Aux Puces du Canal, l’effet Stephan Blanchet se fait sentir tous les dimanches matins. Gérant de l’immense site villeurbannais depuis fin 2015, il est celui qui a donné un nouveau souffle au deuxième marché de brocanteurs et d’antiquaires de France (derrière les Puces de Saint-Ouen).
En réussissant à attirer, ces dernières années, une nouvelle clientèle familiale, grâce à un virage design et vintage très dans l’air du temps, les week-ends de beau temps, c’est jusqu’à 10 000 personnes qui se pressent pour chiner dans les allées qui abritent deux cents marchands professionnels sédentaires et une centaine de déballeurs. « Avant, c’était la routine ici, il n’y avait pas d’événementiel ni de communication pour faire venir du monde… Stephan Blanchet a incontestablement fait bouger les choses. Il fallait quelqu’un comme lui pour redynamiser les Puces », applaudit un brocanteur historique.
« Grâce à lui, les Puces sont devenues un des endroits qui comptent à Lyon. C’est impressionnant comme il a modernisé et rendu sympas les lieux. J’aime bien venir en famille juste pour passer un bon moment, même si je n’ai pas dans l’idée d’acheter des objets », renchérit son ami Yann Roubert, président du Lou, qui est également l’un des ambassadeurs des Puces du Canal. « Il est hyper enjoué, toujours au taquet. C’est un entrepreneur qui mène un véritable projet entrepreneurial aux Puces », rajoute de son côté le chef d’entreprise Joseph Brigneaud, qui côtoie Stephan Blanchet au sein du réseau patronal lyonnais Cercle Féal.
La méthode Blanchet ? « Il est sympathique, il a de bons réseaux, il sait communiquer… et surtout il a de formidables idées », avance un autre de ses proches. Et, effectivement, Stephan Blanchet ne manque pas d’idées « pour faire vivre les Puces », et pas seulement le jeudi (jour réservé aux professionnels) et le week-end : salons de la friperie, de la montagne ou du deux-roues, week-ends du collectionneur (dédiés tour à tour aux objets en bois, à l’art de la table, aux objets publicitaires…), après-midi Musico Puces avec DJ aux platines, ventes aux enchères d’objets ayant appartenu à Monsieur Paul, événement autour du saint-joseph avec rencontre de vignerons, déballage avec des brocanteurs internationaux… « Et j’ai encore plein d’autres projets en tête, comme organiser des soirées café-théâtre ou bien monter un salon de la guitare. Je m’éclate à imaginer de nouveaux concepts d’événements. Et ce qui me motive par-dessus tout, c’est de faire travailler jusqu’à mille personnes tous les dimanches entre tous les marchands et le personnel des guinguettes, du parking et de la sécurité », rapporte Stephan Blanchet.
Une image de financier
Et s’il peut également se vanter d’avoir remis à flot financièrement la société qui exploite le site (1,8 million d’euros de chiffre d’affaires par an), la vie aux Puces n’a pourtant absolument rien d’un long fleuve tranquille pour Stephan Blanchet. Notamment à cause de relations tendues avec certains des brocanteurs historiques.
L’histoire a été compliquée dès le départ. Déjà, le multientrepreneur aux mille vies professionnelles – de vendeur de cartes postales à patron de boîtes dans le web, l’immobilier et le médical – n’aurait normalement jamais dû se retrouver à la tête des Puces. Simple investisseur « dormant » à la base, il a pris les choses en main fin 2015 après avoir viré de la présidence le people lyonnais Jacques Chalvin, au motif d’une gestion hasardeuse. « Au départ, j’avais investi dans les Puces pour accompagner Jacques qui est marié avec ma cousine. Je n’avais absolument pas vocation à m’impliquer au quotidien, mais la boîte s’est retrouvée placée en procédure de sauvegarde. Comme j’avais investi plusieurs centaines de milliers d’euros, il y a un aspect financier qui est entré en jeu : soit je m’en sortais, soit je perdais tout. Alors je me suis retroussé les manches », rembobine Stephan Blanchet, qui débarque en pompier des Puces avec une image de financier qui n’y connaît pas grand chose au monde de la chine. Pas vraiment le meilleur CV pour se faire accepter des brocanteurs et des antiquaires.
Et, surtout, le diplômé de contrôle-gestion met vite en place une tout autre approche de management que ses prédécesseurs. « Avant, ça se tapait dans la main pour régler un désaccord sur un bail commercial ou un retard de paiement des charges. Quand il est arrivé, Stephan a dû rattraper plein d’ardoises. C’est quelqu’un de carré et il a mis de l’ordre là-dedans. Mais ce n’est pas simple parce que les Puces, c’est 200 baux commerciaux pour 200 marchands. Alors, bien sûr, cela n’a pas fait plaisir à tout le monde », explique un fin connaisseur du marché.
Surtout que Stephan Blanchet n’a pas hésité à utiliser la manière forte avec ceux qu’il nomme les « mauvais payeurs », récalcitrants à se mettre dans les clous de la nouvelle direction. « J’ai tapé dans la fourmilière en rappelant les règles et en lançant, au total, plus d’une vingtaine de procédures. Oui, j’ai viré pas mal de marchands, mais les gens qui ne paient pas, ça gave au bout d’un moment », déclare Stephan Blanchet, qui répète à l’envi que le climat est « aujourd’hui apaisé » aux Puces.
« On ne peut pas plaire à tout le monde »
Il faut quand même apporter quelques nuances. Plusieurs procédures d’éviction sont encore en cours et certains commerçants opposés à Stephan Blanchet ont créé, il y a quelques mois, un collectif qui dit – sans que cela soit vérifiable – regrouper « une trentaine » de marchands mécontents qui préfèrent rester anonymes « pour ne pas s’attirer les foudres de Stephan Blanchet ».
Au cœur des mécontentements, une complexe histoire de répartition de charges entre les marchands et la société détenue par Stephan Blanchet qui chapeaute les Puces, ou des critiques sur la communication qui serait essentiellement axée « sur l’événementiel qui profite à sa société mais pas à nous, les marchands ». « Monsieur Blanchet, il impose mais n’écoute absolument pas. Il fait preuve de mépris et d’arrogance envers les marchands. Et il fait peur à tout le monde à envoyer des huissiers au moindre problème. Avec lui, on ne peut pas aller à l’amiable. Si on ne veut pas signer selon ses conditions un renouvellement de bail, c’est “je vous mets en éviction et on va au tribunal”. Tous ceux qui ne sont pas d’accord, il les vire ! », commente un marchand membre du collectif.
Ce que Stephan Blanchet assume totalement : « J’ai une liste d’attente de marchands qui souhaitent s’installer aux Puces, donc ceux qui disent qu’ils ne sont pas contents, je fais en sorte de m’en séparer à la fin de leur bail, quitte à payer des indemnités. Et puis il ne faut pas donner trop d’importance à ce collectif qui, selon moi, ne regroupe que trois personnes. Ce sont toujours ceux qui gueulent le plus fort que l’on entend, mais ils ne sont absolument pas représentatifs des marchands, oppose Stephan Blanchet. Et l’on ne peut pas plaire à tout le monde », lâche-t-il, un brin fataliste. Surtout dans le monde des Puces. « Un milieu de grandes gueules et de mauvais caractères où l’on trouve toujours 10 % de casse-bonbons qui seront forcément en opposition », selon les mots d’un brocanteur des Puces.
Certains ne sont pas fans, notamment, de l’accent mis sur l’événementiel. « Il n’y a pas longtemps, c’était un salon du vin. Je n’ai rien contre le vin mais ce sera quoi la prochaine fois ? Une exposition sur les champignons ? Cela n’a pas grand chose à voir avec le monde de la brocante… J’ai l’impression que son rêve c’est de virer tous les anciens pour tout axer sur l’événementiel », grince ainsi un marchand qui ne cache pas être en froid avec Stephan Blanchet.
Président jusqu’à il y a quelques jours d’une association de brocanteurs des Puces créée juste avant la crise de la Covid pour « initier le dialogue entre les marchands et la direction », Philippe Gallardo résume : « Sur les 200 marchands, il y a ceux qui veulent faire avancer les choses, ceux qui veulent payer moins cher, et ceux qui sont conservateurs et ne voient pas l’intérêt de développer de l’événementiel. Il y a pas mal de gens qui râlent, mais il ne faut pas oublier que le brocanteur a un esprit d’indépendant. C’est super compliqué de faire que tout le monde avance dans le même sens. Il faut du courage pour faire tourner tout ça », explique-t-il, tout en adressant une critique à Stephan Blanchet : « Je le lui ai déjà dit, il ne s’y prend pas toujours très bien avec les marchands. Il faut notamment qu’il soit plus présent sur le marché. On ne le voit pas beaucoup le dimanche matin. »
Et, en effet, le gérant admet de ne pas toujours être sur le terrain. Parce qu’il considère que c’est le rôle de ses équipes de faire le lien avec les marchands. « Et parce que tout le monde veut parler au directeur quand je me promène dans les allées. Et je n’ai pas forcément envie de devoir me justifier sur tel ou tel point », rapporte Stephan Blanchet. C’est aussi qu’il a pas mal de choses à gérer dans les bureaux.
Un chapiteau monté sans autorisation
Comme, par exemple, l’épineux dossier de l’immense chapiteau de 1 000 m2 qui trône à l’entrée ; un équipement phare des Puces pour accueillir les nouveaux événements, monté et exploité depuis quatre ans… sans les autorisations nécessaires.
Comme l’a révélé Le Progrès, un festival de musique électro devant réunir plusieurs milliers de spectateurs a été annulé in extremis en octobre dernier quand la mairie et la préfecture se sont soudainement rendu compte que le chapiteau ne répondait pas aux normes de sécurité. De quoi faire monter au créneau la mairie de Villeurbanne. « On ne peut pas s’asseoir sur les obligations légales. J’ai donc demandé à Stephan Blanchet de se mettre en conformité, et cela va aujourd’hui dans la bonne direction. Il se mobilise et fait preuve de bonne foi », juge le maire de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, qui déclare par ailleurs soutenir l’action du gérant des Puces : « C’est quelqu’un de sympathique, il a de l’allant, plein de projets… Mon but n’est en aucun cas d’empêcher le développement des Puces qui est la première destination touristique de Villeurbanne. »
Les discussions avec la mairie portent aussi sur la volonté de Stephan Blanchet de créer une extension des Puces sur les bords du canal de Jonage, pour y installer une guinguette. Un projet en stand-by car l’endroit se trouve pile sur un bassin de captation d’eau, ce qui implique des règles techniques et juridiques strictes. Et complique sérieusement le projet, au grand désarroi du patron des Puces.
Lorsqu’il est en petit comité, Stephan Blanchet ne cache pas, parfois, son agacement face aux vents contraires. Mais l’idée n’est pas de se désengager des Puces. Au contraire. Il y a quelques mois, il a signé un deal le faisant intégrer la foncière propriétaire des murs, détenue par le magnat lyonnais de l’immobilier Constant Giorgi, qui coule, à plus de 80 ans, des jours paisibles en Suisse. « Le reste de la famille Giorgi n’est pas trop intéressée par ce bien très atypique. L’idée est donc que Stephan monte petit à petit en puissance dans la foncière jusqu’à devenir le propriétaire dans une quinzaine d’années. C’est un passage de témoin en douceur et aussi un moyen de le fidéliser car il fait du bon travail », expose le bras droit de Constant Giorgi. Arrivé par la force des choses, Stephan Blanchet sera alors totalement chez lui aux Puces du Canal. Et ce n’était pas écrit d’avance, loin de là.
Vincent Lonchampt
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