Louis Thannberger avait relancé le match private equity versus bourse le mois dernier dans Lyon Décideurs. Dominique Nouvellet, l’ancien président et co-fondateur de Siparex (photo) lui répond dans l’entretien qu’il nous a accordé. L’occasion d’évoquer aussi avec lui la situation économique du pays après deux ans de crise sanitaire. Satisfecit pour les mesures gouvernementales. Le « quoi qu’il en coûte » a été utile. Restera néanmoins à rembourser les dettes… Quant à la suppression de l’ENA, l’ancien énarque considère qu’il s’agit d’une « ânerie », tout en considérant qu’elle s’accompagne de « réformes plus pertinentes », comme la remise en cause du statut « nobiliaire » des grandes corps que « le Président a eu le courage d’entreprendre. Mais cela ne nécessitait pas la suppression de l’école ». Pas encore complètement à la retraite, Dominique Nouvellet vient de conseiller récemment Africinvest, le leader du capital investissement en Afrique.
Lyon Décideurs : Louis Thannberger, que vous avez bien connu quand vous étiez à la tête de Siparex, relance le match dans les colonnes de Lyon Décideurs entre capital investissement et bourse, jugeant que l’argent levé en bourse laisse le dirigeant plus libre que celui apporté par des fonds d’investissement. Comment réagissez-vous ?
Dominique Nouvellet : En réalité, le débat ne se situe pas à ce niveau. Une société cotée n’a pas la liberté que l’on croit. Elle est sous la surveillance permanente du marché dont les réactions sont souvent inattendues. Ses actionnaires deviennent pour une large part, anonymes, ce qui implique pour le chef d’entreprise un gros travail d’écoute et une grande réactivité. Et puis, il peut y avoir des ramassages d’actions sur le marché provenant d’actionnaires qui, par définition, n’ont pas été choisis… Et dont certains peuvent contester avec plus ou moins de force la stratégie des dirigeants, au risque de déstabiliser l’entreprise. En revanche, avec les fonds d’investissement, le dirigeant choisit en toute liberté son partenaire pour mettre en œuvre une stratégie homologuée par les deux parties. Certes, au bout de quelques années, le fonds devra céder ses titres, car il a une durée de vie limitée. Ce départ doit être préparé en tenant compte de la stratégie industrielle et patrimoniale des parties prenantes. Cette sortie peut d’ailleurs se faire en bourse. Siparex a ainsi participé à l’introduction en bourse de plus de trente de ses participations. La liberté du dirigeant dans ce cas, s’exerce pleinement dans le choix du fonds qui l’accompagnera : il y en a des sérieux qui apportent une vraie expertise et d’autres qui le sont moins. Entre la bourse et les fonds d’investissement, le choix du dirigeant implique une vraie réflexion stratégique qui ne se réduit pas à une question de liberté.
La bourse a battu record sur record fin 2021 et les premiers jours de 2022. Les levées de fonds n’ont jamais été aussi nombreuses. La France a franchi le cap des 25 licornes, 3 ans avant la date fixée par Emmanuel Macron. Cet argent qui coule à flot, pour ne pas dire cet argent facile, cela vous fait-il peur ?
Cette abondance d’argent a l’avantage d’arriver à un moment où l’esprit d’entreprise repart fortement dans notre pays qui, je le rappelle, ne dispose pas de fonds de pension pour financer ses investissements à risque. Cet argent vient aux entreprises par différents canaux dont celui des particuliers, notamment fortunés, qui trouvent dans les PME et les start up des occasions de placement avec des rendements beaucoup plus élevés que les placements sans risque. J’ajouterais : pourvu que ce phénomène s’inscrive dans la durée pour changer réellement les habitudes des investisseurs et fasse disparaître leur allergie à la prise de risque ! J’observe avec plaisir que Siparex, comme tous les bons gestionnaires, en profite avec des levées de fonds record. Il faut dire que notre réputation tient beaucoup à la culture d’entreprise bâtie depuis l’origine par les trois fondateurs du groupe: Gilles Brac de La Perrière, Jean Montet et moi-même. Celle-ci donne confiance : parmi les investisseurs qui ont participé à l’augmentation de capital récente de Siparex Associés, sur les 9 investisseurs cités, 6 sont des actionnaires ayant participé à la création du groupe il y a 40 ans….Belle fidélité ! Le risque de l’argent abondant, c’est le risque de l’argent facile… Il faut donc que les investisseurs soient très prudents et hyper sélectifs dans le choix de leurs investissements. Car les prix des actifs ont partout augmenté de façon irrationnelle : dans le capital investissement, en bourse, dans l’immobilier. Normalement, cela devrait entraîner un retournement des marchés, d’autant plus que les banques centrales qui sont à l’origine de cet argent abondant sont, pour certaines du moins, en train de changer de stratégie et que les menaces géopolitiques accroissent la peur des épargnants.
Quel regard portez-vous sur la situation économique en France après deux ans de crise sanitaire ?
Les chiffres montrent que la situation économique s’est beaucoup améliorée en France grâce notamment aux mesures gouvernementales. Le « quoi qu’il en coûte » a permis d’éviter la défaillance de très nombreuses entreprises et la mise au chômage de milliers de nos concitoyens avec les risques sociaux et politiques que cela aurait entraînés. Cela a permis un redémarrage rapide car l’outil de production et les services n’ont pas été cassés par la crise sanitaire. Cela étant, il va falloir rembourser les sommes que l’Etat a empruntés à un moment où les taux d’intérêt remontent. Bonne chance au prochain gouvernement… Quoi qu’en disent les politiques, il n’y aura pas de solution miracle pour rembourser rapidement la dette.
L’ancien énarque que vous êtes approuve-t-il la suppression de l’ENA et son remplacement par l’Institut national de service public ?
Personnellement je pense que c’est une ânerie car l’administration a toujours joué un grand rôle dans les équilibres du pays, comme l’a montré encore récemment la solidité des experts qui ont travaillé à Bercy avec Bruno Le Maire. L’avenir très incertain que nous percevons devant nous nécessitera une administration forte et compétente. En plus, l’ENA avait un prestige à l’étranger que cet institut fourre-tout n’aura pas.
Notre système n’est pas parfait et la suppression de l’ENA s’accompagne de réformes plus pertinentes, comme la remise en cause du statut « nobiliaire » des grandes corps que le Président a eu le courage d’entreprendre. Mais cela ne nécessitait pas la suppression de l’école. Cette réforme s’inscrit dans un anti élitisme dangereux qui détournera les meilleurs étudiants d’entrer dans la fonction publique.
Que devenez-vous, douze ans après avoir quitté la présidence de Siparex ? Etes-vous un retraité heureux aujourd’hui?
Oui, mais j’ai mis du temps. Les circonstances de mon départ n’ont pas été faciles, loin de là. Mais je reste fidèle au groupe que j’ai créé, dirigé et façonné pendant plus de 30 ans. Maintenant, je peux enfin passer la majorité de mon temps avec ma femme et mes enfants qui ont vécu intensément avec moi l’aventure de Siparex et mes petits-enfants. Je lis beaucoup, je rencontre mes amis fidèles notamment de nombreux amis de Siparex et j’essaie de conseiller ceux qui me le demandent. Ma dernière action professionnelle, dont je suis très heureux, a été de conseiller le groupe Africinvest, le leader du capital investissement en Afrique dont je suis administrateur à titre personnel, qui a négocié avec la famille Michelin et avec mon appui une souscription de plusieurs millions d’euros dans l’un de ses fonds. Finalisée fin décembre, la négociation s’est faite directement avec Vincent Montagne, neveu de François Michelin.
Propos recueillis par Jean-Pierre Vacher