C’est l’autre information majeure de cet été dans le secteur de la gastronomie lyonnaise. Outre la revente en juin dernier de La Mère Brazier par Mathieu Viannay à l’homme d’affaires bordelais Matthieu Gufflet, Laurent Gerra annonçait mi-août avoir repris 100% du capital de Léon de Lyon, du Chanteclair et de Pléthore & Balthazar, les restaurants détenus par Fabien Chalard et Julien Géliot, des Gastronomistes. L’épilogue d’un long feuilleton, dont l’issue semblait inéluctable tant l’idylle entre le couple d’entrepreneurs et l’humoriste, partenaires depuis 2018 et la reprise de Léon de Lyon au restaurateur Jean-Paul Lacombe, s’était étiolée ces derniers mois.
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Désormais seul aux manettes de ces établissements, Laurent Gerra s’est alors tourné vers Jérôme Bocuse pour l’épauler dans la reprise de ces maisons iconiques, symboles du patrimoine culinaire lyonnais. « Les premiers contacts remontent au mois de janvier. Laurent nous a dit qu’il était très inquiet quant à l’exploitation de certains restaurants, renseigne Paul-Maurice Morel, directeur général associé des Maisons Bocuse. Il sentait que ça n’allait pas dans bon sens et nous a demandé de pouvoir le soutenir au niveau de l’exploitation. Ce que Jérôme a bien évidemment accepté. »
Entre les mains des banquiers
Jérôme Bocuse et Laurent Gerra, proches depuis longtemps, vont maintenant entamer des discussions avec les partenaires bancaires, bailleurs et créanciers pour « sauver » ces établissements de la Presqu’île et de la Croix-Rousse. Car c’est bien d’un sauvetage dont il est question dans ce dossier. « Notre priorité, c’est de préserver le Léon de Lyon et le Chanteclair qui sont deux joyaux. Mais on ne le fera pas sans le soutien des partenaires bancaires et financiers. Ce sont eux qui ont les choses en mains désormais, et la clé pour préserver ces activités », prolonge Paul-Maurice Morel, qui espère un dénouement positif d’ici mi-septembre.

En cas d’accord, Léon de Lyon ne passera pas pour autant sous pavillon Bocuse, aux côtés des sept brasseries (Le Nord, Le Sud, L’Est, L’Ouest, Lumières, Louvre et Irma) et des deux restaurants (Fond Rose et Marguerite) du groupe. « Seul Jérôme Bocuse peut décider de l’usage du nom Bocuse pour un établissement à Lyon ou aux quatre coins du monde et il n’a pas eu l’idée de l’adjoindre dans ce cas précis pour l’instant, souligne le directeur général associé des Maisons Bocuse. Léon de Lyon, c’est une entité qui vit d’elle-même, anciennement deux étoiles au Michelin. Il suffit de voir l’engouement suscité par l’annonce de cette reprise sur les réseaux sociaux pour voir que les clients vont être là. » Le groupe déploiera donc des activités supports pour l’exploitation de ces établissements, en soutien des équipes de Laurent Gerra. « Et l’oiseau volera de ses propres ailes quand on aura appris à voler ensemble », souffle le dirigeant.
Bataille juridique contre l’Institut
Mais l’été de Jérôme Bocuse, qui vit aux Etats-Unis mais vient une fois par mois environ à Lyon, n’a pas été secoué par ce seul rapprochement avec Laurent Gerra. Le fils de Monsieur Paul mène depuis de longs mois une bataille juridique contre l’Institut Paul Bocuse, l’école des arts culinaires et des métiers de l’hôtellerie d’Écully, du fait d’un litige sur l’utilisation du nom et de la marque Bocuse. Alors qu’il veille depuis le décès de son père à préserver l’héritage de ce patronyme internationalement respecté, il déplore aujourd’hui dans une lettre adressée aux étudiants « des changements profonds et bouleversements organisationnels qui ternissent et malmènent l’image de Paul Bocuse, et instrumentalisent le nom Bocuse pour transformer le projet pédagogique en projet marketing global. »
Jérôme Bocuse s’étonne ainsi de voir fleurir des partenariats en tous genres entre l’école et d’autres parties, sous-couvert du célèbre patronyme. Du côté de la famille, on explique pourtant que le contrat initial prévoyait une utilisation du nom Bocuse limitée aux activités d’enseignement, d’hôtellerie et de restauration, pour éviter les confusions entre les activités de l’école et celles de la famille. Jérôme Bocuse a donc choisi de porter l’affaire devant la justice. « Le nom Bocuse, ce n’est pas un pin’s. C’est d’abord un homme, Paul Bocuse, une famille, des professionnels. À partir du moment où l’Institut ne respecte pas les termes de ce contrat, les difficultés arrivent », justifie Paul-Maurice Morel.

Le directeur général associé des Maisons Bocuse livre par ailleurs sa version des faits quant à la supposée redevance exigée par Jérôme Bocuse à l’Institut pour l’autoriser à garder son nom : « On ne peut pas dire que Jérôme a demandé des millions à l’Institut ! Au contraire, il était même prêt à prolonger gratuitement au-delà des dates initiales et à prendre à sa charge le contrôle interne du respect du contrat d’usage. » Dominique Giraudier, le directeur de l’école, assure de son côté dans un courrier envoyé aux étudiants « qu’aucune action n’a été menée de façon lucrative, en utilisant anormalement le nom de Paul Bocuse ». L’affaire sera jugée devant les tribunaux courant 2023.