LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Thierry Gardon, la révélation

Ce lundi 12 juin, 69 juges du tribunal de commerce de Lyon se réunissent en « conclave » pour désigner celui ou celle qui succédera à Thierry Gardon en janvier prochain. Une primaire indicative puisque le vrai vote interviendra, lui, en octobre. Depuis 2020, le président du tribunal de commerce de Lyon a réussi à faire bouger les lignes en imposant son style.

« Un très bon président qui a modernisé la fonction », « il a remis le tribunal de commerce de Lyon dans le bon sens », « avec lui, on est dans un climat de confiance » et même « son mandat fera date »… Tous préfèrent garder l’anonymat (il ne faudrait pas passer pour un fayot), mais quelques coups de fil à des avocats et administrateurs judiciaires lyonnais suffisent à mesurer la cote de popularité de Thierry Gardon à la présidence du tribunal de commerce de Lyon.

« Il ne faut pas être naïf, il ne fait pas l’unanimité non plus. Il n’a pas que des soutiens, notamment parce que le pouvoir isole, tempère un avocat lyonnais qui plaide souvent au tribunal de commerce. Mais il a réussi à véritablement imprimer son style. Thierry Gardon, c’est d’abord une forte personnalité. Quand il entre dans une pièce, il prend beaucoup de place. C’est aussi un hyper communicant avec un discours franc – les mauvaises langues disent d’ailleurs qu’il communique trop – et cela dénote dans le monde judiciaire. »

Et pourtant, vu de l’extérieur, on aurait pu penser que Thierry Gardon vivait l’expérience d’un mandat tronqué. Officiellement installé dans ses fonctions le 24 janvier 2020, tout s’arrête quelques semaines plus tard avec le premier confinement. L’état dégaine alors les PGE, et le nombre de défaillances d’entreprises – comme de contentieux – est en chute libre.

Voilà donc Thierry Gardon qui se retrouve nouveau président d’un tribunal de commerce au chômage technique ou presque, avec une activité au point mort pendant de longs mois. « Non, je ne parle absolument pas d’un mandat tronqué. Au contraire, c’est un mandat très intéressant parce que notre juridiction a été mise en avant pendant cette période. On n’a jamais autant parlé des questions de prévention des difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. J’ai été beaucoup sollicité par la presse à ce sujet et il s’agissait justement d’un des messages forts que je voulais porter », rétorque Thierry Gardon, à qui il reste neuf mois avant de rendre son tablier début 2024.

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Et qui ne connaît que maintenant un volume d’activité « normal », avec une spectaculaire progression des procédures préventives et un retour au même niveau que 2019 des défaillances d’entreprises. « Son mandat a été simple, car tout s’est arrêté et les emmerdes naissent des dossiers quand on est président d’un tribunal de commerce. Mais c’est aussi un mandat compliqué, car il devait se bouger et être force de proposition malgré le manque de dossiers. Il fallait être moteur et il l’a été. Et il a su convaincre grâce à sa bonhomie et ses bonnes idées… », complète un autre avocat de la place, en faisant notamment référence au doublement des heures de formation des juges pendant la période creuse.

Preuve aussi d’une certaine audace, Thierry Gardon s’est même permis de bouleverser les horaires – inchangés depuis des lustres – des audiences des procédures collectives qui se tiendront l’après-midi et non plus le matin à partir de la rentrée prochaine. « Une révolution, vous ne vous rendez pas compte ! », s’amuse un observateur.

Sortir des lyonnaiseries

Lorsqu’il est élu par 50 des 69 juges du tribunal pour succéder au discret Michel Thomas dans un scrutin qui l’opposait au directeur général de LDLC Olivier de la Clergerie, Thierry Gardon est alors un nouveau visage parmi les décideurs lyonnais. Bien sûr, tout le monde le connaît au tribunal de commerce où il est juge depuis 2010.

Et, « sympa et chaleureux avec toujours la même facilité de contact et le même intérêt pour son interlocuteur, qu’il soit chef d’une petite entreprise ou grand patron comme Jean-Michel Aulas » selon l’un de ses proches, il a aussi eu le temps de se faire un important carnet d’adresses. N’empêche : « Thierry Gardon a apporté un nouveau souffle, car on est sorti des lyonnaiseries avec lui. Il vient de la Haute-Loire et n’a pas fait toute sa carrière à Lyon. En cela, il ne faisait pas partie de l’establishment », décrypte, toujours en off, un mandataire judiciaire lyonnais.

Installé dans le fauteuil de président au troisième étage du palais de justice de la rue Servient (Lyon 3e), Thierry Gardon gagne très vite la réputation d’être un président dont la porte est toujours ouverte. « Je veux être un président disponible. Il faut vraiment que les chefs d’entreprise comprennent que le tribunal de commerce est l’endroit où ils peuvent trouver de l’aide et de la protection. J’essaie donc de recevoir tout le monde en 48 heures et ensuite on prend le temps de discuter », rapporte-t-il.

Patron du discounter d’électroménager MDA, Michel Vieira peut en témoigner, lui qui a demandé la protection du tribunal de commerce quelques jours seulement après l’obligation de fermer les 200 boutiques de son réseau au début de la crise sanitaire.

Une procédure de sauvegarde déclenchée en avril 2020 qui a permis au groupe installé à Lozanne de réorganiser sa dette et de retrouver de l’air pour repartir de l’avant : « Je n’avais jamais mis les pieds au tribunal de commerce avant ce jour-là et j’ai rencontré un mec bien. On a passé plus de deux heures dans son bureau, rembobine Michel Vieira. Avec lui, la discussion est libre même s’il peut être dur. Il montre du respect, mais il teste le dirigeant qu’il a en face de lui et ne fait pas de cadeau. C’est quelqu’un de costaud qui a sauvé plus de 1200 emplois chez MDA, plus tous les prestataires et les sous-traitants. Je ne le remercierai jamais assez, son mandat est bénévole et il était dispo H24. Je pouvais lui envoyer un texto à minuit lorsque j’avais une inquiétude, il répondait tout de suite. »

Un avocat spécialiste des dossiers d’entreprises en difficulté complète : « Thierry Gardon est un affectif, une personne authentique, bienveillante et très accessible. Mais en même temps, on le craint. On a un peu la trouille quand on rentre dans son bureau, car il se montre impitoyable si le chef d’entreprise a fait une faute. Il peut piquer des colères homériques comme rarement un président de tribunal de commerce en pousse. Et quand il est en colère, il se braque. Thierry Gardon aime l’autorité et l’ordre et il peut parfois se montrer autoritaire. »

Bande de coquins

« Je ne suis pas là pour faire plaisir, mais pour servir et trouver des solutions pour assurer la pérennité des entreprises. On m’aime ou pas et je peux me tromper, mais je suis juste », répond Thierry Gardon qui a fait de l’exemplarité du tribunal de commerce de Lyon un sujet central de sa présidence. Il le sait parfaitement, la juridiction est souvent critiquée pour son manque de transparence et son image parfois entachée par des affaires sulfureuses.

Dernier exemple en date à Lyon, la condamnation en 2020 à de la prison ferme de l’ex-mandataire judiciaire Jean-Philippe Reverdy reconnu coupable du détournement de plus de 10 millions d’euros dans le cadre de ses fonctions. Un climat de défiance généralisé que Thierry Gardon a pu mesurer à peine arrivé à la présidence du tribunal de commerce avec un cadeau de bienvenue un peu particulier : une polémique, relayée par nos confrères des Potins d’Angèle, sur un possible conflit d’intérêts au motif que son fils John Gardon, ainsi que sa compagne d’alors, travaillaient tous deux pour des cabinets d’avocats spécialisés dans les procédures collectives. « Je ne me suis évidemment jamais impliqué dans les dossiers en provenance de ces cabinets. Je suis conscient qu’il y a une suspicion autour des tribunaux de commerce. Les chefs d’entreprise viennent déjà ici à reculons, il ne faut pas qu’ils aient le moindre doute sur la partialité des juges ou du président. C’est pour cela que j’ai mis en place de nouvelles règles relatives à la déontologie », expose Thierry Gardon qui refuse, par précaution, de donner le nom de ses (nombreux) amis entrepreneurs : « Si je dis que je suis ami avec untel ou untel, le chef d’entreprise en procès avec l’un deux et qui reçoit une décision défavorable pourrait penser que le tribunal est une bande de coquins. »

Ancien secrétaire d’État chargé des sports sous François Hollande redevenu avocat, Thierry Braillard félicite lui aussi la posture de Thierry Gardon : « On peut parler d’une main de fer dans un gant de velours. C’est quelqu’un de très ouvert et d’affable. Mais il sait aussi montrer une inflexibilité plus que nécessaire. Dans nombre de dossiers, il a remis le tribunal sur de bons rails. Avant il pouvait peut-être y avoir des copinages qui entraînaient des suspicions. Thierry Gardon est très accessible, mais il n’accorde pas de privilège et est véritablement très attentif à cela. Pour voyager un peu dans différents tribunaux de commerce en France, celui de Lyon est exemplaire. »

« J’ai connu cette angoisse »

Gage de son détachement des dossiers, Thierry Gardon a fait le choix de ne plus siéger en audience depuis son accession à la présidence. Pour se concentrer exclusivement en amont sur les procédures à l’amiable dans son bureau. « Je ne suis pas un super président qui garde pour lui les super dossiers médiatiques comme Navya ou Place du Marché. Je revendique de consacrer beaucoup de temps à des dossiers qui n’intéressent personne à part leurs dirigeants et quelques salariés », affirme-t-il.

Et cela, la bâtonnière Marie-Josèphe Laurent, qui côtoie notamment Thierry Gardon dans un groupe de réflexion rassemblant avocats, magistrats et universitaires relancé sous l’impulsion du président du tribunal de commerce, l’a bien remarqué : « Il est toujours préoccupé par le sort des chefs d’entreprise, qu’ils soient “petits” ou à la tête d’une grande entreprise. Quand il est face à un entrepreneur en difficulté financière et morale, on sent que ça touche l’homme qui est dans l’empathie. » Sans doute parce que Thierry Gardon n’a pas de mal à se mettre à leur place.

Au cours de sa vie d’entrepreneur, celui qui est à la tête de la financière Jost (une holding familiale de prises de participations dans les secteurs du textile, de l’agriculture, du conseil et du commerce international) a tour à tour dirigé une ETI industrielle de 250 collaborateurs qui confectionnait des fils synthétiques pour les fabricants de moquettes, puis une PME de 30 salariés spécialisée dans le leasing de vaches laitières à des producteurs. « Il faut avoir été soi-même chef d’entreprise pour comprendre ce qu’un chef d’entreprise peut ressentir quand il vient devant vous pour déposer le bilan », assure celui qui ne cache pas avoir connu « les coups de fil du banquier, les mouvements sociaux et l’obligation de devoir licencier en se demandant ce que vont devenir des salariés » ; « Moi aussi j’ai connu cette angoisse, ce souci permanent. Il m’arrivait d’attendre dans mon bureau jusqu’à 22 heures en me disant qu’une commande allait peut-être arriver… », dévoile Thierry Gardon, qui considère son engagement au tribunal comme un juste retour des choses : « Je viens d’une famille modeste et l’entreprise a été mon ascenseur social. Mon engagement auprès des chefs d’entreprise en difficulté est donc ma contribution personnelle. »

Thierry Gardon assure d’ailleurs que sa candidature à la présidence du tribunal de commerce ne répondait donc pas à une ambition personnelle ou un besoin de reconnaissance. « Nous avons tous – et certainement moi le premier – un besoin de reconnaissance. Mais ce n’est pas cela qui est à l’origine de ma candidature. Tout est parti de discussions, avec d’autres collègues du tribunal, dans lesquelles on se demandait comment faire évoluer cette juridiction. Puis ce petit groupe s’est élargi, et plus la date des élections approchait, plus notre projet prenait forme. Jusqu’au moment où l’on m’a demandé si je souhaitais me présenter pour porter ce projet », rejoue-t-il.

Une proposition que Thierry Gardon ne regrette pas : « C’est une chance inouïe d’être président d’un tribunal de commerce. C’est un poste intellectuellement très intéressant et j’ai rencontré beaucoup de personnes que je ne pensais jamais rencontrer. Par exemple, j’ai un entretien avec la préfète Fabienne Buccio cet après-midi, révèle-t-il le jour de notre entretien. Avec ce mandat, je suis sorti de ma zone de confort. »

C’est pourtant sans regret, promis, qu’il passera le flambeau à son successeur dans quelques mois. « Je suis au tribunal du lundi matin au vendredi soir et le bénévolat est quand même un vrai problème. À Lyon, l’usage veut que le président ne fasse qu’un mandat et cela me va très bien. » À 61 ans, la retraite n’est pas pour maintenant, mais Thierry Gardon a déjà des idées pour la suite. Il songe notamment à reprendre une activité de conseil. « Et il faut aussi que je m’occupe de mes poules en Haute-Loire », ajoute-t-il. Tout un programme.

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