Difficile de passer à côté de Benjamin Lavorel dans le monde de la restauration et de la nuit lyonnaise. Le fils de l’entrepreneur à succès Jean-Claude Lavorel (ex-LVL Medical, Lavorel Hôtels) est à la tête d’un des plus imposants groupes du secteur dans la métropole.
À 44 ans l’ancien propriétaire du Bus Café du quai Général Sarrail dirige près d’une dizaine d’établissements autour de la Presqu’île et partage ainsi son temps entre La Maison, Le Selcius, l’Azar Club e Fratelli Ristorante à la Confluence, Café Mercière et l’Italien rue Mercière, le Café Du Pond et Mamy Rose dans le 6e arrondissement et la Maison Antoine, dernière née du groupe, sur les quais de Saône.
« Il n’y a pas grand monde qui peut se vanter d’avoir un parcours semblable au sien à Lyon, renseigne Jean-François Savoye, directeur du magazine Sixty Nine, qui décrypte l’actualité des CHR (Cafés-hôtels-restaurants) et lieux festifs de la ville. Les gens comme lui, qui gèrent entre 10 et 15 établissements ne se comptent que sur les doigts d’une main, vous avez Aurélien Liveneau (Le République…), Fabien Chalard (Le Passage, La Bastide…) et Benjamin Lavorel. »
Alors forcément, dans le milieu, la réussite de Benjamin Lavorel suscite parfois critiques et jalousie. La faute notamment à ce patronyme qui, pour certains, ferait sauter bien plus facilement certaines barrières. « J’essaie de me préserver de ces critiques faciles, parce qu’à force, vous devenez paranoïaque, avec l’impression que tout le monde vous souhaite du mal. J’ai passé beaucoup de temps à expliquer mon parcours aux gens, pour leur montrer que je m’étais fait tout seul. Mais j’ai vite compris qu’on ne pouvait pas plaire à tout le monde », fait remarquer le principal intéressé, désormais à la tête d’un groupe qui compte plus de 250 collaborateurs.
« Il a souvent entendu que tout était plus facile pour lui puisqu’il était un Lavorel. Mais je pense que c’est au contraire nettement plus difficile, puisque tout le monde l’attend au tournant et qu’il n’a pas le droit à l’erreur », témoigne Wilfried Drevon-Balas, un ami d’enfance et bras-droit à l’époque du Bus Café, passé aussi à la tête du Café Du Pond. « Les gens croient que je suis tout puissant et que Benjamin a tout obtenu grâce à moi, ou que j’ai tout financé. Ce n’est pas le cas et tout n’a pas toujours été simple », coupe net le père, Jean-Claude Lavorel, classé 232e fortune française par le magazine Challenges, avec une fortune estimée à plus de 400 millions d’euros.
Succès et claque
Son parcours, Benjamin Lavorel l’a construit pas à pas, guidé par le « virus entrepreneurial qui touche la famille » (ses trois frères et sœurs sont aussi chefs d’entreprise), et sans doute motivé par le modèle paternel. « Quand mon père a fondé LVL Médical en 1989, j’avais 12 ans. C’était difficile parce qu’avec ses horaires, je le voyais beaucoup moins. Mais au lycée, j’écoutais de temps en temps les problématiques qu’il rencontrait. Les élèves d’Emlyon l’avaient comme intervenant, moi je l’avais tous les soirs entre la poire et le fromage, ça a forcément dû jouer. » Au fil des années, l’adolescent se découvre une passion pour la musique, anime des soirées de mariage et prend les platines des établissements tendance des quais de Saône (42, Flamenco Rock…). Le déclic.
« Ça m’a donné envie de racheter une affaire. Je regardais ce qui se faisait, mais je n’avais pas les moyens. Et mon père n’était pas du tout dans ce monde de la nuit. Il ne voyait pas ça d’un très bon œil. » Alors, quand arrive l’opportunité de racheter le Bus Café en 2000, le jeune homme de 23 ans préfère se tourner vers son grand frère Stanislas.
« C’était sûrement plus facile pour lui d’en parler avec son frère qu’avec son père, parce que les rapports ne sont évidemment pas les mêmes, sourit l’aîné de la fratrie. Quand il s’est lancé dans cette aventure, il n’avait pas beaucoup d’expérience sur ces sujets, donc je l’ai surtout épaulé sur des problématiques de montage financier, d’acquisition et de structuration. »
Ralentir la cadence
Après six années de développement express, Benjamin Lavorel et Sylvain Auclair entendent désormais lever le pied, le temps de consolider le groupe. « On nous propose tous les jours ou presque de nouvelles affaires à reprendre. Aujourd’hui, on a dit stop. On veut stabiliser pendant au moins deux ans et rembourser les banques. Mon père me disait: “ C’est bien de se développer, mais il faut aussi parfois calmer le développement, stabiliser, rembourser, souffler, pour mieux reprendre ensuite. Au départ, je l’écoutais d’une oreille, puis ça a fini par rentrer dans les deux. J’en ai parlé à Sylvain qui partageait lui aussi ce point de vue. Cela nous permettra de nous rapprocher des équipes et des clients. » Avant cette pause, le duo s’est toutefois positionné sur deux nouveaux projets pour la fin d’année 2021.
Après de multiples rendez-vous pour convaincre les banques, Benjamin Lavorel finit par racheter – sur une année – les parts de l’ancien propriétaire des lieux, sans trop s’épancher sur le sujet avec son père. « Le Bus Café, je ne le sentais pas vraiment. La nuit, c’est un monde particulier. Je lui avais dit qu’il n’avait pas les codes, se remémore Jean-Claude Lavorel. Mais je dois dire qu’il s’en est très bien sorti et que ça a bien marché. » Dès la première année d’exploitation, la nouvelle équipe du Bus Café multiplie en effet le chiffre d’affaires de l’établissement par cinq, sans investir massivement dans des travaux de rénovation. Le lieu séduit et s’impose rapidement comme un incontournable de l’afterwork en ville. « C’était un gros soulagement pour moi. Et puis j’avais aussi ce petit côté rebelle, cette volonté de montrer que je me débrouillais tout seul.
J’ai donc quitté le domicile familial, pris ma liberté et mon indépendance avec mon appartement et ma voiture. » Mais l’insouciance ne dure qu’un temps. Grisé par son succès, le jeune entrepreneur décide de racheter le Bacha, un restaurant à Courchevel en 2003. « C’était beaucoup trop tôt, une erreur de jeunesse.
«Je pensais être le meilleur, mais j’ai pris une très grosse claque»
Je pensais commencer à connaître mon domaine, mais en fait je ne connaissais rien du tout. Mon père m’avait mis en garde, en me disant que c’était peut-être un peu prématuré. Bien évidemment, je ne l’ai pas écouté…» L’aventure s’arrête en 2006 et le choc s’avère difficile à encaisser. « Tout ce que j’avais gagné et économisé pendant six années de travail est parti en fumée sur deux saisons. Je pensais être le meilleur, mais j’ai pris une très grosse claque. Avec le recul, cette mauvaise expérience m’a énormément appris et si je ne m’étais pas planté comme ceci, je n’en serais pas là aujourd’hui », tempère-t-il.
Le pari de La Maison
Moins présent à Lyon durant cette parenthèse savoyarde, Benjamin Lavorel replonge alors pleinement dans son établissement du quai Sarrail. Pourrepartir du bon pied, il investit ses dernières économies, repense toute la décoration du lieu et choisit de modifier le nom de la structure (adieu le Bus Café, place au Baroc). Pari gagné, le Baroc ouvrira ses portes jusqu’à sa revente en 2011. « Je crois que je m’étais un peu lassé sur la fin. Après dix années dans le même endroit, j’ai décidé de vendre et j’ai pu le faire au bon moment, souligne-t-il. J’ai décidé de m’éloigner un peu de Lyon et de toute cette “lyonnaiserie”, parce que je commençais à en avoir un peu plein la tête. J’avais besoin de couper. » L’entrepreneur s’installe quelque temps à Paris. Il multiplie les voyages autour du monde, en Europe, Asie, Amérique du Nord, à la recherche de nouveaux concepts innovants à transplanter dans sa ville de cœur. Il lorgne un temps sur un projet de club dans un grand entrepôt à Vaise, puis participe à l’appel d’offres pour le rooftop de la Sucrière (aujourd’hui occupé par le Sucre), sans succès.
Une nouvelle opportunité se présente alors en 2014. « En lisant le Progrès, je découvre que la Métropole souhaite trouver un repreneur pour la Maison Borie à Gerland. » Séduit par le projet, Benjamin Lavorel cherche à s’associer avec un spécialiste de la restauration, un domaine qu’il maîtrise encore assez mal, et tombe d’accord avec Sylvain Auclair, l’ancien directeur du Docks 40. « Je le connaissais depuis longtemps sans le connaître énormément non plus. Le deal était clair, je gardais 70 % des parts et je lui laissais 30 %. On a visité le lieu, on s’est tapé dans la main, et c’est comme cela que ça a démarré. Nous avions tous les deux la même philosophie et la même vision pour cet endroit.»
«Ça a été un gros pari pour lui comme pour moi, témoigne Sylvain Auclair. La Maison était assez délabrée, en friche, à l’abandon depuis deux ans. Mais on a tout de suite vu que c’était un petit bijou qui ne demandait qu’à sortir de son écrin.» Les deux hommes injectent près de 2 millions d’euros dans le projet avec le concours bancaire, et ouvrent leur chic établissement à l’été 2015. « Je me rappelle avoir visité La Maison avec Jean-Claude Lavorel à un mois seulement de l’ouverture et c’était un chantier innommable, se rappelle Philippe Montanay, ami de la famille, ancien journaliste de TLM et fondateur de l’agence de conseil Maniac Media. On pensait que ça ne serait jamais prêt à temps, mais ça l’a finalement été. C’est aussi cela Benjamin, quelqu’un de très pro, déterminé, exigeant, avec un grand sens du détail. »
Réserve et timidité
Minutieux, les deux associés n’étaient toutefois pas franchement rassurés quant à la pérennité de leur nouveau cocon. « Quand on a signé pour La Maison, de nombreuses personnes m’ont dit : “mais que vas-tu faire à Gerland? C’est trop loin, trop excentré. La clientèle des Monts-d’Or ou du 6e n’ira jamais là-bas…” Donc on flippait quand même un peu avant d’ouvrir, rappelle Benjamin Lavorel. Et puis au final, l’endroit a pris et a très vite plu.» Lors de la première année, l’établissement restaurant-club réalise 4,7 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le point de départ du développement du groupe. « Avec les très beaux chiffres qu’on a connus dès notre première année, on a été sollicités pour se développer. Nous étions sur la même longueur d’onde avec Sylvain donc ça s’est fait tout naturellement, étape par étape.» En quelques années, le duo reprend ainsi deux établissements rue Mercière, s’associe avec Jean-Christophe et Sylvain Larose à l’Azar Club, au Selcius et chez Fratelli, avant de finir par racheter la part des deux frères dans ces deux restaurants.
« L’association de Benjamin avec Sylvain est juste parfaite, témoigne Jean-Claude Lavorel. Ils ont des tempéraments et des qualités professionnelles très complémentaires. Benjamin joue sur ses réseaux, il vise la perfection, toujours dans le détail et Sylvain est un vrai pro de la restauration. Ils s’entendent parfaitement bien tous les deux et sont aussi très bien entourés. » Parmi les quelques membres de cette garde rapprochée, Éric Macri, directeur de La Maison et associé des deux hommes sur les restaurants de la rue Mercière. « On se voit tous les jours, on déjeune souvent à trois, et c’est à trois que l’on prend les décisions, avec la majorité qui l’emporte, note le proche collaborateur, qui travaillait auparavant au Docks 40 avec Sylvain Auclair. L’équilibre entre les deux fonctionne bien. Sylvain est plus directif, en relation quotidienne avec les équipes tandis que Benjamin est moins sur le terrain, mais toujours proche et disponible pour tous ses salariés.»
Une proximité qu’il tente de conserver tant bien que mal, avec la croissance express du groupe. « On a connu un développement très rapide et je ne peux malheureusement pas être de partout, ce que je regrette, souligne le dirigeant. D’autant que certains collaborateurs n’osent pas vraiment me parler parce qu’on ne se connaît pas encore assez… Mes équipes me disent : “Quand tu arrives dans le bureau, tout le monde se tait”. Alors que ce n’est pas du tout l’image que je veux donner…
J’essaie d’être le plus simple et le plus accessible possible !” . Le personnage, redouté par certains, se montre pourtant assez réservé dans la vie de tous les jours selon ses proches.
« Mes équipes me disent : « Quand tu arrives dans le bureau, tout le monde se tait » »
« Quand on ne le connaît pas, il peut donner l’impression d’être un peu froid, distant. Mais lorsqu’on le connaît mieux, on comprend que c’est en fait de la timidité, expose Éric Macri. C’est quelqu’un d’assez stressé, inquiet pour ses collaborateurs. Il pense beaucoup plus à ses équipes qu’à lui. » « Il ne veut surtout pas décevoir ni ses équipes, ni sa famille, ni lui-même, prolonge Sylvain Auclair. C’est un gros bosseur qui travaille avec ce lourd poids familial sur les épaules.»
Chez les Lavorel justement, le parcours du frère cadet suscite une grande fierté. « Il a l’instinct de l’entrepreneur. Il sait aller sur un projet, y croire, se projeter et transformer un lieu en perte de vitesse, comme c’est quasi systématiquement le cas lorsqu’il reprend une affaire, en un lieu qui fonctionne bien, grâce à son sens du détail et à son exigence », observe l’aîné Stanislas Lavorel. Mêmes compliments décernés par la figure paternelle : « Aujourd’hui, je peux dire que je suis fier et admiratif de ce qu’il a réussi…» Tout un symbole.