Avec la disparition à 91 ans de Gérard Pélisson, cofondateur du groupe Accor avec Paul Dubrule, c’est un capitaine d’industrie emblématique qui s’efface. Un entrepreneur de la trempe d’un Antoine Riboud, Philippe Foriel-Destezet, Alain Mérieux ou Paul Bocuse avec qui il créa l’Institut Paul Bocuse en 1998, à Ecully, l’école internationale de formation aux métiers de la restauration. Mais, avant l’association avec Paul Bocuse, l’histoire de Gérard Pélisson est celle d’un formidable duo avec Paul Dubrule avec qui il hissa le groupe Accor au rang de numéro un mondial de l’hôtellerie avant d’être doublé par des groupes asiatiques et américains. Aujourd’hui encore, Accor avec ses 4 500 établissements, 800 000 chambres et 260 000 salariés dans 110 pays se place au 6e rang mondial des groupes hôteliers avec des enseignes renommées : Sofitel, Novotel, Pullman, Mercure ou Ibis.
« Un grand patron, très humain et généreux »
Tout a démarré dans les années 60 avec un Novotel dans le Nord, où est né Paul Dubrule, de deux ans son cadet. Gérard Pélisson, diplômé de Centrale Paris et du MIT, commence sa carrière chez IBM avant de s’associer avec Paul Dubrule. Les rôles sont parfaitement répartis entre eux : à Paul Dubrule, le marketing et la stratégie ; à Gérard Pélisson, les finances et les chiffres. Et toutes les décisions sont prises d’un commun accord entre les deux co-présidents. Ils développent en France le modèle américain d’une hôtellerie standardisée avec des chaînes au développement international, à l’instar du groupe Holiday Inn. Pour le groupe français, ce sera Novotel puis Sofitel rentré dans le groupe dans les années 80 et d’autres encore.
« Il rêvait d’avoir le Sofitel Bellecour dans son groupe. Et il a fini par le décrocher, se souvient Eric Obeuf qui a dirigé pendant 23 ans le 5 étoiles du quai Gailleton jusqu’en 2010. C’était un grand patron, très humain et généreux. Quand, il venait à Lyon, j’allais le chercher à Bron et il me réclamait toujours une quenelle bien gonflée. « N’oubliez pas que je suis Lyonnais », répétait-il avec insistance. Il aimait aussi fêter Noël avec sa vieille mère et sa famille lyonnaise, dont Gilles Pélisson, son neveu, au Sofitel. Il avait tenu aussi à me remettre personnellement l’ordre national du mérite, sans publicité extérieure ».
« Profonde admiration pour une icône »
Même tonalité du côté de Jacques Bourguignon, directeur du Sofitel Bellecour de fin 2014 à février 2022. « Au-delà de la tristesse, c’est une profonde admiration que j’ai pour lui. Il avait un sens de l’humour extraordinaire et une vision de l’hôtellerie impressionnante. Il a donné à des milliers de professionnels la passion de ce métier. On peut parler d’une icône avec un sens de l’exemplarité et la volonté de développer ce métier ».
Parmi les fiertés de Gérard Pélisson, l’accueil du président des Etats-Unis, Bill Clinton, au Sofitel Bellecour en juin 1996, lors du G7 de Lyon. Mais aussi l’étoile au Michelin pour les Trois Dômes en 2005 (perdue récemment). « Gérard Pélisson enrageait que nous n’ayons pas une étoile pour notre restaurant gastronomique, se souvient Eric Obeuf. Il revenait toujours à la charge. J’ai fait ce qu’il fallait avec l’aide d’Alain Sanderens et l’équipe du restaurant emmenée par Alain Desvilles pour y arriver. Quand on l’a décroché, il m’a dit : « organisez-moi une table avec 15 chefs pour fêter l’événement aux Trois Dômes ».
Très courte expérience politique avec Charles Millon
S’il tenait à son étoile pour le restaurant gastronomique du Sofitel, Gérard Pélisson, n’était pas le plus regardant sur la tenue de l’hôtel. « C’est Paul Dubrule qui vous glissait, en partant, 3 ou 4 remarques sur les améliorations à apporter. Gérard Pélisson n’avait pas de chambre attitrée quand il descendait ici. Ce qui me frappait le plus, c’est qu’après 40 ans de travail ensemble, les deux se vouvoyaient toujours, même s’ils étaient d’une complicité rare ».
Côté politique, c’est Paul Dubrule qui a mieux réussi que Gérard Pélisson. Le 1er a fait carrière en Seine-et-Marne, maire de Fontainebleau et sénateur RPR à l’époque. Le 2nd, candidat sur les listes de Charles Millon aux municipales en 2001 n’a pas insisté après l’échec de l’ancien ministre de la Défense. Quant aux sports, Paul Dubrule était un adepte de la petite reine quand Gérard Pélisson avait la passion du golf.
A l’annonce du décès de Gérard Pélisson, l’actuel patron d’Accor, Sébastien Bazin, a salué en Gérard Pélisson « le modèle même de l’entrepreneur » qui, avec Paul Dubrule, a « réinventé les codes de l’hôtellerie pour lui imprimer un nouveau cap au rayonnement international ».