Un huissier de justice. Un vigile à l’entrée. Des cabinets d’avocats en nombre dans la salle. Et un communiqué pour donner les résultats de l’assemblée générale trois jours seulement après la fin des votes… Autant dire que l’assemblée générale de Neolife n’a pas été de tout repos lundi 26 juin dans les locaux de Fidal à Vaise, le cabinet d’avocats de la direction de l’entreprise de Champagne-au-Mont-d’Or, spécialisée dans les éco-matériaux.
A priori, tout aurait pu se passer sereinement. En 2022, le chiffre d’affaires a progressé de 24% à 13,3 millions d’euros et la croissance se poursuit au 1er trimestre de 2023 : + 17%. « Neolife, c’est une belle réussite, une entreprise avec beaucoup de R & D, de beaux produits, des clients qui paient bien. De mémoire en 2021, il y avait 3 millions d’euros de cash dans les caisses. Il y a donc eu un problème opérationnel en 2022 », explique un ancien salarié de Néolife.
Un trou d’air financier que Patrick Marché, fondateur de Néolife avec Bernard Voisin, ne cache pas. « Notre croissance s’est traduite par une augmentation du besoin en fonds de roulement, lui-même impacté par les conditions de marché dégradées. Face à ce besoin de trésorerie urgent pour financer la croissance et honorer nos engagements, notamment le remboursement des PGE, nous avons dû trouver un financement rapide et flexible (…) via un contrat d’émission d’OCEANE (NDLR : obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles ou existantes), tout en étant conscients de l’impact dilutif lié pour les actionnaires de la société, en ce compris pour les fondateurs et les managers ».
Les fonds de dette en accusation
Un programme de financement en OCEANE d’un montant de 2 millions d’euros, dont 1,5 million a fait l’objet d’un tirage, mais qui a entrainé une charge financière exceptionnelle de 3 millions, creusant les pertes de l’entreprise. Et c’est là que le bât blesse.
Sur ces contrats de dettes localisés dans des destinations exotiques (Bahamas, Dubaï et autres lieux spécialisés), le prêteur joue en bourse en achetant et en revendant dans la foulée, donc ne perdant rien dans l’opération tandis que le petit porteur voit le nombre d’actions exploser en même temps que le cours dégringole. « Ces fonds sont hors périmètre de l’Union européenne et de l’AMF (Autorité des marchés financiers). Ils sont toujours gagnants, tandis que les petits porteurs sont complètement démotivés pour ne pas dire excédés », explique un spécialiste boursier. Le même schéma ou presque s’est produit dans d’autres PME lyonnaises cotées telles que Delta Drone ou Spineway.
Dans le cas de Néolife, la situation s’est compliquée quand la société Capriona de Pascal Léandri, entrepreneur réunionnais spécialisé dans la construction et actionnaire de Néolife depuis de 2019, a proposé son aide à Néolife en 2022 sous forme d’augmentation de capital classique réservée. Refus poli mais ferme de la direction, sans doute désireuse de ne pas devenir trop dépendante de Capriona.
Et c’est ainsi que Capriona a continué de ramasser des titres sur le marché jusqu’à atteindre 13%, soit globalement autant que les fondateurs et managers actuels. Et de déclencher les hostilités en vue de l’assemblée générale des actionnaires en soumettant plusieurs résolutions demandant tout simplement la révocation de tout le conseil de surveillance et du président du directoire.
Capriona dénonce aussi certaines conventions passées entre Néolife et une autre société détenue par Patrick Marché. Le verdict est tombé après 3 jours de silence assourdissant. Patrick Marché n’est pas révoqué mais il ne dépasse pas les 52,5% face à 47,5% de votants prêts à le révoquer. Bernard Voisin, président du directoire, s’en sort mieux avec 85,9% de vote favorables.
Patrick Marché laisse une place à Pascal Léandri
Sur les 6 nominations proposées par Capriona au conseil de surveillance, cinq ne franchissent par la barre des 41,3%. Seul Pascal Léandri réalise un score impressionnant de 94,5%, signe que Patrick Marché a jugé normal qu’il siège au conseil de surveillance, au nom du « respect d’un actionnaire. Je crois que c’est cela une société cotée », glisse Patrick Marché comme unique commentaire.
Un début d’ouverture ? Peut-être, mais la direction de Neolife rappelle, dans le même temps, que les franchissements de seuil de Capriona n’ayant pas été déclaré en 2019, « elle se réserve la faculté d’initier toute action judiciaire qu’elle jugera opportune (…) étant rappelé que le défaut de déclaration d’un franchissement de seuil constitue une infraction pénale ». Un contrefeu sans doute au cas où les opposants engageraient des recours par rapport à cette assemblée générale qui n’a totalisé que 38% de votants.
Et, de fait, Pascal Léandri et Capriona n’ont pas tardé à faire savoir qu’ils contestent ces résultats. « Le bureau de l’assemblée, présidé par Patrick Marché, a procédé d’autorité à l’annulation de 13,2 millions de droits de votes sur les 15,8 millions détenus par Capriona et Pascal Leandri », explique ce dernier dans un communiqué publié ce mardi 4 juillet. Et d’ajouter : « Sur les conseils de Fidal, avocat de Néolife, l’essentiel des droits de vote de Capriona et de Pascal Leandri ont été annulés pour une prétendue non-conformité d’une déclaration de franchissement de seuil des 5% de Capriona datant du 14 octobre 2019, malgré la production en assemblée d’une copie de cette déclaration approuvée par le président de Néolife, à l’époque, Sébastien Marin Laflèche (…) Tous ces votes (pour plus de 21 millions, soit 43 % des votes exprimables ) demandaient la révocation de Patrick Marché (et non celle de Bernard Voisin) afin d’en finir avec les pratiques financières de Néolife et de permettre un renouvellement de la gouvernance dans l’intérêt général. Les motifs d’annulation invoqués sont fallacieux. Enfin, il n’a pas été possible de vérifier la validité des votes par correspondance et des procurations confiées aux dirigeants actuels qui assuraient les postes de président et de scrutateurs. L’étroitesse des votes des résolutions, obtenus dans de telles conditions, démontre que ces manœuvres dilatoires ont eu pour effet d’inverser le souhait majoritaire de l’assemblée des actionnaires ».
« Déni de démocratie actionnariale »
Conclusion : « Capriona étudie les suites à donner à ce déni de démocratie actionnariale et se réserve la possibilité de faire valoir ses droits en justice, notamment en vue d’une annulation de cette assemblée générale du 26 juin dernier ». Contacté par Lyon Décideurs, Pascal Léandri déclare : « Nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état. Il faut rétablir une assemblée générale régulière ». La bataille boursière autour de Néolife, loin d’être terminée, ne fait que se poursuivre…