Article paru dans le magazine Lyon Décideurs #21 de décembre 2021
Le voilà, le premier gros dossier porté par Renaud Payre depuis sa nomination à la vice-présidence de la Métropole en charge du logement et de la politique de la ville. Élu pour la première fois en juin 2020 avec la vague verte, à lui maintenant de défendre l’expérimentation, lancée depuis le 1er novembre, de l’encadrement des loyers à Lyon et Villeurbanne. Soit l’une des mesures phares du début de mandat de l’exécutif écolo qui provoque, comme attendu, la fureur des professionnels de l’immobilier vent debout contre une mesure considérée comme « totalement inefficace » et « injuste ». Petites lunettes carrées, cheveux grisonnants et débit rapide, Renaud Payre assume : « J’entends leur désarroi, leur mécontentement, et l’on ne prend pas cette mesure pour les fâcher. Mais ce n’est effectivement pas pour eux que nous mettons en place l’encadrement des loyers, mais pour tous les habitants de la Métropole – étudiants, familles monoparentales… – qui n’arrivent plus à se loger et qui sont, eux, largement favorables à cette mesure. »
Et si le sujet est du genre explosif, Renaud Payre réussit – pour l’instant en tout cas – à être moins impopulaire que la mesure qu’il défend auprès de ses interlocuteurs mécontents. « Il est ouvert et écoute ce qu’on lui dit, juge ainsi Nicolas Bouscasse, le président de la Fnaim du Rhône, pourtant l’un des principaux visages lyonnais de la fronde anti-encadrement. C’est un monsieur qui veut bien faire et qui a bien bossé ses dossiers, mais, dans cette affaire de l’encadrement des loyers, on a l’impression qu’il n’est qu’un messager de la Métropole pour faire passer la pastille. C’est dommage qu’il n’ait pas plus d’autonomie, car il aurait sans doute des choses à apporter pour inverser la tendance. » « Je travaille très régulièrement avec lui, et Renaud Payre semble très investi dans sa mission. C’est un interlocuteur avec qui l’on peut dialoguer. On sent que, du fait de son parcours, il a vite été à l’aise dans la fonction », complète de son côté Philippe Layec, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) en région lyonnaise.
Ce que confirme l’intéressé : « Oui, je me sens à ma place à la vice-présidence de la Métropole en charge du logement. Et je suis très heureux d’avoir mon premier mandat à 45 ans, je n’aurais jamais senti de le faire il y a dix ans. » Pour ses proches en tout cas, cette vice-présidence résonne comme une sorte de « suite logique » dans la carrière de Renaud Payre. « C’est tout à fait dans la continuité de la personne engagée qu’il est depuis des années », juge ainsi Gwendoline Lefebvre, ex-adjointe dans le 9e arrondissement qui a accompagné Renaud Payre lors de la campagne de 2020 dans la Métropole.
Combats
Car, s’il est un nouvel élu, le désormais troisième vice-président de la Métropole n’en est pas moins une figure connue qui navigue depuis une décennie dans le microcosme politique lyonnais. Notamment pour être le cofondateur, en 2012, du Gram (Groupe de réflexion et d’actions métropolitaines) avec Nathalie Perrin-Gilbert, alors maire du 1er arrondissement. Une formation politique – qui s’exportera peu en dehors du 1er arrondissement – à la ligne à la fois à gauche et très anti-Collomb sur laquelle NPG s’appuie pour décrocher un nouveau mandat aux municipales de 2014. Renaud Payre n’est à ce moment pas en première ligne – il ne fait pas partie de l’équipe municipale du 1er arrondissement – mais il conseille, joue le rôle de stratège, accompagne les élus…
Il est alors en plein dans la mécanique d’opposition face à la mairie centrale et au système Collomb. « Le Gram était une belle aventure. Je suis fier de ces années et je garde une grande estime pour les combats que nous avons menés », affirme aujourd’hui Renaud Payre. Même si l’aventure s’est très mal terminée, minée par les tensions internes : le binôme Perrin-Gilbert/Payre explose fin 2017 quand plusieurs membres du Gram, Renaud Payre en tête, se désolidarisent de la maire du premier, dénonçant publiquement, parmi une pluie de reproches, une « personnalisation du pouvoir ». Quatre ans plus tard, la cicatrice n’est toujours pas refermée : Renaud Payre comme Nathalie Perrin-Gilbert (qui n’a pas répondu à nos sollicitations, NDLR) ne souhaitent plus s’épancher sur le sujet. Il faut dire que les relations restent glaciales. Même si tous deux ont décroché des strapontins avec la vague verte, le vice-président de la Métropole en charge du logement et l’adjointe de la Ville de Lyon en charge de la culture ont finalement peu de chance de se croiser sur le terrain, et c’est très bien ainsi.
Préoccupations intellectuelles
Parallèlement à cet engagement politique au Gram, l’ambitieux Renaud Payre prenait du grade à Sciences Po. Directeur adjoint à partir de 2014, le professeur de sciences politiques et directeur du laboratoire de recherche Triangle de l’ENS, accède à la direction de l’école lyonnaise, en juin 2016, au terme d’un psychodrame interne. Le président d’alors, Vincent Michelot (qui n’a pas répondu à nos sollicitations, NDLR) étant poussé vers la sortie par une démission collective de plusieurs membres de l’équipe de direction évoquant « de graves dysfonctionnements et un manque de clarté dans la gouvernance ».
En clair, ils dénoncent une erreur de casting. Déjà intéressé par le poste de directeur de Sciences Po en 2014, Renaud Payre, qui se revendique « ami » de Vincent Michelot, fait partie des démissionnaires. Avant de se déclarer très vite comme candidat à la succession. Il n’en fallait pas plus pour faire planer l’ombre d’une tentative de putsch. « Je sais que c’est ce qui avait été écrit à l’époque dans la presse, mais ce n’est pas cela du tout. J’ai cosigné la lettre de démission du comité de direction, car on ne pouvait plus continuer ainsi, il fallait, pour Sciences Po, que la situation évolue. Mais je n’ai jamais mis en place de stratégie de déstabilisation de l’institution pour en prendre la direction », se défend Renaud Payre.
Une fois en poste, il multiplie les projets : intégration de ParcourSup, développement des doubles diplômes à l’international, ouverture d’un campus à Saint-Étienne en 2017, ou encore création d’une public factory présentée comme une « fabrique de l’innovation », qui vise à créer des liens entre étudiants, chercheurs, acteurs publics… « Son mandat à la direction de Sciences Po a été très intense jusqu’à la pandémie. Il a pris beaucoup d’initiatives pour poursuivre l’autonomie de Sciences Po Lyon et lui apporter une meilleure visibilité », juge ainsi Gilles Pollet, ancien directeur de Sciences Po Lyon (2004-2014), qui connaît Renaud Payre de longue date. Et pour cause, il était son prof à Sciences Po Grenoble, avant d’être, quelques années plus tard, membre du jury de sa thèse sur le pouvoir municipal dans la première moitié du vingtième siècle. « Renaud était un des rares étudiants avec des préoccupations intellectuelles. Et il a toujours eu un intérêt pour la chose publique. En cela, son engagement politique ne m’étonne absolument pas », poursuit Gilles Pollet.
Déception
Et, si Renaud Payre assure qu’il « s’éclatait parfaitement à Sciences Po », le déclic a lieu en 2019. Homme de gauche depuis toujours, né dans une famille socialiste (parti dont il fut brièvement encarté après l’élection de Sarkozy), l’universitaire se désespère alors de voir la gauche sombrer. « Ma famille politique était en perte de vitesse, et je considérais que la Métropole de Lyon allait dans le mauvais sens avec Gérard Collomb. C’était donc le moment de m’engager. Et quand il faut y aller, j’y vais. Je n’ai pas peur de m’exposer », rembobine Renaud Payre.
Son objectif n’est pas des moindres : recréer une gauche plurielle à la lyonnaise. Il initie, pour cela, un mouvement nommé Madame Z, qui vise à rassembler les forces de gauches (PS, écolo, France Insoumise, PCF, Génération.s…) sans mettre une personnalité en avant. « Le projet d’abord », martèle-t-il à l’époque. Au casting de départ figurent notamment le futur maire (EELV) de Lyon Grégory Doucet et le futur maire (PS) de Villeurbanne Cédric Van Styvendael. « Quand il a lancé Madame Z, je me suis dit que l’on se posait un peu les mêmes questions au même moment, commente Cédric Van Styvendael. Il était, comme moi, un nouvel entrant en politique. Nous avions donc tous deux la conviction que pour changer les choses, il fallait embrayer. Renaud Payre fait partie de ceux qui en ont l’envie et la capacité, mais c’était un choix professionnel assez courageux. Car être le patron de Sciences Po, ce n’est pas n’importe quoi en termes de notoriété et de confort. » Madame Z s’efface assez rapidement, les écolos quittant le navire pour se lancer en solo, portés par une vague prometteuse dans les sondages. « Madame Z n’a pas eu un grand succès, mais cela a permis de poser sur la table le débat de l’alliance des partis de gauche », poursuit Cédric Van Styvendael.
Surtout, Renaud Payre ne renonce pas et présente, en janvier 2020, les têtes de liste de la Gauche unie pour la Métropole. Candidat à la présidence de la Métropole, Renaud Payre compte dans ses troupes quelques têtes d’affiche, à l’image de Cédric Van Styvendael, Sandrine Runel (adjointe au maire du 8e et élue à la Métropole), Jean-Michel Longueval (alors maire de Bron) ou encore Christiane Charnay (alors maire de Givors). Mais le soir du premier tour des élections métropolitaines, c’est la douche froide : la Gauche unie ne récolte que 9 % des voix, tandis que la tête de liste Renaud Payre, candidat dans la circonscription Lyon-Sud, échoue à moins de 6 % des suffrages.
Une claque. « ça a été une déception, je ne le cache pas. Mais se lancer en 2020 en portant un projet pour la gauche, ce n’était pas la facilité. Je savais dès le départ que la Gauche unie avait une chance minime de gagner », euphémise-t-il. Tout le monde savait également que la Gauche unie allait rejoindre les Verts pour le second tour. Ce qui ne tarda pas à être officialisé par Renaud Payre. « Et je n’ai absolument rien demandé à Bruno Bernard lors du ralliement », prend-il le soin de préciser. La rumeur l’envoyait alors vers une vice-présidence à l’enseignement supérieur, son domaine de prédilection.
Mais lorsque Bruno Bernard, fraîchement élu à la présidence de la Métropole, annonce à Renaud Payre qu’il compte lui confier un poste dans l’exécutif, la réponse est claire : « Je ne voulais absolument pas de l’enseignement supérieur. C’est moi qui ai demandé à avoir le logement, car c’est l’une des pierres angulaires de ce que nous voulons créer pour le futur : une Métropole qui se mélange, accessible à tous », expose Renaud Payre, qui récolte un portefeuille regroupant aussi bien les questions de l’encadrement des loyers, du logement social que des squats et des logements indignes.
Fin tacticien
Il n’est pas un spécialiste du logement, mais « s’entoure, pose des questions, demande conseil à des spécialistes de ces sujets », rapporte l’un de ses proches. « Et il a pris la mesure de l’importance de la délégation qu’il porte », assure Gwendoline Lefebvre. « Il est sincère, enthousiaste et assez fin tacticien aussi. Il sera l’un des acteurs pour écrire une page d’histoire importante de la Métropole », reprend le maire de Villeurbanne Cédric Van Styvendael. Même Gérard Collomb, qui n’a pourtant pas été épargné par Renaud Payre à l’époque du Gram, se montre – presque – indulgent. « Renaud Payre est quelqu’un d’intelligent. À l’intérieur de la majorité, je pense qu’il est un de ceux qui peuvent avoir une vision, même s’il reste assez idéologique et un peu théoricien dans sa conception du logement. Mais c’est une personne avec qui on peut avoir des discussions », rapportait-il quelques jours après une entrevue. Les premiers pas de Renaud Payre en tant que vice-président sont donc plutôt salués. De quoi lui donner des envies pour la suite en politique ? « C’est un lieu commun de dire cela, mais je n’ai absolument pas de plan de carrière », affirme-t-il. Mais de l’ambition, oui, et cela Renaud Payre ne s’en cache pas. Vincent Lonchampt
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