LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Fabienne Buccio, une préfète hors cadre

Nommée préfète du Rhône et d’Auvergne-Rhône-Alpes fin janvier, Fabienne Buccio a pris ses fonctions avec la réputation d’être une femme de terrain qui détonne. Issue d’une famille modeste, l’ancienne étudiante boursière a gravi un par un les échelons dans la préfectorale qu’elle a intégrée au bas de l’échelle. Avec, à son actif notamment, la gestion réussie de l’explosif dossier du démantèlement de la jungle de Calais.

Alors, comment on se sent dans le costume de préfète à deux heures du coup d’envoi de la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ? Un peu stressée ? « Non, jamais de stress. On a bien préparé les choses donc je me sens prête. Et je reste calme dans toutes les situations, je suis comme cela… J’ai également besoin de calme pour écouter les autres et prendre des décisions », répond du tac au tac Fabienne Buccio, ce mardi 28 mars sur les coups de midi, alors qu’elle s’apprête à rejoindre la salle de commandement pour suivre la manifestation sur des écrans connectés aux caméras de vidéosurveillance.

Une journée de contestation finalement comme les précédentes, émaillée de quelques dégradations le long du cortège, mais sans incident majeur à relever. Nommée le 30 janvier dernier à la préfecture du Rhône et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, en remplacement de Pascal Mailhos muté dans l’antiterrorisme à Paris, Fabienne Buccio en a de toute façon déjà vu d’autres. Préfète du Pas-de-Calais entre 2015 et 2017, elle s’est fait un nom et une (bonne) réputation en pilotant avec succès le dossier explosif – tant politiquement que médiatiquement – de la jungle de Calais. Un job dont il se murmure que plusieurs hommes ambitieux l’ont poliment refusé, trop casse-gueule pour la suite de la carrière.

Pas de calcul de ce genre pour Fabienne Buccio, arrivée de la préfecture de la Loire, qui imprime vite son style à Calais. « Elle arrivait avec son chauffeur, ouvrait le coffre de la voiture et sortait ses bottes en caoutchouc pour aller dans le camp », se souvient Stéphane Duval, qui dirigeait alors un centre d’accueil pour les femmes et les enfants. « Je me faisais engueuler parce que je partais seule sur le camp. Mais j’avais besoin de prendre la température après avoir entendu tellement de choses inexactes. Et, au fil des mois, j’ai pu nouer une relation de confiance avec les différents chefs de communautés – afghans, érythréens, soudanais… – parce que j’ai fait les choses correctement et que je n’ai jamais menti. Et cela n’a jamais posé problème que je sois une femme », rembobine Fabienne Buccio, qui ne cessera, pendant ses deux années en poste dans le Nord, d’arpenter la jungle.

Un terme qu’elle n’utilise d’ailleurs jamais : « On parle d’êtres humains, je me refuse à employer un tel mot. » Le lien est également constant avec les associations présentes sur place, dont certaines entraient en confrontation directe avec la représentante de l’État. « Fabienne Buccio animait des réunions avec les associations tous les 15 jours. Elle se faisait parfois malmener, mais elle ne s’est jamais défilée, reprend l’humanitaire Stéphane Duval. C’est quelqu’un qui n’hésite pas à aller au charbon. Et lorsqu’elle n’est pas d’accord, elle n’est jamais agressive, mais elle ne prend pas de gants pour le dire. J’en ai moi-même parfois fait les frais… Mais elle était dans son rôle. »

Tsunami médiatique

Alors chargée de mission à la Préfecture sur les questions migratoires à Calais, Delphine Brard estime que Fabienne Buccio a réussi à trouver « le bon équilibre entre sécuritaire et humanitaire » tout au long de la gestion du dossier de la jungle, qui connaît son point d’orgue au moment du démantèlement en octobre 2016 – négocié par la préfète avec les chefs de clans – dans un véritable tsunami médiatique avec plus de 800 journalistes du monde entier dépêchés sur les lieux.

« C’est la première fois de ma vie que j’étais autant exposée médiatiquement. J’ai même donné des interviews à des télés chinoises et mexicaines. On avait l’impression que le monde entier nous regardait. Mais je pouvais dire que l’on avait réussi le démantèlement, car il a été réussi. Il a fallu de l’autorité, mais on ne peut pas me prendre à défaut d’humanité », commente aujourd’hui Fabienne Buccio, nommée préfète de la région Nouvelle-Aquitaine une fois sa mission accomplie. « Je pensais alors avoir géré le dossier le plus compliqué de ma carrière à Calais », raconte-t-elle. Mais c’était sans compter sur les méga-incendies en Gironde de l’été 2022, qui entraîneront en quelques jours les évacuations de près de 50 000 personnes.

Elle se retrouve de nouveau en première ligne. « Parfois, je me dis quel métier de… (elle coupe sa phrase). Mais cela ne dure jamais vraiment longtemps parce que j’aime ce métier où l’on traite de l’humain et où l’on arrive à débloquer des dossiers. C’est peut-être présomptueux de ma part, mais j’ai le sentiment de pouvoir agir sur les choses en tant que préfète », expose Fabienne Buccio, qui revendique au quotidien une « application intelligente de la loi » puis de la « pédagogie » pour expliquer les décisions qu’elle est amenée à prendre. « Et je sais d’avance que, quel que soit le sujet, aucune de mes décisions ne fera l’unanimité. C’est normal, je serai forcément critiquée et mes arrêtés préfectoraux seront contestés devant le tribunal administratif. En cela, le poste de préfet pousse à l’humilité », dit-elle dans un sourire.

Taper du poing sur la table

Un poste qui n’offre, en revanche, pas beaucoup de répit. Fabienne Buccio a pu s’en rendre compte une nouvelle fois en devant taper du poing sur la table, à peine le pied posée à la préfecture fin janvier, à propos de l’invitation très contestée de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, à l’Hôtel de Ville de Lyon pour participer à une table ronde – finalement annulée par la mairie à la dernière minute. « J’ai dit à Grégory Doucet que j’annulerais moi-même cette table ronde s’il ne le faisait pas, car il y avait un risque de trouble à l’ordre public. J’aurais préféré que ça commence plus en douceur entre nous, mais c’est ainsi. J’ai fait ce que je devais faire, tout en respectant le maire de Lyon », explique-t-elle.

Mais, promis, tout va mieux depuis : « Le préfet se doit de travailler en bonne intelligence avec le maire de Lyon ainsi qu’avec les présidents de la Métropole, du Département et de la Région. Les citoyens attendent cela. Et je me moque de l’étiquette politique des élus, j’ai uniquement de l’intérêt pour qui ils sont », claque-t-elle. Passé cet épisode inaugural, Fabienne Buccio fait depuis connaissance avec les décideurs politiques et économiques lyonnais en multipliant les rendez-vous dans son bureau de la préfecture.

Et semble faire l’unanimité, ou presque. « Elle est accessible, chaleureuse et à l’écoute. Je trouve qu’elle apporte une certaine fraîcheur », décrit ainsi le chef d’entreprise et président des conseillers du commerce extérieur Morane Rey-Huet. « C’est une femme courageuse, pugnace, travailleuse et très humaine, applaudit de son côté le député (écologiste) Hubert Julien-Laferrière. Je serai évidemment attentif à sa gestion du dossier des mineurs isolés (l’un de ses sujets de prédilection, NDLR), mais j’ai eu une très bonne première impression. » « Elle connaît très bien les rouages des collectivités locales et de l’État, elle dit clairement les choses et c’est agréable d’échanger avec elle. C’est une préfète avec qui ça va bien se passer », pronostique quant à lui le député (LR) Alexandre Vincendet.

Même tonalité, encore, du côté du maire (PS) de Villeurbanne et vice-président de la Métropole, Cédric Van Styvendael : « Elle a le contact facile et on sent tout de suite qu’elle a l’expérience du terrain. Elle ne semble pas corsetée par le protocole même si elle reste profondément préfète. Les premières discussions ont été positives », affirme-t-il. Et, tous, de mettre en avant son « parcours atypique », loin du moule classique des préfets élevés à l’Ena.

Un pur produit de la méritocratie

Née à Gap il y a 63 ans d’un père italien peintre en bâtiment ayant fui le fascisme et d’une mère femme de ménage, Fabienne Buccio est un pur produit de la méritocratie. Elle se fait d’abord remarquer par ses professeurs du lycée qui lui conseillent de suivre des études supérieures. Ses parents ne sont pas contre, mais n’ont pas les moyens de l’aider.

Étudiante boursière, Fabienne Buccio décroche les concours des Ira Lyon (Instituts régionaux d’administration) et débarque à Villeurbanne pour suivre ses cours. Clin d’œil de son histoire, elle habitait à l’époque rue du Tonkin, là même où en tant que préfète elle vient d’ordonner le démantèlement d’un squat…

Son diplôme des Ira en poche, la jeune femme poursuit avec un DUT de gestion des administrations puis une maîtrise de droit public, avant d’entamer, en 1983, sa carrière dans la préfectorale qu’elle commence au bas de l’échelle, avec un job d’attachée à la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence.

Elle prévient alors son mari : « Si je réussis professionnellement, nous devrons souvent déménager… » Et ce n’étaient pas des paroles en l’air. Fabienne Buccio entame un tour de France des préfectures, successivement cheffe de bureau dans les Hautes-Alpes (1984-1994), directrice des services du préfet dans l’Orne (1994-1997) puis en Haute-Loire (1997-1998) avant de monter en grade et se voir nommer sous-préfète de la Corrèze.

Repérée par Jacques Chirac

C’est là qu’elle se fait remarquer par le Président Chirac (toujours resté très attentif aux affaires de son département) lors de la tempête de décembre 1999. « Le préfet en poste passait ses congés de Noël en Normandie et en plus il était grippé. Nous nous sommes donc retrouvés à gérer la tempête avec le secrétaire général de la préfecture. Bernadette Chirac a trouvé qu’on s’était bien débrouillé et l’a fait savoir à son mari. » Ce qui vaudra à Fabienne Buccio, quatre ans plus tard, d’être contactée par le Président de la République, qui lui propose d’intégrer son équipe de conseillers techniques. Jacques Chirac la convoque à Paris et lui dit : « Je ne vous demande pas pour qui vous votez, mais est-ce que vous avez envie de travailler avec moi ? »

Fabienne Buccio fera le reste du second quinquennat à l’Élysée. Avant de reprendre son tour de France dans la préfectorale. Sous-préfète avant son passage au Palais, elle devient ensuite successivement préfète de la Mayenne (2007-2009), de l’Eure (2009-2011), de la Loire (2011-2015) puis du Pas-de-Calais (2015-2017). Le démantèlement de la jungle lui vaudra de passer au statut de préfète de Région, de Normandie (2017-2019), de Nouvelle-Aquitaine (2019-2023) puis enfin d’Auvergne-Rhône-Alpes.

« Je n’ai jamais fait de plan de carrière pour en arriver là. Je n’avais même jamais imaginé être nommée un jour sous-préfète », promet Fabienne Buccio, qui assure également ne pas être une adepte de l’exercice solitaire du pouvoir. « Non, je ne suis pas une solitaire et je revendique le fait de pouvoir me tromper. Ce que je crains le plus, c’est que mes équipes soient toujours d’accord avec moi. Parce que ce n’est pas comme cela que l’on prend les meilleures décisions », déclare-t-elle. La carte de la transparence, une nouvelle fois.

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