Gildas et Alexis Collon : en trans­mis­sion

Père et fils sont réunis depuis peu au sein de la Snaam, le leader français de la fabrication d’armatures en acier pour le BTP. Et cette transmission d’entreprise n’était pas écrite d’avance. Dans le monde de la finance, entre Londres et New York, Alexis Collon n’avait pas prévu de rejoindre le groupe industriel installé à Saint-Priest, récupéré au bord du gouffre par son père, Gildas Collon, il y a près de 25 ans, et qui compte aujourd’hui plus de 1 000 collaborateurs en France.
© Marie-Eve Brouet

📜Article publié dans le maga­­zine Lyon Déci­­deurs de décembre 2022

Il n’y a pas si long­temps, Alexis Collon n’avait pas du tout comme programme de rejoindre son père à la direc­tion de la Snaam, le leader français de la fabri­ca­tion d’ar­ma­tures en acier desti­nées à la construc­tion (360 millions d’eu­ros de chiffre d’af­faires, plus de 1000 colla­bo­ra­teurs).

Banquier d’af­faires ayant bifurqué vers le private equity et l’in­ves­tis­se­ment dans les start-up, le bien­tôt quadra (en janvier prochain) avait créé un fonds d’in­ves­tis­se­ment et navi­guait alors entre Paris, Londres et New York, bien loin de l’en­tre­prise indus­trielle de Saint-Priest pilo­tée depuis près de 25 ans par son pater­nel. « Il m’avait même dit “ça ne m’in­té­resse pas ton truc” », rappor­tait ainsi Gildas Collon, le 9 novembre dernier sur la scène des Trophées des entre­prises fami­liales orga­ni­sés par Lyon Déci­deurs, où la Snaam a été récom­pen­sée du Grand Prix du jury 2022. Mais Gildas Collon a réussi son coup puisque son fils est désor­mais à ses côtés et se prépare à prendre la suite.

Avec le Covid, le début d’une nouvelle ère

Tout s’est accé­léré au début de la crise de la Covid : Gildas Collon, 75 ans, a d’abord demandé à son fils d’in­té­grer le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion du groupe, qui a notam­ment parti­cipé aux chan­tiers du Stade de France et de l’EPR de Flaman­ville ou encore du parc éolien en mer de Fécamp actuel­le­ment en construc­tion. « En mars 2020, je me suis dit qu’il faudrait un admi­nis­tra­teur fami­lial pour sécu­ri­ser l’en­tre­prise s’il devait m’ar­ri­ver quoi que ce soit. Et Alexis a accepté », rembo­bine Gildas Collon. 

Alors qu’il « suivait de loin », jusque-là, la success-story de la Snaam sous la houlette de son père, Alexis Collon commence alors à creu­ser le sujet et à comprendre dans le détail ce métier qui consiste à livrer les chan­tiers des géants de la construc­tion (Vinci, Eiffage, Bouy­gues…) en ossa­tures en acier – invi­sibles une fois le bâti­ment terminé – dans lesquelles on vient couler du béton.

« Pour moi, la Snaam était l’en­tre­prise de mon père, et non pas une entre­prise fami­liale puisque j’étais dans un parcours profes­sion­nel tota­le­ment diffé­rent. Par exemple, je n’avais jamais mis le pied dans une usine du groupe avant d’in­té­grer le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion. Et tout cela m’a plu assez rapi­de­ment. En fait, j’avais mordu à l’ha­meçon. Mon père n’avait plus qu’à tirer la ligne pour que je le rejoigne », raconte Alexis Collon, qui a inté­gré l’en­tre­prise au début de l’an­née, au poste de direc­teur géné­ral délé­gué. « La Snaam est une belle struc­ture avec des équipes top. Et, surtout, il y a des choses à construire pour l’ave­nir de l’en­tre­prise. C’est ce qui m’a convaincu de venir », pour­suit Alexis Collon, qui arrive au moment où le groupe prépare sa digi­ta­li­sa­tion et entend faire très bien­tôt ses premiers pas à l’in­ter­na­tio­nal.

Le début d’une nouvelle ère, en quelque sorte, pour la discrète Snaam qui compte 30 usines en France. « La Snaam, c’est le parfait exemple de l’en­tre­prise tota­le­ment incon­nue du grand public et qui réus­sit très bien, sans faire de bruit. Et Gildas Collon a le profil type des entre­pre­neurs dont la France a besoin », témoigne le cogé­rant du fonds Holnest et ancien direc­teur de Cegid, Patrick Bertrand, qui côtoie Gildas Collon depuis plus de 20 ans dans les réseaux lyon­nais. 

Car si son entre­prise n’est pas très média­tique et donc peu visible, le diri­geant, membre du réseau patro­nal de l’Union, est en revanche un person­nage très connu dans les milieux écono­miques et poli­tiques lyon­nais. « Gildas Collon a un côté bonhomme et char­meur dont il sait très bien jouer. Mais il a aussi la répu­ta­tion d’être quelqu’un de direct et de cash qui ne tourne pas autour du pot. En même temps, quand on choi­sit de redres­ser des boîtes comme la Snaam, il faut être prêt pour la fight », rapporte l’une de ses connais­sances de longue date.

« Ma bite et mon couteau »

L’his­toire de la Snaam débute, en 1998, à la barre du tribu­nal de commerce de Lyon où l’illustre groupe Mure, qui inventa le métier d’ar­ma­tu­rier pour le BTP dans les années 20, est placé en redres­se­ment judi­ciaire avec un passif de plus de 200 millions de francs (41 millions d’eu­ros).

Toute la profes­sion est sur les rangs, ainsi que Gildas Collon, qui s’est déjà fait remarquer en remet­tant sur pied plusieurs entre­prises en diffi­culté, à l’image du fabri­cant de l’en­tre­prise de jouets Pipo ou de la marque de linge­rie Le Bour­get. « À l’époque, j’avais pour habi­tude de dire que je n’irais jamais dans le BTP. Mais quand on m’a présenté le dossier, je me suis dit “pourquoi pas”. J’étais sûr qu’il y avait quelque chose à faire pour redres­ser cette entre­prise », rapporte Gildas Collon, dont l’offre est loin d’être la plus géné­reuse pour les créan­ciers, mais la mieux-disante socia­le­ment puisque repre­nant près de 300 sala­riés (sur 470) et conser­vant toutes les usines. « J’avais expliqué au tribu­nal que je prenais tout ou rien. Et je me souviens très bien du moment où on m’a annoncé que c’était moi qui étais retenu. Je me trou­vais dans l’aé­ro­port de Nice et je me suis dit, “merde, en fait je n’ai aucune idée de ce qui va suivre” », rigole-t-il aujourd’­hui. 

Il trouve pour­tant vite les ingré­dients pour donner un nouvel élan au groupe Mure qu’il rebap­tise Snaam (pour Société nouvelle des arma­tures assem­blées Mure). Dès 1999, il rachète une première entre­prise pour ajou­ter à son cata­logue les arma­tures dédiées à la construc­tion de maisons indi­vi­duelles. Et, en décembre 2000, c’est le gros coup : la Snaam intègre son confrère breton Allians, qui dispose de six usines. « Allians couvrait la partie ouest de la France, nous la partie est, alors on s’est dit avec le diri­geant – un gars super – qu’il fallait faire quelque chose. On s’est tapé dans la main et ensuite c’est allé très vite », se remé­more Gildas Collon, qui bouclera cette fin d’an­née son 23e exer­cice consé­cu­tif avec des béné­fices. « Au départ, nous avions très peu de capi­taux. Pardon pour l’ex­pres­sion, mais je suis parti dans cette reprise avec ma bite et mon couteau. Et c’est bien de démar­rer dans la pauvreté, cela pousse à la bonne gestion », pour­suit le diri­geant qui dit « toujours préfé­rer ache­ter une machine pour une usine plutôt qu’une Ferrari ».

Et les chiffres parlent pour lui : depuis la reprise, les effec­tifs de la Snaam ont été multi­pliés par quatre et le chiffre d’af­faires par plus de dix. « Gildas Collon a toujours eu plein d’idées et la réac­ti­vité d’une GTI. Et il a su dès le départ rega­gner la confiance des colla­bo­ra­teurs et des clients », témoigne son fidèle direc­teur géné­ral Pascal Subtil, à ses côtés depuis la reprise de 1998. Et ce dernier voit aujourd’­hui comme « une très bonne chose » la montée en puis­sance d’Alexis Collon, car « Monsieur Collon et moi, on a des cheveux blancs ». « Surtout, enchaîne-t-il, Alexis est loin d’être con et c’est un bosseur, et ce sont deux avan­tages indé­niables. Tout se passe donc très bien. » D’au­tant que les rôles de chacun sont bien défi­nis. Gildas Collon, auto­pro­clamé « vieux schnock », chapeaute le tout et prend les déci­sions « clés et coûteuses », pendant que Pascal Subtil occupe le rôle du gestion­naire et que son fils se charge des projets de déve­lop­pe­ment.

« Pas un fils à papa »

D’ailleurs, le futur patron n’avait qu’une condi­tion pour rejoindre la Snaam : que le concert fami­lial, alors à 52 % aux côtés de finan­ciers, remonte au capi­tal. « L’objec­tif est d’avoir les mains libres si l’on veut réali­ser une grosse opéra­tion de crois­sance externe – et l’on en a quelques-unes en tête – en procé­dant à des échanges d’ac­tions », détaille Alexis Collon.

Il y a quelques mois, la famille Collon a donc fait sortir les anciens action­naires pour grim­per à 90 % du capi­tal, le reste étant partagé entre le direc­teur géné­ral Pascal Subtil (2 %) et le fonds Gari­baldi Parti­ci­pa­tions (8 %). Clin d’œil de l’his­toire, la filiale en inves­tis­se­ment de la Banque Popu­laire avait déjà été, il y a vingt ans, action­naire de la Snaam. « Oui, c’est un dossier que l’on aime bien, une magni­fique réus­site d’en­tre­prise, témoigne Laurent Gelpi, direc­teur géné­ral de Gari­baldi Parti­ci­pa­tions. Gildas Collon et Pascal Subtil sont des gens qui savent gagner de l’argent avec leur entre­prise. La Snaam peut faire appel à l’en­det­te­ment pour finan­cer des projets, mais ses diri­geants ne feront jamais de montages tordus. Tout comme le siège de la Snaam est très light, mais le repor­ting, en revanche, est très précis tout en lais­sant beau­coup d’au­to­no­mie aux équipes sur le terrain. Cela nous inté­res­sait donc de réin­ves­tir vingt ans après, au moment où Alexis arrive. » 

Car, en plus d’avoir accepté la propo­si­tion de son père, Alexis Collon a le profil parfait sur le papier pour être l’homme de la situa­tion. Même si l’an­cien spor­tif de haut niveau (il a fait partie de l’équipe de France de hockey sur gazon), diplômé de l’ESCP Busi­ness School à Paris, dit « ne pas s’être construit profes­sion­nel­le­ment » autour de ce projet de reprise. « Alexis Collon intègre la Snaam à près de 40 ans, avec déjà un vécu profes­sion­nel et une certaine matu­rité. Ce n’est pas un fils à papa qui prend la direc­tion de l’en­tre­prise à moins de 30 ans. C’est une trans­mis­sion solide », pour­suit Laurent Gelpi de Gari­baldi Parti­ci­pa­tions.

D’au­tant qu’a­vec son passé de banquier d’af­faires et dans le private equity, « il sait comp­ter et boucler des deals, ce qui lui sera utile à la Snaam », rapporte son ami et entre­pre­neur pari­sien Jérémy Sebag, qui l’as­sure : « Alexis a les épaules pour diri­ger une entre­prise de 1 000 sala­riés. » « Et de toute façon, embraye le direc­teur de la Snaam, Pascal Subtil, s’il ne l’avait pas senti, Gildas Collon n’au­rait jamais proposé à son fils de le rejoindre. »

Son propre père, entre­pre­neur dans la robi­net­te­rie et les sani­taires, avait d’ailleurs revendu son affaire à Saint-Gobain sans ouvrir la porte d’une succes­sion à aucun de ses sept enfants, de peur que cela fasse naître des conflits entre frères et sœurs. «  Mon objec­tif prin­ci­pal ces dernières années était de péren­ni­ser la boîte, avec ou sans Alexis. C’est d’ailleurs pour cela que j’étais descendu au capi­tal de la Snaam. Mais c’est vrai que, sur le plan affec­tif, j’au­rais versé une larme si j’avais dû vendre », recon­naît Gildas Collon, qui n’a toujours pas coché la date de son départ à la retraite. « Un matin, je me lève­rai et je dirai “j’ar­rête” », affirme-t-il.

En atten­dant, père et fils expé­ri­mentent le quoti­dien de la colla­bo­ra­tion en entre­prise. « Il y a eu un moment où on s’est un peu frot­tés, mais c’est normal, déclare Alexis Collon. Le tout, c’est de ne pas rame­ner cela sur la table le dimanche quand on dîne ensemble en famille. » « Oui, ça pour­rait alté­rer le goût de la cuisse de poulet », complète Gildas Collon. Tout le monde a donc bien conscience de l’enjeu.

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