Enquête : le boom de la semaine de 4 jours à Lyon

Dans la foulée de LDLC qui a beaucoup communiqué sur le sujet, de multiples entreprises ou collectivités sont passées ou s’apprêtent à tester la semaine de 4 jours. Le sujet, cher au fondateur du groupe de e-commerce informatique, Laurent de la Clergerie, divise et ne laisse personne indifférent, de la nouvelle secrétaire nationale de la CGT Sophie Binet à Patrick Martin, le grand favori à la succession de Geoffroy Roux de Bézieux à la présidence du Medef.
© Marie-Ève Brouet

Diffi­cile d’évoquer le sujet de la semaine de quatre jours en terre lyon­naise sans citer Laurent de la Cler­ge­rie. Le fonda­teur du Groupe LDLC, leader de la vente en ligne de maté­riel infor­ma­tique, s’érige désor­mais en porte-éten­dard de cette mesure phare, mise en place dans son entre­prise à Limo­nest, et pour ses 1 050 sala­riés, depuis janvier 2021.

À tel point que le diri­geant est aujourd’­hui mécon­nais­sable. Le timide et discret entre­pre­neur, qui lais­sait volon­tiers son frère Olivier prendre la parole à sa place dans les médias ces dernières années, s’af­firme depuis quelques mois comme l’une des figures de proue du patro­nat lyon­nais.

Omni­pré­sent dans les médias (et même en prime-time sur M6), invité régu­lier des tables rondes et autres confé­rences du tissu écono­mique local, et nouveau person­nage influent des réseaux sociaux avec ses 52 000 abon­nés sur LinkedIn, Laurent de la Cler­ge­rie défend sa mesure et le passage de ses sala­riés aux 32h (sans baisse de salaire) avec panache et passion.

Si bien qu’il a même été lui-même contraint de passer à la semai­ne… de 3 jours pour en faire la promo­tion. « Le sujet m’a un peu débordé et je passe effec­ti­ve­ment beau­coup de temps à l’ex­té­rieur pour en parler. Cela devient un vrai sujet d’ac­tua­lité car cette mesure a changé l’en­tre­prise et la vie de nos colla­bo­ra­teurs, souligne le diri­geant qui a publié au prin­temps son livre « Osez la semaine de 4 jours ! ». Quand je vois comme ça renforce la qualité de vie des sala­riés, leur effi­ca­cité et l’am­biance au sein de la boîte, je me dis qu’il faut en parler et expliquer les bien­faits des 4 jours. » Les sala­riés du Groupe LDLC lui ont même offert début juin une veste brodée de l’ins­crip­tion « Mister 4 jours » pour conti­nuer de promou­voir cette mesure lors de ses prochaines sorties. 

Et si le groupe installé à Limo­nest traverse aujourd’­hui une passe diffi­cile avec un chiffre d’af­faires annuel en retrait depuis deux exer­cices (567,4 millions d’eu­ros en 2022–2023 contre 724,1 millions en 2020–2021) et un résul­tat net qui a fondu comme neige au soleil en un an (de 36 à 1,2 million d’eu­ros), Laurent de la Cler­ge­rie fait savoir qu’il ne revien­dra pas en arrière : « Je sais que je ne revien­drai pas aux 5 jours. On travaille mieux sur 4 jours, avec des colla­bo­ra­teurs qui se sentent bien. Donc si je repasse aux 5 jours, je vais perdre de l’ef­fi­ca­cité. » 

La Métro­pole de Lyon en expé­ri­men­ta­tion à partir de septembre

Si les esprits les plus mali­cieux verront dans ce recul d’ac­ti­vité le signe de l’échec de la semaine de 4 jours, le nouveau rythme de travail chez LDLC commence à faire des émules partout en France. La nouvelle secré­taire géné­rale de la CGT, Sophie Binet, s’est par exemple appuyée sur l’en­tre­prise de Limo­nest pour plai­der en faveur des 4 jours et 32 heures, payées 35 sur France Inter fin mars.

Bruno Bernard
© Marie-Ève Brouet

De son côté, la Métro­pole de Lyon a annoncé, début mai, qu’elle allait expé­ri­men­ter la semaine de 4 jours à partir de septembre, sur une base volon­taire ouverte à ses 9 600 agents. Cette expé­ri­men­ta­tion, calée sur l’agenda scolaire, aura pour objec­tif prin­ci­pal de tester le dispo­si­tif et de véri­fier s’il est compa­tible avec les missions de service public de la collec­ti­vité.

 « La quan­tité de travail sera iden­tique et le nombre d’heures travaillées restera conforme à la légis­la­tion, précise Zémorda Khelifi, la vice-prési­dente de la Métro­pole délé­guée aux ressources humaines. Nous allons adap­ter les plan­nings pour que chaque agent gagne en qualité de vie tout en préser­vant un service au public opti­mal pour nos habi­tants. »

Inspi­rée par diffé­rentes collec­ti­vi­tés locales et en concer­ta­tion avec les orga­ni­sa­tions syndi­cales, la Métro­pole de Lyon sera la plus grosse collec­ti­vité de France à tester le dispo­si­tif.

Près de 120 services vont ainsi être repré­sen­tés lors de cette expé­ri­men­ta­tion, qui ciblera à terme, près de 5 500 agents (soit 57 % des effec­tifs de la Métro­pole). « Hormis les agents qui travaillent dans des régimes horaires parti­cu­liers (comme les agents de la collecte ou de l’eau), toutes les grandes typo­lo­gies de métiers et tous les niveaux hiérar­chiques seront repré­sen­tés », fait savoir le Grand Lyon. Un premier bilan sera réalisé six mois après le lance­ment du dispo­si­tif. 

Le Medef et Patrick Martin grincent des dents

Patrick Martin
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La semaine de 4 jours est en vogue et d’autres entre­prises lyon­naises, à l’image d’IT Part­ner, spécia­liste des services numé­riques (70 colla­bo­ra­teurs) ou de l’éner­gé­ti­cien Elmy (100 sala­riés), ont aussi adopté la mesure.

Mais cette nouvelle orga­ni­sa­tion du temps de travail hebdo­ma­daire est encore loin de faire l’una­ni­mité. « La semaine de 4 jours, je n’y crois pas. C’est une théma­tique en vogue qui m’agace profon­dé­ment  », jure un entre­pre­neur lyon­nais. Les critiques sont aussi acerbes dans les rangs des orga­ni­sa­tions patro­nales et notam­ment du Medef. « La semaine de quatre jours n’est pas une solu­tion », affir­mait ainsi Geof­froy Roux de Bézieux, le président du Medef, fin mai, dans les colonnes du Figaro.

L’en­tre­pre­neur lyon­nais Patrick Martin, grand favori à sa succes­sion en tant que patron des patrons à l’heure ou nous écri­vons ces lignes, prolonge : « C’est un peu le sujet tarte à la crème du moment. Certains secteurs d’ac­ti­vité, certaines entre­prises peuvent passer à la semaine de 4 jours, mais ça n’est évidem­ment pas une géné­ra­lité. J’ai beau­coup de respect pour LDLC, mais l’en­tre­prise n’est pas repré­­sen­­ta­­tive de l’en­­semble des secteurs d’ac­ti­vité de l’éco­no­mie française. Impo­ser la semaine de 4 jours à toutes les entre­prises françaises, ce serait finir de se tirer des balles dans le pied. »

Un point sur lequel Laurent de la Cler­ge­rie est en parfait accord : « Il ne faut pas l’im­po­ser à qui que ce soit, mais simple­ment donner les clés et la possi­bi­lité de fran­chir le pas à tous ceux qui y songent. Nous, on fait du retail, de la logis­tique et du travail dans les bureaux, et dans ces trois métiers, ça passe. Je sais aussi que des socié­tés dans l’in­dus­trie, la menui­se­rie, le bâti­ment y sont passées et y arrivent. »

Et l’en­tre­pre­neur de mili­ter pour un grand test natio­nal sur 200 entre­prises volon­taires. « Je ne sais pas si c’est appli­cable partout, mais il n’y a qu’en effec­tuant des tests qu’on verra si cela peut marcher. Je suis person­nel­le­ment convaincu que c’est un sujet mondial et que beau­coup de monde travaillera à 4 jours dans quelques années », pour­suit-il.

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