turin est bien sur les rails. Côté tunnel international (57 km sous les Alpes, dont 42 km pour la France), le chantier est engagé de façon irréversible. Un peu plus de 3 milliards d’euros de travaux ont été attribués au début de cet été (Vinci, Eiffage, NGE) par le maître d’ouvrage public franco-italien TELT pour la partie française.
Un temps gênés aux entournures par les oppositions du Mouvement 5 étoiles, les Italiens se sont remis en ordre de marche pour ce projet, clairement soutenu par le gouvernement de Mario Draghi et la nouvelle municipalité en place à Turin. Tant et si bien que leurs voies d’accès seront prêtes, de leur côté, lorsque le tunnel ouvrira dans 10 ans, en 2031. Les annonces fortes de l’Union européenne : prise en charge à 55% du financement du tunnel international et capacité à financer jusqu’à 50% les voies d’accès tant du côté italien que du côté français ont été reçues 5 sur 5 de l’autre côté des Alpes.
« Si on continue comme cela, on va tout droit vers un accident industriel »
Côté français, de réunion en réunion, force est de constater que, depuis la DUP (Déclaration d’utilité publique) de 2013 autour des tronçons prioritaires (avec 3 scénarios), aucun engagement précis sur la réalisation de ces voies d’accès, notamment en termes de calendrier n’a été acté. Lorsque Jean-Jack Queyranne était encore président de la Région Rhône-Alpes, le principe d’un engagement de toutes les collectivités locales à hauteur de 1 milliard d’euros avait été évoqué. Engagement clairement renouvelé du côté de Laurent Wauquiez à plusieurs reprises. Curieusement, alors que l’engagement de l’Union européenne à hauteur de 50%, soit 2,5 milliards d’euros sur les 5 milliards d’euros de travaux d’accès au tunnel côté français, simplifie l’équation financière, il n’est véritablement question que de moderniser la ligne Dijon-Modane. « Dijon-Modane, ce n’est pas ce qu’attendent les Italiens, peste un expert du dossier. Il y a beaucoup plus urgent. Ce qui compte, c’est l’axe Lyon-Turin-Milan et Milan-Lyon-Marseille-Barcelone ».
Résultat, alors que les voies d’accès italiennes permettront d’absorber un trafic potentiel de 25 millions de tonnes par an, à la sortie du tunnel, les voies françaises ne pourront absorber « que » 10 millions de tonnes. « Si on continue comme cela, on va tout droit vers un accident industriel », estime un spécialiste du transport. Et de rappeler que les Anglais qui n’ont aménagé leurs voies d’accès de Londres à l’Eurotunnel qu’avec plusieurs années de retard ont repoussé d’autant, à l’époque, l’essor de l’Eurostar. En nombre de trains, l’Italie sur ses voies d’accès finalisées pourrait accueillir 165 trains de marchandises au standard européen/jour contre 94 trains côté français. En termes de trafic passagers, 24 trains devraient circuler quotidiennement représentant un trafic potentiel de 4 millions de passagers/an.
Josiane Beaud en pole position
Après un Comité de pilotage hier autour du préfet Pascal Mailhos, c’est la Commission intergouvernementale -CIG- qui se réunit demain. Présidée par l’Italien Paolo Foietta, la CIG, passera sous présidence française en 2022, en l’occurrence, c’est Josiane Beaud, en tant que cheffe de la délégation française qui en deviendra la présidente. Ancienne directrice régionale de la SNCF à Lyon et Directrice générale des services du Grand Lyon sous Raymond Barre et récemment 1ère adjointe à la mairie de Chambéry (2014–2020), elle connaît toutes les arcanes politico-administratives d’un tel dossier. Difficile pour la France, à la tête de cette CIG et de l’Union européenne au 1er semestre 2022, de louvoyer plus longtemps. A l’heure de la relance, des investissements d’avenir et du traité du Quirinal, la volonté politique devrait primer dans ce dossier dont il est question depuis un quart de siècle.