Nicolas Fafiotte est débordé, comme souvent en cette période de l’année. Le couturier lyonnais, spécialiste des robes de mariée, du soir ou de cérémonie confectionnées sur-mesure, enchaîne les rendez-vous dans sa boutique-atelier de la rue du Plat.
« C’est la période la plus dure parce que tout le monde se bouscule. Je dois livrer les robes des mariages de mai et juin, mais aussi avancer avec les clientes de juillet, août, septembre et octobre qui viennent en rendez-vous. Je suis overbooké et c’est un peu tendu », confie-t-il à l’aube de cette saison charnière éprouvante, mais stimulante.
« De mai à août, son travail lui prend 250 % du temps. Mais il excelle lorsqu’il doit travailler dans l’urgence. C’est souvent au dernier moment qu’il a ses meilleures idées », juge son ami – et témoin de mariage – Frédéric Fass, aussi propriétaire du restaurant Le F2 en Presqu’île, où Nicolas Fafiotte a ses habitudes.
Très attaché à ses racines aindinoises, l’enfant d’Oyonnax, où vivent encore sa sœur et ses parents (qui conservent religieusement chaque article lui étant consacré), fête en plus depuis décembre la vingtième année d’ouverture de sa maison de couture près de la place Bellecour.
Et les festivités sont chargées. Le couturier expose dix de ses créations au musée des Soieries Bonnet à Jujurieux de mai à novembre, et travaille pour la fin d’année sur un défilé rétrospectif de ses vingt dernières années dans un haut lieu lyonnais. « Donc on peut dire que j’ai du boulot », se marre le styliste dans le train retour de Paris, où il vient tout juste de livrer une robe en dentelle à son amie Sylvie Tellier, en partance pour le festival de Cannes.
La reine de beauté, élue Miss France 2002 dans une robe signée Nicolas Fafiotte, n’a jamais coupé le lien avec le créateur lyonnais. « Nicolas me connaît par cœur. Donc, avant de grands événements, je ne me pose même pas la question de savoir quelle robe je vais porter. Ce sera du Nicolas Fafiotte, expose l’ancienne directrice de la société Miss France (2005-2022), qui a longtemps milité pour voir le créateur installer sa plaque à Paris. Je lui ai soufflé l’idée, mais il n’a jamais voulu. Il a déjà beaucoup de commandes à honorer, donc il ne peut pas se dédoubler. Et surtout, il ne voulait pas abandonner sa clientèle lyonnaise. »
Critiques et jalousie
Nicolas Fafiotte entretient une relation à part avec ses clientes : « J’assure avec elles chaque rendez-vous en personne. J’ai besoin de passer du temps, d’échanger, de faire les essayages avec elles. C’est essentiel lorsque vous faites du sur-mesure, mais impossible dès lors que vous ouvrez plusieurs boutiques… » Loin de lui l’idée, donc, de bâtir un empire griffé Nicolas Fafiotte aux quatre coins du pays. « Je n’ai pas envie que mon entreprise soit plus grosse. Je ne saurais pas m’agrandir et je suis surtout heureux comme ça », glisse cet entrepreneur avant tout passionné par la création.
À Lyon, le couturier fait aujourd’hui partie, avec Nathalie Chaize, des dernières grandes figures de la mode. « On prouve tous les deux qu’on peut faire ce métier depuis Lyon, expose la créatrice installée dans le 6e arrondissement. Même si on a sans doute été pris pour des ploucs à un moment puisque, dans la mode, Paris a toujours posé un regard assez négatif et méprisant sur Lyon et la province. »
« Je suis très médiatisé, mais je reste un petit artisan »
Loin du tumulte des grandes avenues parisiennes, Nicolas Fafiotte s’est pourtant fait un nom, année après année, sans échapper aux critiques et jalousies d’un milieu réputé très dur. « Il est d’une extrême générosité, aime profondément son métier et n’hésite pas à s’impliquer pour le collectif. Mais comme il est souvent en première ligne et médiatisé, il a parfois été envié ou jalousé par certains de ses concurrents », relève Pierre-Jacques Brivet, président du syndicat Mode-Habillement Aura et de l’association Modalyon. Le personnage, tour à tour décrit comme « généreux », « talentueux » et « travailleur », bénéficie tout de même d’une belle cote de sympathie dans la mode lyonnaise aujourd’hui.
« Je pense que beaucoup de gens ont une vision surdimensionnée de mon entreprise. Cette aventure de vingt ans aux côtés de Sylvie Tellier et du concours Miss France m’a donné la possibilité d’être très médiatisé, mais je reste un petit artisan à la tête d’une petite boîte et avec une petite équipe », souligne le chef d’entreprise, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 500 000 euros avec ses quatre collaborateurs.
De Max Chaoul à Sylvie Tellier
Cette rencontre avec Sylvie Tellier, sur la péniche du Fish en 2001, est assurément le tournant de sa carrière : « J’ai eu la chance extraordinaire de croiser sa route, et si je ne l’avais pas rencontrée, je ne serais sûrement pas en train de faire cette interview aujourd’hui. » À cette époque, le jeune couturier traverse des mois difficiles. Diplômé avec brio de l’Esmod, sous le regard bienveillant de sa directrice Isabelle Gleize, qui lui avait ouvert en grand les portes de l’école pour le sortir de la déprime et de ses études de comptabilité-secrétariat, le jeune styliste démarre sa carrière chez Max Chaoul, avant de rejoindre la prestigieuse maison Ungaro à Paris. « Une expérience formidable. J’y ai appris la rigueur et l’excellence en dessinant des robes pour Sharon Stone ou pour des clientes des Émirats qui achetaient ensuite leur robe 600 000 francs ! »
Après deux autres expériences en indépendant chez Yves Saint-Laurent puis Christian Lacroix, il retrouve Lyon et l’atelier de Max Chaoul début 2001. Mais ce retour n’est pas aussi beau qu’attendu. « Après les attentats du 11 septembre, toutes les commandes vers New York sont gelées. Max est dans une situation financière très compliquée et me licencie pour motif économique. C’était très dur et horrible, je lui en ai longtemps voulu, mais on a pu s’expliquer avant son décès… »
À 27 ans, Nicolas Fafiotte doit donc repartir de zéro, seul chez lui, dans son petit appartement du 7e arrondissement. Et les premiers mois sont plutôt chaotiques. « Quand vous montez votre boîte, vous ne pouvez pas échapper aux problèmes de trésorerie. C’était une période très difficile, mais j’ai eu la chance de trouver Sylvie Tellier. » À cette époque, la jeune étudiante en droit est aussi désemparée que le couturier.
« Quand Sylvie est élue Miss France, je me dis que je ne la reverrai plus jamais… Mais elle débarque avec sa couronne en bas de chez moi quelques jours plus tard »
Fraîchement élue Miss Lyon, elle doit trouver en urgence une robe pour le jury de présélection de Miss France, sous peine d’être disqualifiée du concours. « Je tombe sur lui au Fish lors d’une soirée où j’avais été conviée dans le cadre de mon titre de Miss Lyon, raconte Sylvie Tellier vingt ans plus tard. Il cherche de la visibilité et rêve d’ouvrir sa marque, et moi je cherche une robe, avec le rêve de décrocher la couronne de Miss France. » Deal. Le couturier confectionne une robe dans l’urgence – en seulement trois jours – à la candidate et assiste, éberlué, à son sacre à la télévision. « Quand elle est élue Miss France, je me dis que je ne la reverrai plus jamais… Mais elle débarque quelques jours plus tard avec sa 206 cabriolet et sa couronne en bas de chez moi ! » Sylvie Tellier vient rendre la fameuse robe porte-bonheur, et fait surtout part au couturier de son envie de continuer l’aventure Miss France avec ses tenues. « Elle a choisi de me mettre à l’honneur, alors qu’elle aurait pu se faire habiller par les plus grandes maisons, et que je n’étais qu’un jeune créateur, peut-être talentueux mais avec aussi toutes ses incompétences ! », souligne un Nicolas Fafiotte encore ému par cette main tendue.
Le coup de pouce sur TF1
L’aventure avec la reine de beauté, déjà très médiatisée, démarre fort. En partance pour Miss Univers (dans une robe signée Fafiotte évidemment), Sylvie Tellier fait venir les caméras de TF1 pour un défilé du couturier à la Cour des Loges. Et pousse pour lui faire ouvrir sa boutique au cœur de Lyon. « Il avait peur, me disait qu’il n’aurait jamais sa clientèle. Mais pour moi, il était bien trop talentueux pour continuer de travailler dans son petit appartement. Son carnet de commandes allait forcément se remplir petit à petit avec le bouche-à-oreille », confesse-t-elle aujourd’hui.
Sylvie Tellier et Nicolas Fafiotte © Olivier Ribardiere
Bien aidé par son amie lyonnaise, qui cite son nom dès qu’elle en a l’occasion, Nicolas Fafiotte ouvre sa boutique rue du Plat, le 2 décembre 2002. « Dix jours plus tard, Sylvie rend sa couronne en direct sur TF1 au Palais des Sports de Gerland. Elle dit qu’elle est habillée par un jeune couturier lyonnais nommé Nicolas Fafiotte. Le lundi suivant, j’ai toute une file de journalistes qui viennent me voir à la boutique. Ça m’a fait démarrer sur les chapeaux de roues ! » Mais toute cette effervescence autour du jeune styliste ne fait pas que des heureux à Lyon. « Des couturiers avec des années et des années de métier avaient les boules de me voir débarquer grâce à la médiatisation de Sylvie. Disons qu’ils ne m’ont pas fait une grande place quand je me suis installé… »
Vingt ans plus tard, Nicolas Fafiotte a tracé sa route et aiguisé sa griffe. Le couturier lyonnais brille par ses créations à la fois classiques et décalées, son goût des matières nobles (mousseline de soie, organza, tulle, dentelle, gaze de coton…) et son attention particulière portée sur le choix des couleurs. Ses clientes viennent de Lyon, Paris, mais aussi Boston, New York, Stockholm, Rio de Janeiro ou Hong-Kong et déboursent entre 3 000 et 20 000 euros pour ses robes. « Il y a bien sûr des clientes riches qui ont envie de se faire plaisir. Mais le sur-mesure, ce sont aussi des femmes qui ne peuvent pas faire autrement parce qu’elles sont trop fortes, trop maigres, trop petites, ou parce qu’elles ont eu des problèmes de santé, comme un cancer du sein… C’est très important de pouvoir leur dire oui. J’en ai qui sont venues me voir parce que des confrères leur demandaient de perdre du poids avant de les habiller… Je trouve ça horrible ! »
Chez Nicolas Fafiotte, chaque cliente est reçue entre cinq et six fois dans la boutique, pensée comme un boudoir contemporain, raffiné et très intimiste. « Je voulais qu’elles aient l’impression d’être dans un appart, pas dans une boutique. La semaine dernière, des clientes en avance sont allées prendre des verres et du champagne à la cave d’à côté. On l’a bu tous ensemble après les essayages, c’est pile cet esprit que je cherchais. »
Couturier touche-à-tout
En plus de ses robes de mariée et de cérémonie, le créateur n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour des collaborations parfois étonnantes. Outre sa longue aventure avec le comité Miss France entre 2005 et 2022, pour les robes des cinq finalistes puis des 29 candidates, et les robes de Sylvie Tellier – parfois réalisées dans l’urgence et par téléphone – ou de la Miss Univers Iris Mittenaere, le couturier s’est fait remarquer pour ses créations pour la chanteuse Amel Bent, les patineurs champions du Monde Isabelle Delobel et Olivier Schoenfelder, et même pour des robes en chocolat réalisées avec les pâtissiers Sébastien Bouillet et Philippe Bernachon.
« C’est génial de relever ces défis. Ça permet de créer des complicités nouvelles dans des univers différents. En ce moment, par exemple, j’habille la drag-queen Léona Winter, révélée dans The Voice, pour ses spectacles », avance le couturier, également partenaire entre 2013 et 2019 du Live Show d’Etam Lingerie organisé chaque année pour l’ouverture de la Fashion Week parisienne.
D’autres collaborations ont vu le jour avec les bijoutiers lyonnais Beaumont & Finet ou plus récemment en association avec la marque française de robes de mariée Pronuptia. « Ils sont venus me chercher pour une collection capsule et nous en avons lancé une deuxième en début d’année qui est distribuée en boutique. J’avais même pensé ouvrir une boutique de prêt-à-porter à Lyon pour diffuser ces lignes et d’autres marques, mais à l’aube de mes 50 ans, j’ai préféré me concentrer sur mon savoir-faire plutôt que de m’éparpiller », renseigne le créateur, qui a depuis abandonné cette idée.
Après les festivités des 20 ans, le couturier devrait plancher sur un nouveau projet aux côtés de Sylvie Tellier, son amie de toujours. « Oui, on a des envies, mais je ne peux pas vous dire encore de quoi il s’agit, affirme la dirigeante qui a quitté la société Miss France à l’automne. Quoi que je fasse dans la vie, Nicolas n’est jamais très loin. Mais il doit d’abord finir de fournir et livrer toutes ses commandes pour cet été (rires). » Une urgence après l’autre.
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