Il n’a jamais cessé d’y croire et confiait même en rêver encore dans les dernières lignes de son autobiographie Chaque jour se réinventer, parue en mars dernier. Jean-Michel Aulas n’embrassera pas son objectif ultime, celui de placer son OL sur le toit du football continental.
Malgré les années fastes et trois apparitions dans le dernier carré européen, cette quête obstinée dessine aujourd’hui l’une des seules ombres au tableau esquissé depuis 1987 : « Mon parcours à l’OL me laisse un léger goût d’inachevé. La finalité était de faire gagner l’OL en France, mais aussi en Europe chez les garçons, ce qui n’a malheureusement pas été le cas et est un échec à mes yeux. » Le mot paraît fort tant l’intouchable patron lyonnais a collectionné les succès comme les fanions des joutes européennes dans son bureau du Groupama Stadium.
Mais au moment de refermer le chapitre le plus important de sa vie, les souvenirs des désillusions contre le PSV Eindhoven, l’AC Milan, le Bayern Munich ou l’Ajax Amsterdam reviennent inlassablement en tête. Comme des regrets éternels.
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Placer Lyon et l’OL sur la carte européenne
Depuis l’annonce de son départ – laconique et au petit matin – par les nouveaux propriétaires du club, les débats foisonnent sur la trace et l’empreinte laissées par Jean-Michel Aulas. Est-il le plus grand président de l’histoire du football français ? Où le placer parmi les illustres Bernard Tapie, Claude Bez et Roger Rocher ? Les avis divergent, mais les hommages sont unanimes.
Les premières critiques adressées au jeune débutant qui foulait la pelouse du stade de Gerland aux côtés de son prédécesseur Charles Mighirian à l’été 1987 appartiennent désormais à un autre siècle. À un autre monde. Tous saluent aujourd’hui l’odyssée fantastique d’un président visionnaire et bâtisseur.
À l’image d’un Paul Bocuse, Jean-Michel Aulas fait partie des acteurs qui auront placé Lyon sur la carte des villes européennes ; les figures d’une ville en pleine mutation. Dès sa première saison au club, l’OL, alors sans sponsor et en deuxième division, arbore d’ailleurs un maillot flanqué des inscriptions : « Lyon ville européenne » et « OL Europe ».
Las des moqueries, le président souhaite déjà faire de l’OL un club européen : « Lyon est une ville de dimension européenne et les plus importantes métropoles d’Europe possèdent des clubs de dimension européenne : Londres, Manchester, Munich, Madrid, Barcelone, Turin, Milan, Rome… », retrace-t-il dans son autobiographie. Ces clubs du gotha européen, l’OL les a reçus ces vingt dernières années à Gerland, Décines, ou même à Collonges-au-Mont-d’Or, à l’Auberge Paul Bocuse où le président avait l’habitude de convier ses homologues européens avant chaque rencontre.
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Le football dans une nouvelle ère
Il y a l’Europe bien sûr, et ces nuits mémorables contre le Real Madrid, le Bayern Munich, Manchester City ou ces premiers exploits contre la Lazio de Rome et l’Öster Växjö, mais il y a surtout cette domination domestique sans partage, avec sept titres de champion de France consécutifs. Un record encore inégalé aujourd’hui.
Mais chaque cycle a sa fin, et depuis cette période dorée, l’OL n’a remporté qu’une seule petite coupe de France. « On n’a peut-être pas su faire en sorte de se renouveler à l’aube de ce septième titre », confiait Jean-Michel Aulas pour Téléfoot à la mi-mai. Monopolisé par son projet de Grand Stade, l’outil qui devait lui permettre d’atteindre enfin les sommets européens, le président n’a pu qu’assister, impuissant, à l’arrivée du Qatar à la tête du Paris Saint-Germain.
Ringardisé par la venue de ces super-puissances du Golfe aux capitaux illimités (Qatar, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite…), JMA s’est insurgé, a longtemps crié à l’injustice, avant d’accepter douloureusement le fait que le football entrait dans une nouvelle ère. Un cercle nouveau, dans lequel les bâtisseurs d’hier sont bien souvent chassés par des fonds d’investissement opaques.
L’OL devait assurément changer son mode de fonctionnement. Ces dix dernières années sans trophées, passées à se réjouir des performances économiques et des quelques qualifications européennes, pendant que Lille, Guingamp, Rennes, Strasbourg, Nantes, Toulouse et même Saint-Étienne remplissaient leur armoire à trophées, ont coupé l’OL d’une partie de ses supporters. John Textor l’a bien compris.
Le nouveau propriétaire du club a mesuré ces derniers mois la colère des tribunes et des réseaux sociaux. En avril dernier, une banderole déployée par les supporters l’incitait à agir au plus vite alors que l’OL achève une nouvelle saison morose, encore loin des places européennes (pour la troisième fois en quatre ans). L’OL de Jean-Michel Aulas ne gagnait plus, son modèle était dépassé. Alors l’homme d’affaires américain a tranché dans le vif, bien plus tôt que prévu.
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Le divorce prématuré
Le scénario était inéluctable, Jean-Michel Aulas en était parfaitement conscient. En se rangeant à l’avis de Thomas Riboud-Seydoux, fils adoptif de Jérôme Seydoux, de laisser la majorité du club à John Textor, le président historique de l’OL se savait en sursis. Il avait négocié pour prolonger son aventure d’encore au moins trois ans, mais cette direction bicéphale n’avait pas un avenir infini.
Ainsi, moins de cinq mois après l’arrivée de l’investisseur américain qu’il avait lui-même adoubé face à la presse, l’OL officialisait son départ par un communiqué glacial de 17 lignes envoyé aux aurores. La méthode, discutable et discutée – surtout en interne –, est jugée « scandaleuse » et « honteuse » par des partenaires du club de longue date. Elle témoigne surtout de la nouvelle ère qui s’ouvre à l’OL.
Au lendemain de ce communiqué, John Textor apparaissait seul face à la presse, dans l’auditorium du Groupama Stadium, pour expliquer les raisons de ce divorce prématuré. Et l’homme d’affaires américain a usé des mêmes techniques que son prédécesseur pour dribbler les questions des journalistes, tous médusés d’assister à une conférence sur la stratégie lyonnaise sans voir apparaître Jean-Michel Aulas.
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Communicant hors-pair, parfois chambreur, un brin provocateur, mais toujours au service des intérêts de son équipe, JMA va laisser un grand vide, une trace indélébile dans le football français. Amené à prendre des responsabilités à la FFF pour continuer de structurer le football féminin dans lequel il n’a cessé de croire et d’investir, il observera, depuis sa future loge du Groupama Stadium, attendant de voir si John Textor peut enfin soulever ce trophée continental derrière lequel il a tant couru ces 36 dernières années. Comme un simple supporter, ou presque.
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