Il marche dans les rues de la Presqu’île comme s’il était chez lui. Et pour cause. Depuis son retour des États-Unis en 2017, Fabien Chalard multiplie les affaires dans ce petit bout de terre coincé entre Rhône et Saône. Avec Léon de Lyon, Pléthore & Balthazar, le Passage, la Cave d’à côté, Mamma, Pomponnette et la Mère Cottivet, son dernier établissement ouvert en mars dernier, le restaurateur quadrille les abords de la rue Mercière et du quartier Saint-Nizier.
Mais il faut encore ajouter la Bastide de Collonges-au-Mont-d’Or (à deux pas du Restaurant Paul Bocuse), le Fer à Cheval des Halles Paul Bocuse et le Chanteclair à la Croix-Rousse pour avoir une vision complète ou presque de l’étendue des Gastronomistes, le groupe qu’il a fondé avec son époux Julien Géliot. « On a choisi de se focaliser sur des affaires à forte identité, avec un passé, une histoire et un emplacement très forts. C’est ce qui fait aujourd’hui la singularité de notre groupe », précise Fabien Chalard, révélé à la tête du Comptoir de la Bourse dans les années 2000.
Mais cette success-story éclair, entamée à son retour de Miami, fait aujourd’hui beaucoup jaser dans les salons lyonnais. « Il y a des jalousies évidentes liées au fait qu’il reprend autant d’établissements. On pourrait dire pour résumer qu’il ne s’est pas fait que des amis dans la profession », témoigne Jean-François Savoye, directeur du magazine Sixty Nine, qui décrypte l’actualité des CHR (cafés-hôtels-restaurants) et lieux festifs de la ville.
Un climat de suspicion autour du duo
Il suffit de passer quelques coups de fils pour s’en rendre compte. « Je n’ai aucun commentaire à faire et rien à dire sur lui », balaye net Christophe Marguin, le président des Toques blanches lyonnaises. « Certains comparent sa situation à une fuite en avant et je trouve cette comparaison plutôt bien choisie, souffle ainsi, en off, un chef étoilé lyonnais. Tout le monde regarde ce qu’il fait et se demande comment il peut trouver autant d’argent pour racheter tous ces restaurants… »
Des allégations et interrogations qui reviennent régulièrement aux oreilles du couple d’entrepreneurs. « On entend beaucoup de conneries sur nous. On nous a même pris pour des dealers ou des mecs qui faisaient du blanchiment parce qu’on revenait de Floride. Tout cela est ridicule », rétorque Julien Géliot.
S’il admet ne pas accorder beaucoup d’importance à ces quolibets et « foncer tel un bulldozer », son époux se dit lui davantage touché par ces critiques. « Je trouve ça franchement injuste, explique ainsi Fabien Chalard. On ne fait de mal à personne, on essaie juste de faire de beaux endroits grâce à l’aide des banques et de nos investisseurs. Mais le fait qu’on soit deux gars ou qu’on avance dans une ville de chefs plus que de restaurateurs, ça doit emmerder. »
Reste que ces commentaires ne sont aujourd’hui plus seulement du fait de leurs concurrents. « On m’a déjà demandé judiciairement parlant, comment Fabien pouvait avoir une telle réussite », soulève l’avocat pénaliste lyonnais et ami du couple, David Metaxas.
Comme une preuve supplémentaire du climat de suspicion qui règne autour du duo. « Mais il ne faut pas raconter de bêtises. Je connais Fabien depuis près de vingt ans et par mon exercice professionnel, je connais bien le milieu du banditisme. Je peux vous dire que je ne lui connais aucune accointance avec ce milieu-là », complète le pénaliste.
Du Comptoir de la Bourse à Miami Beach
L’avocat lyonnais côtoie Fabien Chalard depuis le milieu des années 2000, du temps où cet ancien salarié de KPMG rythmait les nuits lyonnaises au Comptoir de la Bourse. « J’ai quitté mon travail à Paris pour commencer une nouvelle carrière derrière mon bar, à recevoir et servir mes clients », rappelle-t-il avec nostalgie. Toujours avenant, festif et chaleureux, l’entrepreneur noue rapidement des relations avec le Tout-Lyon qui se presse dans son établissement face au lycée Ampère. « Le lieu est rapidement devenu un incontournable de la nuit lyonnaise. C’était toujours plein à craquer et ça le restait à n’importe quelle heure de la nuit », développe David Metaxas.
« On entend beaucoup de conneries sur nous. On nous a même pris pour des dealers ou des mecs qui faisaient du blanchiment »
Jeune trentenaire et plein d’ambition, Fabien Chalard rencontre ici, en 2007, celui qui deviendra son futur mari : Julien Géliot, un ancien musicien classique. Le début de leur aventure commune. Les deux hommes lancent alors plusieurs projets éphémères (La Ferme de mon grand-père, L’Inuit, le 10 Fingers, Le Bar Bar, le Koodeta) et planchent sur un tout nouveau concept en 2013. « On voulait monter quelque chose pour refaire venir les Lyonnais rue Mercière avec un concept fort », confie Fabien Chalard. C’est la naissance de Pléthore & Balthazar, un bar à tapas avec plus de 600 références de vins.
Du jamais vu à cette époque et un succès immédiat. « Il y a tout de suite eu ce décalage entre ce qu’on voulait faire de base, et là où les clients nous ont amenés. Le chiffre d’affaires était beaucoup plus conséquent que prévu. Ça a été comme un déclencheur, on s’est rendu compte qu’on pouvait être bons dans la restauration », raconte Julien Géliot.
Fort de cette réussite et en quête de nouveaux challenges, le couple prend alors un tout nouveau virage en 2015 en mettant le cap vers… Miami. « On avait envie d’aller voir autre chose. Le climat social français était devenu pesant, alors on a cédé le Comptoir de la Bourse pour atterrir en Floride », expose Fabien Chalard. Le rêve américain démarre avec l’installation d’une annexe de Pléthore & Balthazar au sein de l’hôtel Hilton Bentley à Miami Beach, puis avec la reprise du restaurant du Vagabond Motel, devenu rapidement l’une des adresses les plus courues de Miami.
Un retour à Lyon pour passer dans une nouvelle dimension
« Notre force entrepreneuriale s’est décuplée là-bas. On a vu que notre association était très forte et ça nous a encore plus rapprochés. Aujourd’hui sans Julien, je n’existe pas et sans moi, je ne pense pas qu’il existe non plus », admet Fabien Chalard. Bien établi de l’autre côté de l’Atlantique, le duo choisit pourtant de rentrer d’urgence en France avant le passage de l’ouragan Irma sur la Floride à l’été 2017. « Contrairement à ce que beaucoup ont dit à Lyon, on n’a pas fait de mauvaises affaires aux États-Unis. Sans cet événement, on serait restés, rapporte Julien Géliot. On se fait chier pour construire de la valeur, ce n’est pas pour qu’un coup de vent nous fasse perdre ce qu’on a mis des mois à construire ! »
« Le partenariat avec Laurent Gerra nous a apporté autant de lumière que de soucis. Professionnellement, ça ne collait plus »
Retour en terre lyonnaise donc, où les deux entrepreneurs, décomplexés par cette pige aux États-Unis, fourmillent de projets. Et finissent par frapper fort quelques mois plus tard. Avec le rachat de La Bastide à Collonges-au-Mont-d’Or puis du Fer à Cheval des Halles Paul Bocuse à l’automne 2018 – en plus de leur activité continue chez Pléthore & Balthazar rue Mercière – ils donnent naissance aux Gastronomistes, leur gros projet d’entreprise. Et le groupe passe rapidement dans une nouvelle dimension avec le rachat quelques semaines plus tard de l’iconique Léon de Lyon, aux côtés de l’humoriste Laurent Gerra (déjà de l’aventure chez Pléthore & Balthazar et au Fer à Cheval).
« Racheter Léon de Lyon était un de nos rêves les plus fous », confirment les deux restaurateurs, qui dirigent l’établissement depuis janvier 2019. « Nous avons fait une transaction très agréable, narre de son côté Jean-Paul Lacombe, l’ancien maître des lieux. Fabien et Julien ont cette même vision de la gastronomie, et de ce que doivent être une table, un lieu, une adresse où l’on aime se retrouver. »
« Bouillonnant et plein d’idées »
La partie de Monopoly grandeur nature se poursuit en 2019 avec l’ouverture des boulangeries Pomponnette, de la Cave d’à côté, du Chanteclair et du Mamma. « Je ne sais pas comment ils parviennent à tenir la cadence, sourit Benjamin Lavorel, autre figure de la restauration à Lyon et propriétaire d’une dizaine d’établissements. Moi j’ai une boule au ventre constante et j’ai même chopé des plaques sur le corps avec tout ce stress engendré, et pendant ce temps, je les vois tout sourire en vacances. Donc je veux bien connaître leur secret ! » Mais le binôme connaît aussi des moments plus compliqués. « En 2019, on a absorbé huit affaires dans l’année. C’était costaud ! Donc même si elle nous a bien fragilisés, la Covid arrivée début 2020 nous a aussi permis de souffler et lever le pied », avoue Julien Géliot.
Après cette pause forcée de deux ans, le couple repart aujourd’hui de plus belle dans ses affaires avec la reprise du Passage rue du Plâtre fin 2021, de la Mère Cottivet rue Mercière début mars, et des discussions bien engagées avec Arlette Hugon au sujet du célèbre bouchon Chez Hugon de la rue Pizay. De quoi porter le poids des Gastronomistes à près de 200 salariés, pour plus de 14 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Nathalie Cayuela, experte de la communication à Lyon et habituée du Comptoir de la Bourse, se dit admirative du chemin parcouru par son vieil ami : « Fabien fait partie de ces gens infatigables, bouillonnants, pleins d’idées. Il n’a jamais peur, il avance, tente des choses, et est revenu encore plus solide et aguerri des États-Unis. » « C’est quelqu’un de très pointilleux et sérieux dans ses affaires, fait aussi remarquer son ami et chroniqueur à la télévision Pierre-Jean Chalençon, qui l’a invité au sein de son palais Vivienne à Paris en juillet dernier. Il arrive à garder l’esprit et l’authenticité de chaque établissement qu’il reprend, ce qui fait que ses restaurants sont diversifiés et s’adressent à tout le monde. Chez Chalard, vous pouvez tout aussi bien manger pour 20 euros comme pour 100 balles. »
À l’abri des regards
Alors qu’il vient de fêter fin avril son 47e anniversaire, l’homme décrit par ses compères comme un grand épicurien, généreux mais pouvant être aussi parfois très sanguin, se trouve aujourd’hui à un tournant de sa carrière. Déjà fragilisés par la Covid, les Gastronomistes le sont désormais par le futur retrait de Laurent Gerra de leurs activités.
« Ce partenariat nous a apporté autant de lumière que de soucis. Laurent nous a permis de redémarrer en France, c’était un formidable coup de pouce pour aller de l’avant et ça nous a donné davantage de solidité et de crédibilité pour les banques qui nous font maintenant confiance. Mais professionnellement, ça ne collait plus avec Laurent », témoigne Fabien Chalard. « Notre indépendance financière dépend aujourd’hui des banques, mais on va peut-être rechercher de nouveaux investisseurs ou bien lever des fonds », prolonge Julien Géliot.
Le binôme ne compte pas lever le pied pour autant. Il devrait ouvrir à Paris d’ici la fin d’année et investir le secteur de l’hôtellerie d’ici septembre prochain. Avec un objectif bien précis en tête. « J’avais dit dans une précédente interview que je visais les 50 affaires à 50 ans… Mais ce sera plutôt les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires à 50 ans. On devrait pouvoir y arriver, il nous reste encore trois ans et nous avons encore beaucoup de projets », commente Fabien Chalard.
Sa déclaration initiale, publiée dans les colonnes de Tribune de Lyon en 2018, avait beaucoup fait réagir dans la profession. « Chacun ses manières de faire, mais dire qu’on veut ouvrir tant d’établissements d’ici 5 ans, je trouve que c’est un peu comme aboyer dans le vide », ironisait un chef lyonnais. Comme un symbole du clivage permanent qui règne autour du patron des Gastronomistes. « C’est un entrepreneur qui fera toujours parler, mais Lyon a besoin d’hommes comme lui », juge David Metaxas.
« Je vise les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires à 50 ans. Il me reste trois ans et on devrait y arriver »
« Je pense que si les gens critiquent autant, c’est aussi parce qu’ils nous voient peu. C’est ce qui change avec l’époque du Comptoir de la Bourse. Aujourd’hui personne ne sait grand-chose de nous, on est assez discrets et ça doit énerver du monde », explique le couple. Fabien Chalard préfère ainsi recevoir à l’abri des regards, chez lui ou dans ses établissements, les quelques membres de son cercle rapproché comme Stéphane Pelletier, son voisin du Broc Bar ou Sidney Govou, l’ancienne gloire de l’OL.
« C’est un amoureux de la vie, un homme qui sait recevoir mais aussi un grand fêtard, concède Stéphane Pelletier. Et quand il est un peu bourré, il lui arrive de monter sur le bar et là c’est daïe daïe ! » L’expression conclut chaque publication du restaurateur sur les réseaux sociaux, comme un mantra. « Cela veut dire qu’il faut tout lâcher, qu’il veut que tout le monde danse et que ça parte en sucette, poursuit le gérant du Broc Bar. Et généralement dans ces moments là, il enlève la ceinture de son pantalon et fouette le bar avec, ça vous donne une idée du personnage qu’il est ! » Oui, on imagine.
Merci d’avoir lu cet article ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un émail à [email protected]. Merci beaucoup !