LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Marie-Josèphe Laurent : Objectif atteint

Elle est depuis le 1er janvier la troisième femme bâtonnière du barreau de Lyon. Forte d’une expérience de plus de trente-cinq ans dans des cabinets d’affaires lyonnais, Marie-Josèphe Laurent s’est bâtie une solide réputation d’avocate tenace, opiniâtre, louée pour sa grande capacité de travail comme pour sa bienveillance à l’égard de ses confrères. Populaire et diplomate, elle aura pour mission de diriger, aux côtés de Jean-François Barre, un barreau secoué par plusieurs tempêtes ces derniers mois.

Sous les dorures de la grande salle du palais de la Bourse, les quelque 200 convives et 170 impétrants de la promotion Nasrin Sotoudeh – du nom de l’avocate iranienne spécialiste des droits de l’homme, aujourd’hui prisonnière politique en Iran – debout, réservent une longue salve d’applaudissements à Serge Deygas et Joëlle Forest-Chalvin.

Le bâtonnier et sa vice-bâtonnière tirent leur révérence en cette mi-décembre, au terme de vingt-quatre mois marqués par la crise épidémique, les périodes de confinement et le projet gouvernemental – très décrié par la profession – de suppression du régime autonome de retraite. « On nous avait dit que la vie de bâtonnier était faite de surprises quotidiennes, nous fûmes amplement servis », énonce un Serge Deygas heureux de transmettre quelques minutes plus tard le bâton symbolique à Marie-Josèphe Laurent et au vice-bâtonnier Jean-François Barre, le nouveau binôme qui présidera aux destinées du Barreau de Lyon jusqu’en décembre 2023.

« Cette passation, c’était un moment particulier pour moi, sans euphorie ni excitation, mais avec beaucoup de calme et d’humilité, rejoue quelques jours plus tard la nouvelle bâtonnière de Lyon, élue par ses pairs en novembre 2020. La seule chose qui m’a alors traversé l’esprit, c’est de me dire que j’espérais être à la hauteur de la mission… »

L’avocate de 61 ans, spécialiste du recouvrement, du droit immobilier, du droit des personnes et de la famille, est une figure bien connue du barreau de Lyon. Activement impliquée dans l’Ordre des avocats – comme membre du conseil de l’Ordre à Lyon ou du Conseil national des barreaux à l’échelle nationale –, son élection n’a pas surpris grand monde au sein de la profession.

« Depuis que je la connais, j’ai toujours entendu des confrères lui demander quand est-ce qu’elle comptait se présenter. Si bien que jusqu’à l’arrivée de Myriam Picot en 2010, beaucoup étaient persuadés que Marie-Jo serait la première femme bâtonnière de Lyon », note Stéphane Chouvellon, avocat associé de Marie-Josèphe Laurent au sein du cabinet Brumm & Associés entre 2005 et 2021.

« C’est une avocate populaire dans la profession compte tenu de ses divers engagements, mais elle a toujours eu une activité professionnelle très intense, et pas forcément le temps de se consacrer à cette mission de bâtonnière auparavant, souligne de son côté Farid Hamel, bâtonnier de Lyon entre 2018 et 2019. Maintenant qu’elle approche plutôt de la fin de carrière, elle a décrété que c’était le moment pour elle d’y aller. »

Un passage à l’acte également facilité par sa rencontre quelques années en arrière avec Jean-François Barre, avocat pénaliste lyonnais, avec qui Marie-Josèphe Laurent aura minutieusement préparé son programme et son projet. Ainsi à l’automne 2020, le duo est choisi par les 3600 avocats du barreau de Lyon et remporte l’élection face à Hubert de Boisse et Florence Wischer.

Après Myriam Picot (2010-2011) et Laurence Junod-Fanget (2016-2017), Marie-Josèphe Laurent devient donc la troisième femme élue bâtonnière du deuxième barreau de France. « Pour en avoir parlé avec elle, c’est une chose à laquelle elle tenait énormément, qui vient consacrer sa carrière », ajoute Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon. L’objectif est enfin atteint.

L’océan à la nage

Rien ne prédestinait pourtant celle que tout le monde surnomme aujourd’hui « Marie-Jo » à s’imposer comme une figure du monde judiciaire lyonnais. Née en Algérie d’un père militaire et d’une mère infirmière, Marie-Josèphe Laurent rentre en métropole avec sa famille, à l’âge de deux ans, à Nancy.

C’est ici, en Lorraine et lors d’une banale sortie scolaire au collège que la jeune fille découvre sa vocation : « Notre professeur d’histoire-géoéducation civique nous avait emmenés au palais de justice en 6e. Je suis sortie de là en sachant désormais ce que je voulais faire de ma vie. C’était comme une évidence et je ne me suis jamais intéressée dès lors à un autre métier. » Malgré quelques réticences et craintes dans son entourage – « on m’a répété que je n’y arriverais jamais avec des parents qui n’étaient pas eux-mêmes avocats et sans attache familiale dans la profession » –, l’adolescente reste fixée sur son cap.

Elle découvre Lyon à 18 ans, suite à la mutation de ses parents entre Rhône et Saône, passe ici son baccalauréat, suit ses études de droit et finit par atteindre son objectif en décembre 1984, à seulement 24 ans. « Je prête serment, je suis sur un nuage, mais très vite, j’ai l’impression de ne rien savoir faire. C’est un peu comme si vous appreniez la pâtisserie dans les livres et que du jour au lendemain, on vous mettait devant les fourneaux… J’avais l’impression de devoir traverser l’océan à la nage. »

Déboussolée, la jeune avocate s’appuie sur l’aide de son premier patron, Yves Bismuth, avocat associé chez Bismuth-Langrand. « Oui, on peut dire que c’est moi qui l’ai formée de A à Z, revendique aujourd’hui l’avocat lyonnais dans un sourire empli de fierté. Déjà à l’époque, je la sentais dans l’envie d’apprendre et de bien faire. Elle n’a jamais eu aucun problème à accepter mon exigence, je me doutais qu’elle allait faire une belle carrière. » La future bâtonnière de Lyon écoute, découvre, apprend et gagne en expérience.

« On se retrouvait tôt le matin et on descendait pendant près d’une heure au Moderne avenue de Saxe, le café en bas du cabinet, se souvient-elle. Il prenait le temps de corriger mes conclusions, mes assignations. Je lui suis vraiment très reconnaissante, il m’a fait confiance et j’ai beaucoup travaillé chez lui. Ça m’a donné une capacité de travail importante qui m’a bien servi pour la suite. »

La suite s’écrit aux côtés de Richard Brumm en 1988, après un court passage d’un an au sein du cabinet Verniau-Parado-Hamel, où Marie-Josèphe Laurent impressionne par ses qualités. « Elle n’est restée qu’un an, mais je garde le souvenir d’une avocate très accrocheuse, grande bosseuse, méthodique et organisée », se remémore Farid Hamel. Au sein du cabinet Brumm, elle s’ouvre à de nouvelles compétences comme le droit bancaire, un domaine dominant dans la clientèle du cabinet.

« Là encore, je suis tombée sur un homme exigeant, Richard Brumm, qui m’a beaucoup appris et fait confiance. » Les deux avocats, matinaux, se retrouvent aux aurores au cabinet pour faire le point sur les dossiers en cours. « Je me rappelle quelques engueulades mémorables entre cinq et six heures du matin où je pouvais lui reprocher des trucs avec une mauvaise foi terrible, narre aujourd’hui Richard Brumm. J’étais bien plus rigide et excessif qu’elle, alors qu’elle avait justement ce rôle un peu plus modérateur dans nos échanges. »

« Réflexes d’entrepreneur »

Après quatre années passées comme collaboratrice chez Brumm, Marie-Josèphe Laurent cherche alors à franchir un nouveau cap : « Je voulais devenir associée, mais Richard n’avait rien à me proposer. C’était sans doute prématuré pour lui… Alors je suis partie voir ailleurs. » Nous sommes en 1992 et la profession d’avocat, chamboulée par la fusion avec les conseils juridiques, se réorganise.

Éric César et Pascal Couturier, deux anciens de la maison Bismuth, la sollicitent alors pour monter un cabinet regroupant avocats et conseils juridiques. Bloquée dans sa progression chez Brumm, elle accepte et saute dans le train Légiconsultants. « Éric et Pascal m’ont tirée par la manche au bon moment. Avec eux, j’ai acquis des réflexes d’entrepreneur : le fait de se préoccuper de son chiffre d’affaires, de faire rentrer de l’argent, de se fixer des objectifs de développement… »

L’aventure dure treize ans, jusqu’à ce déjeuner organisé début 2005 au Garage, avenue de Saxe, avec Richard Brumm. « On se croisait beaucoup à cette période, mais ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vraiment vus. Donc je l’ai invitée sans arrière-pensée, remet l’avocat lyonnais. Mais au fil des échanges, j’ai senti que je me devais de lui proposer de revenir à la maison. » La réponse de Marie-Josèphe Laurent est immédiate : « Je n’ai même pas hésité trente secondes. Je me suis sentie dans un rapport de filiation, comme si mon père m’avait envoyée faire mes armes ailleurs et qu’il me faisait revenir à la maison au moment où la transmission du cabinet se jouait. »

À cette période, l’avocat d’affaires, attiré par les sirènes du monde politique et dragué par Gérard Collomb dont il deviendra adjoint aux finances à partir de 2008, cherche à préparer l’avenir de son cabinet. « Je lui ai proposé de revenir comme associée parce que je la savais loyale. J’avais une confiance totale en elle. Je lui ai juste posé une seule condition : qu’elle ne devienne pas bâtonnière. Je la savais intéressée, mais le bâtonnier quand il fait bien son boulot, il ne bosse quasiment plus pour son cabinet. J’avais l’intention de partir et de moins bosser, je n’imaginais pas qu’on soit deux dans cette situation… Je ne voulais pas d’une demi-associée. »

Marie-Josèphe Laurent accepte le deal et réintègre le cabinet de la rue de Bonnel. Au fur et à mesure des semaines, elle s’impose comme le bras droit de Richard Brumm, qui lui trouve rapidement un surnom bien particulier : « Je l’appelais la mère Tape-Dur, parce qu’elle savait être ronde, mais aussi très raide et dure lorsqu’elle avait des dossiers un peu rudes. »

« Balancé dans les gencives »

Et lorsque le « patriarche » choisit de se mettre en retrait pour intégrer l’exécutif métropolitain comme vice-président aux finances en 2015, Marie-Josèphe Laurent, attentive aux mutations de la profession, opère avec ses associés un rapprochement avec l’expert-comptable Segeco, dirigé par Jean-Loup Rogé.

« Elle était soucieuse de maintenir le même niveau de qualité pour le cabinet, donc on a fait le choix de se tourner vers Segeco parce qu’on avait le sentiment que c’était une voie d’avenir pour la profession d’avocat, indique Stéphane Chouvellon, associé à ses côtés chez Brumm. Cela nous a été beaucoup reproché, on nous disait qu’on s’était vendu au grand capital… »

Bon nombre d’avocats peinent à saisir cette fusion des métiers du chiffre et du droit, regroupés sous la bannière Segeco puis implid en 2019. « Historiquement, les avocats ont toujours du mal avec tout ce qui peut porter atteinte à leur prestige, prévient Richard Brumm, un brin moqueur. À l’époque où cela s’est fait, elle n’aurait jamais pu être élue bâtonnière, on lui aurait reproché de trahir la profession. Ça lui a quand même été balancé dans les gencives pendant la campagne, mais maintenant, les années ont passé. Il y a de plus en plus de structures multiprofessionnelles en France et c’est entré dans les mœurs. »

Si les critiques fleurissent de toutes parts lors de ce rapprochement avec Segeco, Marie-Josèphe Laurent se dit quant à elle « tout de suite emballée par le projet d’entreprise de Jean-Loup Rogé et son envie d’avancer au profit du collectif ». La dirigeante passe alors de la gestion d’un cabinet de 25 collaborateurs à son intégration dans un groupe pluridisciplinaire de 900 personnes mêlant experts-comptables, avocats, huissiers, juristes, auditeurs et consultants.

« Elle a su très rapidement trouver sa place au sein du groupe. C’est une personne qui sait mettre les gens en relation et insuffler de bonnes énergies dans des moments plus difficiles avec son grand optimiste. Ici, tout le monde sait qui est Marie-Jo », souligne Jean-Loup Rogé, heureux d’avoir attiré dans ses rangs cette femme « très convaincue du rôle et de l’importance de l’avocat dans la société ». Chez implid, l’avocate prend ses marques, intègre les nouveaux process et apprend à déléguer ses anciennes responsabilités administratives aux services supports du groupe.

De quoi lui faire reconsidérer une vieille envie enterrée quelques années plus tôt. « Elle s’est sentie plus épaulée sur ces tâches-là par les services supports d’implid et donc elle a réévalué sa capacité à assumer une fonction ordinale et à se présenter au bâtonnat. Ça a été le déclic », explique Stéphane Chouvellon. « J’ai toujours gardé cette ambition en moi, mon barreau me concerne et m’importe et c’était important pour moi de me mettre à son service », insiste de son côté la principale intéressée.

« Dans le tambour d’une machine à laver »

Épaulée par Jean-François Barre, Marie-Josèphe Laurent bâtit un programme basé sur la « bienveillance confraternelle », la création d’un barreau pénal et l’adaptation de la profession à la digitalisation. « Il est essentiel de cultiver le bonheur d’être avocat », martèle-t-elle lors de chacune de ses déclarations.

La candidate joue sur ses réseaux (voir encadré), sa popularité (elle est membre depuis 1986 de la Revue du barreau, le grand spectacle culturel et festif qui rythme la vie des avocats lyonnais) et l’emporte avec 230 voix d’avance sur Hubert de Boisse.

« C’était une campagne loyale, sans peaux de bananes. Elle a bénéficié d’un avantage certain en termes de notoriété que je n’ai pas pu combler, admet le candidat vaincu. C’est une femme d’expérience, qui a une certaine autorité et qui connaît bien les enjeux de la profession. Elle est parfaitement adaptée à la direction du barreau de Lyon. »

Des propos corroborés par Richard Brumm, quelque peu soulagé de voir son ancienne associée enfin occuper cette fonction symbolique : « Je suis ravi qu’elle y soit parvenue, pas que j’avais mauvaise conscience, mais parfois quand le train est passé, il ne repasse plus forcément. Je suis content qu’elle puisse donc enfin réaliser cette mission à laquelle elle tenait beaucoup. C’est une femme consensuelle, qui ne lâche jamais, avec des qualités humaines très fortes. Elle est très aimée au sein du barreau et saura mener sa boutique sans problème. »

Si Marie-Josèphe Laurent et Jean-François Barre se préparaient dans l’ombre depuis plus d’un an, les voici donc depuis le 1er janvier sur le devant de la scène. Un moment bien particulier selon Farid Hamel qui découvrait la fonction en janvier 2018 : « On a beau faire cette année d’apprentissage et savoir à peu près ce qui nous attend, quand arrive le début de mandat, vous avez l’impression d’entrer dans un tambour de machine à laver. Tous les jours, vous avez quelque chose de nouveau et d’inattendu… »

Dans les starting-blocks, la bâtonnière et son vice-bâtonnier se disent prêts : « Un bâtonnat dure deux ans, c’est long donc on s’attend à deux années trépidantes, prenantes et passionnantes, mais ça passe aussi très vite. » La mission commence.

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