Benja­min Lavo­rel : L’art de se faire un prénom

Il a construit en l’espace de six années l’un des plus puissants groupes de restauration, bars et discothèques à Lyon. Malgré les critiques, liées notamment à son héritage familial, Benjamin Lavorel, fils du bien connu Jean-Claude Lavorel, s’est imposé comme l’un des piliers de la nuit lyonnaise au fil du temps. Un milieu qu’il côtoie depuis déjà plus de 20 ans.
© Marie-Eve Brouet
📜Article publié dans le maga­zine Lyon Déci­deurs de septembre 2021

Diffi­cile de passer à côté de Benja­min Lavo­rel dans le monde de la restau­ra­tion et de la nuit lyon­naise. Le fils de l’en­tre­pre­neur à succès Jean-Claude Lavo­rel (ex-LVL Medi­cal, Lavo­rel Hôtels) est à la tête d’un des plus impo­sants groupes du secteur dans la métro­pole. À 44 ans l’an­cien proprié­taire du Bus Café du quai Géné­ral Sarrail dirige près d’une dizaine d’éta­blis­se­ments autour de la Presqu’île et partage ainsi son temps entre La Maison, Le Selcius, l’Azar Club e Fratelli Risto­rante à la Confluence, Café Mercière et l’Ita­lien rue Mercière, le Café Du Pond et Mamy Rose dans le 6e arron­dis­se­ment et la Maison Antoine, dernière née du groupe, sur les quais de Saône. « Il n’y a pas grand monde qui peut se vanter d’avoir un parcours semblable au sien à Lyon, renseigne Jean-François Savoye, direc­teur du maga­zine Sixty Nine, qui décrypte l’ac­tua­lité des CHR (Cafés-hôtels-restau­rants) et lieux festifs de la ville. Les gens comme lui, qui gèrent entre 10 et 15 établis­se­ments ne se comptent que sur les doigts d’une main, vous avez Auré­lien Live­neau (Le Répu­blique…), Fabien Chalard (Le Passage, La Basti­de…) et Benja­min Lavo­rel. » 

Alors forcé­ment, dans le milieu, la réus­site de Benja­min Lavo­rel suscite parfois critiques et jalou­sie. La faute notam­ment à ce patro­nyme qui, pour certains, ferait sauter bien plus faci­le­ment certaines barrières. « J’es­saie de me préser­ver de ces critiques faciles, parce qu’à force, vous deve­nez para­noïaque, avec l’im­pres­sion que tout le monde vous souhaite du mal. J’ai passé beau­coup de temps à expliquer mon parcours aux gens, pour leur montrer que je m’étais fait tout seul. Mais j’ai vite compris qu’on ne pouvait pas plaire à tout le monde », fait remarquer le prin­ci­pal inté­ressé, désor­mais à la tête d’un groupe qui compte plus de 250 colla­bo­ra­teurs.

« Il a souvent entendu que tout était plus facile pour lui puisqu’il était un Lavo­rel. Mais je pense que c’est au contraire nette­ment plus diffi­cile, puisque tout le monde l’at­tend au tour­nant et qu’il n’a pas le droit à l’er­reur », témoigne Wilfried Drevon-Balas, un ami d’en­fance et bras-droit à l’époque du Bus Café, passé aussi à la tête du Café Du Pond. « Les gens croient que je suis tout puis­sant et que Benja­min a tout obtenu grâce à moi, ou que j’ai tout financé. Ce n’est pas le cas et tout n’a pas toujours été simple », coupe net le père, Jean-Claude Lavo­rel, classé 232e fortune française par le maga­zine Chal­lenges, avec une fortune esti­mée à plus de 400 millions d’eu­ros. 

Succès et claque

Son parcours, Benja­min Lavo­rel l’a construit pas à pas, guidé par le « virus entre­pre­neu­rial qui touche la famille » (ses trois frères et sœurs sont aussi chefs d’en­tre­prise), et sans doute motivé par le modèle pater­nel. « Quand mon père a fondé LVL Médi­cal en 1989, j’avais 12 ans. C’était diffi­cile parce qu’a­vec ses horaires, je le voyais beau­coup moins. Mais au lycée, j’écou­tais de temps en temps les problé­ma­tiques qu’il rencon­trait. Les élèves d’Em­lyon l’avaient comme inter­ve­nant, moi je l’avais tous les soirs entre la poire et le fromage, ça a forcé­ment dû jouer. » Au fil des années, l’ado­les­cent se découvre une passion pour la musique, anime des soirées de mariage et prend les platines des établis­se­ments tendance des quais de Saône (42, Flamenco Rock…). Le déclic.

« Ça m’a donné envie de rache­ter une affaire. Je regar­dais ce qui se faisait, mais je n’avais pas les moyens. Et mon père n’était pas du tout dans ce monde de la nuit. Il ne voyait pas ça d’un très bon œil. » Alors, quand arrive l’op­por­tu­nité de rache­ter le Bus Café en 2000, le jeune homme de 23 ans préfère se tour­ner vers son grand frère Stanis­las. 

« C’était sûre­ment plus facile pour lui d’en parler avec son frère qu’a­vec son père, parce que les rapports ne sont évidem­ment pas les mêmes, sourit l’aîné de la fratrie. Quand il s’est lancé dans cette aven­ture, il n’avait pas beau­coup d’ex­pé­rience sur ces sujets, donc je l’ai surtout épaulé sur des problé­ma­tiques de montage finan­cier, d’ac­qui­si­tion et de struc­tu­ra­tion. » 

Ralen­tir la cadence 

Après six années de déve­lop­pe­ment express, Benja­min Lavo­rel et Sylvain Auclair entendent désor­mais lever le pied, le temps de conso­li­der le groupe. « On nous propose tous les jours ou presque de nouvelles affaires à reprendre. Aujourd’­hui, on a dit stop. On veut stabi­li­ser pendant au moins deux ans et rembour­ser les banques. Mon père me disait: “ C’est bien de se déve­lop­per, mais il faut aussi parfois calmer le déve­lop­pe­ment, stabi­li­ser, rembour­ser, souf­fler, pour mieux reprendre ensuite. Au départ, je l’écou­tais d’une oreille, puis ça a fini par rentrer dans les deux. J’en ai parlé à Sylvain qui parta­geait lui aussi ce point de vue. Cela nous permet­tra de nous rappro­cher des équipes et des clients. » Avant cette pause, le duo s’est toute­fois posi­tionné sur deux nouveaux projets pour la fin d’an­née 2021.

Après de multiples rendez-vous pour convaincre les banques, Benja­min Lavo­rel finit par rache­ter – sur une année – les parts de l’an­cien proprié­taire des lieux, sans trop s’épan­cher sur le sujet avec son père. « Le Bus Café, je ne le sentais pas vrai­ment. La nuit, c’est un monde parti­cu­lier. Je lui avais dit qu’il n’avait pas les codes, se remé­more Jean-Claude Lavo­rel. Mais je dois dire qu’il s’en est très bien sorti et que ça a bien marché. » Dès la première année d’ex­ploi­ta­tion, la nouvelle équipe du Bus Café multi­plie en effet le chiffre d’af­faires de l’éta­blis­se­ment par cinq, sans inves­tir massi­ve­ment dans des travaux de réno­va­tion. Le lieu séduit et s’im­pose rapi­de­ment comme un incon­tour­nable de l’af­ter­work en ville. « C’était un gros soula­ge­ment pour moi. Et puis j’avais aussi ce petit côté rebelle, cette volonté de montrer que je me débrouillais tout seul.

J’ai donc quitté le domi­cile fami­lial, pris ma liberté et mon indé­pen­dance avec mon appar­te­ment et ma voiture. » Mais l’in­sou­ciance ne dure qu’un temps. Grisé par son succès, le jeune entre­pre­neur décide de rache­ter le Bacha, un restau­rant à Cour­che­vel en 2003. « C’était beau­coup trop tôt, une erreur de jeunesse.

 « Je pensais être le meilleur, mais j’ai pris une très grosse claque »

Je pensais commen­cer à connaître mon domaine, mais en fait je ne connais­sais rien du tout. Mon père m’avait mis en garde, en me disant que c’était peut-être un peu préma­turé. Bien évidem­ment, je ne l’ai pas écou­té… » L’aven­ture s’ar­rête en 2006 et le choc s’avère diffi­cile à encais­ser. « Tout ce que j’avais gagné et écono­misé pendant six années de travail est parti en fumée sur deux saisons. Je pensais être le meilleur, mais j’ai pris une très grosse claque. Avec le recul, cette mauvaise expé­rience m’a énor­mé­ment appris et si je ne m’étais pas planté comme ceci, je n’en serais pas là aujourd’­hui », tempère-t-il.

Le pari de La Maison

Moins présent à Lyon durant cette paren­thèse savoyarde, Benja­min Lavo­rel replonge alors plei­ne­ment dans son établis­se­ment du quai Sarrail. Pour­re­par­tir du bon pied, il inves­tit ses dernières écono­mies, repense toute la déco­ra­tion du lieu et choi­sit de modi­fier le nom de la struc­ture (adieu le Bus Café, place au Baroc). Pari gagné, le Baroc ouvrira ses portes jusqu’à sa revente en 2011. « Je crois que je m’étais un peu lassé sur la fin. Après dix années dans le même endroit, j’ai décidé de vendre et j’ai pu le faire au bon moment, souligne-t-il. J’ai décidé de m’éloi­gner un peu de Lyon et de toute cette “lyon­nai­se­rie”, parce que je commençais à en avoir un peu plein la tête. J’avais besoin de couper. » L’en­tre­pre­neur s’ins­talle quelque temps à Paris. Il multi­plie les voyages autour du monde, en Europe, Asie, Amérique du Nord, à la recherche de nouveaux concepts inno­vants à trans­plan­ter dans sa ville de cœur. Il lorgne un temps sur un projet de club dans un grand entre­pôt à Vaise, puis parti­cipe à l’ap­pel d’offres pour le roof­top de la Sucrière (aujourd’­hui occupé par le Sucre), sans succès.

Une nouvelle oppor­tu­nité se présente alors en 2014. « En lisant le Progrès, je découvre que la Métro­pole souhaite trou­ver un repre­neur pour la Maison Borie à Gerland. » Séduit par le projet, Benja­min Lavo­rel cherche à s’as­so­cier avec un spécia­liste de la restau­ra­tion, un domaine qu’il maîtrise encore assez mal, et tombe d’ac­cord avec Sylvain Auclair, l’an­cien direc­teur du Docks 40. « Je le connais­sais depuis long­temps sans le connaître énor­mé­ment non plus. Le deal était clair, je gardais 70 % des parts et je lui lais­sais 30 %. On a visité le lieu, on s’est tapé dans la main, et c’est comme cela que ça a démarré. Nous avions tous les deux la même philo­so­phie et la même vision pour cet endroit. »

« Ça a été un gros pari pour lui comme pour moi, témoigne Sylvain Auclair. La Maison était assez déla­brée, en friche, à l’aban­don depuis deux ans. Mais on a tout de suite vu que c’était un petit bijou qui ne deman­dait qu’à sortir de son écrin. » Les deux hommes injectent près de 2 millions d’eu­ros dans le projet avec le concours bancaire, et ouvrent leur chic établis­se­ment à l’été 2015. « Je me rappelle avoir visité La Maison avec Jean-Claude Lavo­rel à un mois seule­ment de l’ou­ver­ture et c’était un chan­tier innom­mable, se rappelle Philippe Monta­nay, ami de la famille, ancien jour­na­liste de TLM et fonda­teur de l’agence de conseil Maniac Media. On pensait que ça ne serait jamais prêt à temps, mais ça l’a fina­le­ment été. C’est aussi cela Benja­min, quelqu’un de très pro, déter­miné, exigeant, avec un grand sens du détail. »

Réserve et timi­dité

Minu­tieux, les deux asso­ciés n’étaient toute­fois pas fran­che­ment rassu­rés quant à la péren­nité de leur nouveau cocon. « Quand on a signé pour La Maison, de nombreuses personnes m’ont dit : “mais que vas-tu faire à Gerland? C’est trop loin, trop excen­tré. La clien­tèle des Monts-d’Or ou du 6e n’ira jamais là-bas…” Donc on flip­pait quand même un peu avant d’ou­vrir, rappelle Benja­min Lavo­rel. Et puis au final, l’en­droit a pris et a très vite plu. » Lors de la première année, l’éta­blis­se­ment restau­rant-club réalise 4,7 millions d’eu­ros de chiffre d’af­faires. Le point de départ du déve­lop­pe­ment du groupe. « Avec les très beaux chiffres qu’on a connus dès notre première année, on a été solli­ci­tés pour se déve­lop­per. Nous étions sur la même longueur d’onde avec Sylvain donc ça s’est fait tout natu­rel­le­ment, étape par étape. » En quelques années, le duo reprend ainsi deux établis­se­ments rue Mercière, s’as­so­cie avec Jean-Chris­tophe et Sylvain Larose à l’Azar Club, au Selcius et chez Fratelli, avant de finir par rache­ter la part des deux frères dans ces deux restau­rants.

« L’as­so­cia­tion de Benja­min avec Sylvain est juste parfaite, témoigne Jean-Claude Lavo­rel. Ils ont des tempé­ra­ments et des quali­tés profes­sion­nelles très complé­men­taires. Benja­min joue sur ses réseaux, il vise la perfec­tion, toujours dans le détail et Sylvain est un vrai pro de la restau­ra­tion. Ils s’en­tendent parfai­te­ment bien tous les deux et sont aussi très bien entou­rés. » Parmi les quelques membres de cette garde rappro­chée, Éric Macri, direc­teur de La Maison et asso­cié des deux hommes sur les restau­rants de la rue Mercière. « On se voit tous les jours, on déjeune souvent à trois, et c’est à trois que l’on prend les déci­sions, avec la majo­rité qui l’em­porte, note le proche colla­bo­ra­teur, qui travaillait aupa­ra­vant au Docks 40 avec Sylvain Auclair. L’équi­libre entre les deux fonc­tionne bien. Sylvain est plus direc­tif, en rela­tion quoti­dienne avec les équipes tandis que Benja­min est moins sur le terrain, mais toujours proche et dispo­nible pour tous ses sala­riés. »

Une proxi­mité qu’il tente de conser­ver tant bien que mal, avec la crois­sance express du groupe. « On a connu un déve­lop­pe­ment très rapide et je ne peux malheu­reu­se­ment pas être de partout, ce que je regrette, souligne le diri­geant. D’au­tant que certains colla­bo­ra­teurs n’osent pas vrai­ment me parler parce qu’on ne se connaît pas encore assez…  Mes équipes me disent : “Quand tu arrives dans le bureau, tout le monde se tait”. Alors que ce n’est pas du tout l’image que je veux donner…

J’es­saie d’être le plus simple et le plus acces­sible possible !” .  Le person­nage, redouté par certains, se montre pour­tant assez réservé dans la vie de tous les jours selon ses proches.

« Mes équipes me disent : « Quand tu arrives dans le bureau, tout le monde se tait » »

« Quand on ne le connaît pas, il peut donner l’im­pres­sion d’être un peu froid, distant. Mais lorsqu’on le connaît mieux, on comprend que c’est en fait de la timi­dité, expose Éric Macri. C’est quelqu’un d’as­sez stressé, inquiet pour ses colla­bo­ra­teurs. Il pense beau­coup plus à ses équipes qu’à lui. » « Il ne veut surtout pas déce­voir ni ses équipes, ni sa famille, ni lui-même, prolonge Sylvain Auclair. C’est un gros bosseur qui travaille avec ce lourd poids fami­lial sur les épaules. »

Chez les Lavo­rel juste­ment, le parcours du frère cadet suscite une grande fierté. « Il a l’ins­tinct de l’en­tre­pre­neur. Il sait aller sur un projet, y croire, se proje­ter et trans­for­mer un lieu en perte de vitesse, comme c’est quasi systé­ma­tique­ment le cas lorsqu’il reprend une affaire, en un lieu qui fonc­tionne bien, grâce à son sens du détail et à son exigence », observe l’aîné Stanis­las Lavo­rel. Mêmes compli­ments décer­nés par la figure pater­nelle : « Aujourd’­hui, je peux dire que je suis fier et admi­ra­tif de ce qu’il a réus­si… » Tout un symbole.

Remonter