Difficile d’évoquer le sujet de la semaine de quatre jours en terre lyonnaise sans citer Laurent de la Clergerie. Le fondateur du Groupe LDLC, leader de la vente en ligne de matériel informatique, s’érige désormais en porte-étendard de cette mesure phare, mise en place dans son entreprise à Limonest, et pour ses 1 050 salariés, depuis janvier 2021.
À tel point que le dirigeant est aujourd’hui méconnaissable. Le timide et discret entrepreneur, qui laissait volontiers son frère Olivier prendre la parole à sa place dans les médias ces dernières années, s’affirme depuis quelques mois comme l’une des figures de proue du patronat lyonnais.
Omniprésent dans les médias (et même en prime-time sur M6), invité régulier des tables rondes et autres conférences du tissu économique local, et nouveau personnage influent des réseaux sociaux avec ses 52 000 abonnés sur LinkedIn, Laurent de la Clergerie défend sa mesure et le passage de ses salariés aux 32h (sans baisse de salaire) avec panache et passion.
Si bien qu’il a même été lui-même contraint de passer à la semaine… de 3 jours pour en faire la promotion. « Le sujet m’a un peu débordé et je passe effectivement beaucoup de temps à l’extérieur pour en parler. Cela devient un vrai sujet d’actualité car cette mesure a changé l’entreprise et la vie de nos collaborateurs, souligne le dirigeant qui a publié au printemps son livre « Osez la semaine de 4 jours ! ». Quand je vois comme ça renforce la qualité de vie des salariés, leur efficacité et l’ambiance au sein de la boîte, je me dis qu’il faut en parler et expliquer les bienfaits des 4 jours. » Les salariés du Groupe LDLC lui ont même offert début juin une veste brodée de l’inscription « Mister 4 jours » pour continuer de promouvoir cette mesure lors de ses prochaines sorties.
Et si le groupe installé à Limonest traverse aujourd’hui une passe difficile avec un chiffre d’affaires annuel en retrait depuis deux exercices (567,4 millions d’euros en 2022-2023 contre 724,1 millions en 2020-2021) et un résultat net qui a fondu comme neige au soleil en un an (de 36 à 1,2 million d’euros), Laurent de la Clergerie fait savoir qu’il ne reviendra pas en arrière : « Je sais que je ne reviendrai pas aux 5 jours. On travaille mieux sur 4 jours, avec des collaborateurs qui se sentent bien. Donc si je repasse aux 5 jours, je vais perdre de l’efficacité. »
La Métropole de Lyon en expérimentation à partir de septembre
Si les esprits les plus malicieux verront dans ce recul d’activité le signe de l’échec de la semaine de 4 jours, le nouveau rythme de travail chez LDLC commence à faire des émules partout en France. La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, s’est par exemple appuyée sur l’entreprise de Limonest pour plaider en faveur des 4 jours et 32 heures, payées 35 sur France Inter fin mars.
De son côté, la Métropole de Lyon a annoncé, début mai, qu’elle allait expérimenter la semaine de 4 jours à partir de septembre, sur une base volontaire ouverte à ses 9 600 agents. Cette expérimentation, calée sur l’agenda scolaire, aura pour objectif principal de tester le dispositif et de vérifier s’il est compatible avec les missions de service public de la collectivité.
« La quantité de travail sera identique et le nombre d’heures travaillées restera conforme à la législation, précise Zémorda Khelifi, la vice-présidente de la Métropole déléguée aux ressources humaines. Nous allons adapter les plannings pour que chaque agent gagne en qualité de vie tout en préservant un service au public optimal pour nos habitants. »
Inspirée par différentes collectivités locales et en concertation avec les organisations syndicales, la Métropole de Lyon sera la plus grosse collectivité de France à tester le dispositif.
Près de 120 services vont ainsi être représentés lors de cette expérimentation, qui ciblera à terme, près de 5 500 agents (soit 57 % des effectifs de la Métropole). « Hormis les agents qui travaillent dans des régimes horaires particuliers (comme les agents de la collecte ou de l’eau), toutes les grandes typologies de métiers et tous les niveaux hiérarchiques seront représentés », fait savoir le Grand Lyon. Un premier bilan sera réalisé six mois après le lancement du dispositif.
Le Medef et Patrick Martin grincent des dents
La semaine de 4 jours est en vogue et d’autres entreprises lyonnaises, à l’image d’IT Partner, spécialiste des services numériques (70 collaborateurs) ou de l’énergéticien Elmy (100 salariés), ont aussi adopté la mesure.
Mais cette nouvelle organisation du temps de travail hebdomadaire est encore loin de faire l’unanimité. « La semaine de 4 jours, je n’y crois pas. C’est une thématique en vogue qui m’agace profondément », jure un entrepreneur lyonnais. Les critiques sont aussi acerbes dans les rangs des organisations patronales et notamment du Medef. « La semaine de quatre jours n’est pas une solution », affirmait ainsi Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, fin mai, dans les colonnes du Figaro.
L’entrepreneur lyonnais Patrick Martin, grand favori à sa succession en tant que patron des patrons à l’heure ou nous écrivons ces lignes, prolonge : « C’est un peu le sujet tarte à la crème du moment. Certains secteurs d’activité, certaines entreprises peuvent passer à la semaine de 4 jours, mais ça n’est évidemment pas une généralité. J’ai beaucoup de respect pour LDLC, mais l’entreprise n’est pas représentative de l’ensemble des secteurs d’activité de l’économie française. Imposer la semaine de 4 jours à toutes les entreprises françaises, ce serait finir de se tirer des balles dans le pied. »
Un point sur lequel Laurent de la Clergerie est en parfait accord : « Il ne faut pas l’imposer à qui que ce soit, mais simplement donner les clés et la possibilité de franchir le pas à tous ceux qui y songent. Nous, on fait du retail, de la logistique et du travail dans les bureaux, et dans ces trois métiers, ça passe. Je sais aussi que des sociétés dans l’industrie, la menuiserie, le bâtiment y sont passées et y arrivent. »
Et l’entrepreneur de militer pour un grand test national sur 200 entreprises volontaires. « Je ne sais pas si c’est applicable partout, mais il n’y a qu’en effectuant des tests qu’on verra si cela peut marcher. Je suis personnellement convaincu que c’est un sujet mondial et que beaucoup de monde travaillera à 4 jours dans quelques années », poursuit-il.