Difficile de suivre la valse des enseignes du Grand Hôtel-Dieu depuis l’ouverture du site au printemps 2018. Les couacs retentissants du Buddha Bar, du magasin Kayl N’Ko, de la première version de la Cité de la gastronomie ou plus récemment des Halles, définitivement fermées depuis le 31 décembre dernier, illustrent les faiblesses d’un projet qui peine encore à trouver sa clientèle.
Après cinq années d’ouverture, le Grand Hôtel-Dieu patine toujours, sauvé par quelques figures de proue comme l’Hôtel InterContinental, multirécompensé aux World Travel Awards, ou le musée de l’Illusion, devant lequel s’étire chaque week-end une longue file d’attente. Plus discrets, presque même cachés dans les recoins de la cour Saint-Henri, Mathieu Cochard et Thibault Salvat font eux aussi partie des points forts de l’ancien hôpital.
Un duo indissociable
Aux manettes du Grand Réfectoire et de l’Officine, face au grand dôme depuis 2018, les deux jeunes trentenaires s’imposent comme les références de la restauration dans l’édifice. Si bien que les équipes du Grand Hôtel-Dieu ont fait appel à eux l’été dernier, pour l’ouverture d’une nouvelle échoppe en plein centre de la cour du Midi, près des entrées des rues de la Barre et Bellecordière.
Inauguré en janvier, ce kiosque Ciao Nonna – du nom de leur concept de restaurants italiens déjà présents à Vénissieux et à La Part-Dieu – et ses 30 places assises en service continu constitue donc la dernière aventure en date des deux anciens élèves de l’Institut Vatel, révélés à la tête du Hard Rock Café en 2016. « Avec le Hard Rock Café sur 1 200 m2 et le Grand Réfectoire sur 1 700 m2, nous dirigeons deux des plus grands restaurants lyonnais en termes de superficie », relèvent dans un élan de fierté les deux associés fondateurs du Groupe CBH (7 établissements, 120 collaborateurs).
De la Brasserie Georges au Hard Rock Café
Indissociable, le duo prend donc ses aises en Presqu’île. Et impressionne autant qu’il étonne. « Je leur ai dit, dès la première fois que je les ai reçus, que Lyon avait de la chance d’avoir des entrepreneurs pareils », se remémore François Gaillard, l’ancien directeur général d’OnlyLyon Tourisme & Congrès. Mais les louanges peuvent aussi laisser place à des messages moins amicaux.
En témoigne ce courrier anonyme reçu juste après l’ouverture du Hard Rock Café, dans lequel il était prédit que l’établissement coulerait avant même son premier anniversaire. « On ne sait toujours pas si ça venait d’un concurrent, de quelqu’un du métier qui nous en voulait, ou juste d’un fou qui ne voulait pas de nous. Toujours est-il que cette personne s’est totalement trompée », note Thibault Salvat, qui a depuis accroché cette énigmatique carte postale dans son bureau.
Sourire aux lèvres lorsqu’il évoque le souvenir de cette missive, Mathieu Cochard rappelle, en remontant plus loin dans sa mémoire, qu’il ne voulait surtout pas embrasser cette carrière de restaurateur. C’est en tout cas ce qu’il s’était promis, plus jeune, en voyant ses parents s’épuiser dans la pizzeria familiale de Bourgoin-Jallieu, non loin du stade Pierre-Rajon : « Je les aidais beaucoup, mais ils étaient souvent absents et rencontraient de nombreuses difficultés. Je savais dès lors que je ne voulais pas de ça pour ma vie de famille. »
Deux trajectoires différentes
Le jeune berjallien s’inscrit pourtant à l’Institut Vatel, spécialisé dans l’hôtellerie-restauration, avec la ferme intention d’intégrer, à terme, un grand groupe hôtelier. « C’est ici que j’ai rencontré Thibault. Nous sommes restés trois ans dans la même classe. On est devenu potes et on rêvait de pouvoir ouvrir un jour notre propre affaire dans l’hôtellerie. »
Les trajectoires des deux hommes s’éloignent toutefois à la sortie de l’école : Thibault Salvat file en Australie au restaurant gastronomique du Sofitel Wentworth de Sydney, Mathieu Cochard intègre la Brasserie Georges en 2007, comme directeur commercial.
Avec un petit bizutage à la clé : « Je l’avais mis sur le terrain, le nez dans le service pour qu’il se rende bien compte de la réalité du métier, des contraintes et des difficultés d’un établissement comme le nôtre, relève Jacky Gallmann, encore et toujours aux manettes de la Brasserie Georges aujourd’hui. Ça lui a permis de comprendre la Brasserie pour mieux la vendre ensuite sur le plan commercial. » « Quelques semaines après mon arrivée, on battait le record de la brasserie pour la Fête des Lumières avec 3 150 couverts. Je me suis vraiment demandé où j’avais atterri… », se rappelle le dirigeant, tout juste âgé de 22 ans à cette époque.
Son aventure dans le mythique établissement du cours de Verdun s’arrêtera quatre ans plus tard, avec un départ pour la Suisse et l’hôtel Mövenpick de Genève. « Je savais qu’il avait de l’ambition. Il cherchait continuellement à évoluer chez nous, mais je n’ai pas su le retenir puisque je ne pouvais rien lui proposer de plus », regrette le directeur emblématique de la Brasserie Georges.
Mathieu Cochard et Thibault Salvat tiennent leur projet phare
Mathieu Cochard convainc alors son vieil ami Thibault Salvat, rentré d’Australie et désormais salarié de l’Hôtel Warwick Reine Astrid du boulevard des Belges, de venir le rejoindre sur les rives du lac Léman. « C’est la première fois qu’on a travaillé ensemble. Et c’est à partir de là qu’on s’est vraiment renseigné pour monter notre propre affaire », renseigne Thibault Salvat.
Après plusieurs mois de réflexion, le binôme tient enfin son projet phare : l’ouverture d’une antenne du Hard Rock Café, en plein cœur de Lyon. « Au départ, ce sont des membres de ma famille qui m’en parlent. Et en faisant mes recherches, je vois que la marque n’est présente que dans trois villes en France (Paris, Marseille et Nice) et cherche à ouvrir à Lyon. Dès qu’on a vu ça, on a foncé », rejoue Mathieu Cochard.
Nous sommes alors en 2015 et la ville de Lyon, embarquée dans une stratégie touristique offensive, suit le projet avec attention. « À cette époque, on était très friand d’implanter des enseignes de rayonnement international en mesure d’apporter une certaine caution à la ville. Donc j’ai trouvé leur projet très malin et nous leur avons ouvert grand nos portes et nos bras », avance François Gaillard, ancien directeur de l’office du tourisme.
L’ouverture du Hard Rock Café en 2016
Mathieu Cochard et Thibault Salvat rencontrent alors Gérard Collomb, trouvent un local de 1 200 m2 au cœur de la Presqu’île et tombent rapidement d’accord avec les banques qui acceptent de financer ce projet à 4 millions d’euros.
Dix-huit mois plus tard, le 30 octobre 2016, le Hard Rock Café ouvre ses portes rue Grôlée. « Jamais on on n’aurait pensé ouvrir quelque chose d’aussi gros aussi vite, mais tout s’est enchaîné très rapidement, confirment les deux amis. Et tout nous a semblé très simple, notamment grâce à la renommée mondiale du Hard Rock Café qui nous a bien aidés. C’était une période d’euphorie, tout se passait comme on l’avait planifié. Les planètes étaient alignées. »
Et les clients affluent en masse dès l’ouverture. Malgré les médisances postales, le Hard Rock Café fête son premier anniversaire en grande pompe, avec un concert rassemblant 2 500 personnes devant l’établissement. Avec 360 000 couverts en deux ans et une année 2017 record à 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, le restaurant trouve rapidement son rythme de croisière. Le pari est gagné.
En face du grand dôme
L’appétit vient en mangeant. Après deux années passées à servir (et déguster) le meilleur burger du monde – selon le titre remporté par le Hard Rock Café Lyon lors du Sirha 2019 –, Mathieu Cochard et Thibault Salvat rêvent plus grand. « On avait la volonté de s’agrandir et d’ouvrir d’autres établissements. Donc, lorsqu’on nous a fait visiter le Grand Réfectoire, on a sauté sur l’occasion. On savait qu’un restaurant dans une salle classée comme celle-ci, on ne pourrait le faire qu’une seule fois. »
Les deux associés s’adossent alors à bpifrance et Carvest, le fonds d’investissement du Crédit Agricole, pour construire le projet qui a nécessité 4,5 millions d’euros d’investissement.
Le Grand Réfectoire ouvre ses portes un an plus tard, sur 1 700 m2, avec des équipes réunies autour d’Emmanuel Sailer, directeur associé de l’établissement, et Marcel Ravin, chef doublement étoilé. « Ils étaient là à la genèse du projet et sont encore avec nous aujourd’hui. Ce sont des gens sur qui on peut compter, souligne Mathieu Cochard. C’est plaisant d’avoir cette vraie continuité. C’est ce qui fait les grands restaurants comme la Brasserie Georges ou les maisons Bocuse et c’est ce qu’on veut garder pour être encore là dans 20, 30 ou 40 ans. »
4 millions d’euros de chiffre d’affaires par an
Avec aujourd’hui 4 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, le Grand Réfectoire tourne à plein régime. D’autant que les clients se pressent aussi à l’étage, sur la terrasse de l’Officine, le bar imaginé par le duo et Marc Bonneton, ancien directeur de l’établissement, avec qui les relations se sont depuis rafraîchies.
« J’ai accompagné le démarrage du projet, mais je ne suis plus opérationnel là-bas. Avec Mathieu Cochard, nous avons deux fortes personnalités, beaucoup d’ego et d’ambition, et tout ce que ça implique… », décrypte aujourd’hui le dirigeant de Cockorico, toujours associé sur l’Officine malgré les quelques tensions. « Mathieu a ce côté très direct, très brut. Il dit ce qu’il pense sans détour, alors que j’y vais sans doute un peu plus en rondeur, dans la nuance ou la neutralité, note Thibault Salvat. On est différents, mais on se connaît depuis très longtemps, on est complémentaires et c’est cet équilibre qui fait la force de notre duo. »
Sortie de crise
Avec la réussite de leurs affaires en Presqu’île, les deux entrepreneurs ont choisi de s’impliquer dans le tissu associatif local. Mathieu Cochard est ainsi vice-président de l’association MyPresqu’île aux côtés d’Olivier Michel depuis 2018, tandis que Thibault Salvat occupe la présidence des restaurateurs à l’Umih du Rhône.
Ainsi, lorsque la crise sanitaire oblige les restaurateurs à baisser le rideau dans la plus totale incertitude, les deux hommes courent les médias pour informer clients et dirigeants des dernières mesures et recommandations en vigueur. Après deux années troubles qui auront lourdement impacté son activité, le binôme semble enfin apercevoir le bout du tunnel.
Mais l’équilibre est encore précaire. « On vient de faire 3 millions d’euros de chiffre d’affaires au Hard Rock Café, avec une très bonne fin d’année, donc on vise un retour aux 4 millions d’euros pour 2023 », expose Mathieu Cochard, au moment de dresser le bilan d’une année 2022 durant laquelle le groupe a lancé son deuxième restaurant italien, Ciao Nonna, à La Part-Dieu, après une première ouverture réussie à Vénissieux entre les enseignes Ikea et Leroy Merlin en 2021.
Viser toujours plus loin en 2023
Et les perspectives de développement pour 2023 fleurissent. Outre l’ouverture du kiosque Ciao Nonna au Grand Hôtel-Dieu, les deux associés ont lancé le restaurant libanais Ayla – distingué par le Gault&Millau avant même son ouverture – avec Corinne Bec, ex-sous-chef de cuisine au Grand Réfectoire, et son compagnon Najem Atmeh.
Un nouvel établissement, face aux Halles Paul Bocuse, qui doit leur permettre de franchir la barre des 12 millions d’euros d’activité en 2023, tous restaurants confondus. « On aimerait atteindre à terme les 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais on préfère ouvrir petit à petit sans se fixer d’objectifs trop lointains, parce qu’on est dans un métier qui évolue très rapidement avec des problématiques lourdes liées au recrutement », renseignent les deux amis, qui surveillent aussi de près d’éventuelles opportunités dans le monde de l’hôtellerie.
« Je vois aujourd’hui certaines personnes qui font un peu tout et n’importe quoi, mais ce n’est pas leur cas. Mathieu et Thibault sont pragmatiques, savent où ils vont et comment ils y vont », complète Olivier Michel, président de l’association MyPresqu’île. Et après cette ascension express, les deux hommes ressentent aujourd’hui le besoin de ralentir la cadence « pour nous consolider, améliorer nos façons de faire et gagner en productivité ». On se permettra simplement de leur signaler qu’un local de 1 200 m2 est désormais libre suite à la fermeture des Halles dans le Grand Hôtel-Dieu…
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