Laurent Gerra est en train de bluffer pas mal de monde dans l’habit du tenancier consciencieux et impliqué de Léon de Lyon. Quand il annonçait, l’été dernier, reprendre à titre personnel l’ensemble des parts de l’institution lyonnaise au terme d’une brouille avec ses associés d’alors, on imaginait l’imitateur le plus connu de France en investisseur qui passe une tête de temps en temps au 1 rue Pleney (Lyon 1er). On s’est trompé dans les grandes largeurs : Laurent Gerra est là souvent.
Très souvent. Et pas simplement en tant qu’observateur. Il discute avec le chef, goûte les plats et n’hésite pas à donner ses impressions sur un assaisonnement, observe d’un œil le service, passe de table en table pour saluer les clients avec un petit mot pour chacun… Et il lui arrive même de pousser jusqu’à servir en personne le dessert quand le client est aussi un fan qui a poussé la porte de Léon de Lyon justement parce que c’est Laurent Gerra le patron.
« Cela arrive souvent que des clients soient surpris de me voir et me disent “mais vous êtes là ?” Bien sûr que je suis là. Léon de Lyon, ce n’est pas une danseuse. Je me retrousse les manches et je mouille la chemise. Surtout que c’est une brouette d’emmerdes un resto », s’esclaffe Laurent Gerra qui s’est donné pour mission de sauver une institution lyonnaise « qui risquait de devenir un Carrefour Market, c’était impensable ».
Client depuis des lustres de la maison de Jean-Paul Lacombe, Laurent Gerra reprend l’établissement réputé pour sa cuisine lyonnaise bourgeoise lors du départ du maître historique des lieux, fin 2018, accompagné du duo Fabien Chalard – Julien Géliot connu pour être déjà à la tête d’une pelletée de restaurants à Lyon. Mais l’attelage explose l’été dernier, sur fond d’un Léon de Lyon ayant des rêves de grandeur mais qui s’est vite retrouvé dans le rouge vif financièrement.
Au bord de la fermeture avec des dettes à rembourser. « Je n’ai pas envie de parler de mes anciens associés. Je regarde devant. L’idée, ce n’est plus de viser l’étoile mais simplement de remettre l’endroit sur les rails. Ce que j’aime chez Léon de Lyon, c’est ce compromis entre le bouchon et la belle auberge. Et c’est un restaurant populaire. Je trouve important de préserver ce patrimoine », commente Laurent Gerra, reparti depuis l’été dernier avec le soutien du groupe Bocuse. « De vrais professionnels et le mot “vrai” est important dans la phrase », sourit Laurent Gerra en forme de pique à ses ex-associés.
Ronds de serviette
En déplacement chaque début de semaine à Paris, une ville qu’il n’aime pas, pour enregistrer sa chronique quotidienne pour la matinale de RTL, Laurent Gerra revient aussi vite que possible à Lyon retrouver sa famille – sa compagne, l’ancienne journaliste Christelle Bardet et leur fille de trois ans – et bien sûr son restaurant. « Chaque jour où je suis à Lyon, je passe à Léon de Lyon. Sinon j’ai mauvaise conscience. Et cela tombe bien, je n’étais pas en tournée ces derniers temps et comme je n’aime pas rester sans rien faire… », affirme Laurent Gerra, qui a aussi pas mal d’idées pour que le lieu mythique à la devanture verte et orange reprenne des couleurs.
Comme le retour de certains plats à la carte – dont le poulet à la crème et aux morilles de sa Bresse natale – ou encore la fabrication de ronds de serviette pour les habitués. « Ma mère était serveuse chez Georges Blanc, à Vonnas, et j’ai derrière moi 30 ans de tournées où je vais au resto après être monté sur scène. Donc, j’ai l’œil quand un couteau est mal placé ou qu’un serveur a les chaussures mal cirées », rapporte l’humoriste qui revendique un bon coup de fourchette.
« Je savais de réputation que Laurent Gerra était un épicurien, mais je ne pensais pas qu’il serait autant impliqué au quotidien dans Léon de Lyon, rapporte Cyril Durand, qui occupe le poste de directeur de l’établissement. C’est quelqu’un de très humble qui est à l’écoute des avis des clients. Et quand il a une remarque à nous faire ensuite, il dit les choses tranquillement et posément. » Particularité du job, l’identité du patron fait qu’il n’est pas rare de servir des têtes connues, à l’image de Pierre Arditi, Édouard Baer ou encore Pierre Niney, qui ont récemment poussé la porte de Léon de Lyon.
« Tous mes copains de passage à Lyon veulent venir manger dans mon restaurant. Et Isabelle Adjani m’a dit qu’il n’existait plus d’endroit comme ça à Paris», fait savoir Laurent Gerra, qui revendique une part de responsabilité dans l’idylle entre Tim Burton et Monica Bellucci qui ont partagé une brioche perdue à la table de Léon de Lyon lors du dernier Festival Lumière organisé par son grand pote Thierry Frémaux, avec qui il allait voir le soir de notre rencontre le concert de son autre ami Bernard Lavilliers aux Nuits de Fourvière.
Seule frustration pour Laurent Gerra, le concert finirait à une heure trop tardive pour qu’il puisse inviter l’auteur de Noir et blanc chez Léon de Lyon. « Laurent, il est parfaitement dans son élément dans son restaurant. Il a un petit côté aubergiste, ça lui va bien », observe le chef étoilé de la Mère Brazier Mathieu Vianney, qui décrit un personnage « aussi sympa quand l’on boit un verre en tête à tête avec lui que quand on l’écoute le matin sur RTL » : « Beaucoup d’humoristes ont un coté clown qui rit, clown qui pleure, beaucoup moins drôle en privé, prolonge-t-il. Mais il n’y a pas deux Laurent Gerra, juste quelqu’un d’entier avec des avis très tranchés, comme sur les vins bio qui “sentent le poney”. »
Autre restaurateur qui compte parmi les proches de Laurent Gerra (la liste est longue), le propriétaire du restaurant Le Président dans le 6e arrondissement, Christophe Marguin, qui se rêve en prochain maire de Lyon quand il se rase, n’est pas étonné par le temps passé par Laurent Gerra à la barre de Léon de Lyon. « C’est sa passion. S’il devait arrêter le monde du spectacle – ce que je ne souhaite évidemment pas – je suis sûr qu’il finirait dans la restauration. Et plus qu’un restaurant, Laurent défend une cuisine lyonnaise, car c’est un amoureux de Lyon. »
Offrir une chartreuse
Né à Mézériat dans l’Ain, Laurent Gerra découvre Lyon lors de ses études en communication à Lyon 2. « J’ai de bons souvenirs de ma vie étudiante. J’habitais Grange-Blanche et j’allais déjà manger chez Chabert, rue des Marronniers », se souvient Laurent Gerra, qui fait ses premières scènes à la fin des années 80 au café-théâtre de l’Accessoire, dans le 1er arrondissement.
Le succès arrive vite, boosté par les coups de pouce de quelques Lyonnais, dont Jacques Martin qui lui offre ses premières apparitions télé. Le jeune Laurent Gerra monte alors à Paris vivre sa vie d’artiste et ne revient à Lyon qu’en pointillés pendant des années. « Mais quand j’étais à Paris, j’avais toujours envie de revenir vivre ici », affirme-t-il. C’est enfin le cas depuis une grosse dizaine d’années. « Lyon est une ville qui me régénère et que je trouve fascinante avec son côté italien. Je ne me lasse pas de me balader, il y a quelque chose à voir dès qu’on lève les yeux », savoure l’humoriste, qui ne peut s’empêcher de pester contre les enseignes de restauration aux concepts anglais coloniser « la moitié de la rue Mercière ». « Les gens mangent n’importe quoi ! », rouspète-t-il.
Une vie lyonnaise faite d’amis, de (beaucoup) de restos, de concerts, de matchs du Lou… « Laurent, il n’aime pas rester seul chez lui. Et c’est quelqu’un avec qui l’on passe de bons moments parce qu’il est festif, mais aussi fidèle en amitié. C’est un homme de cœur avec des valeurs », reprend Christophe Marguin. Et tous ceux qui le côtoient sont unanimes : Laurent Gerra n’est jamais pris à défaut de jouer à la star. « Il est touchant de simplicité. Pour vous dire, une fois je l’ai même vu offrir une chartreuse à une dame venue le saluer alors qu’il était sur la terrasse de Léon », raconte son autre ami, le promoteur immobilier Pierre Nallet.
« Il est toujours resté hyper abordable et facile dans son contact avec les gens. C’est le Lolo que j’ai connu petit et que j’emmenais à la pêche, abonde ainsi Philippe Florentin, patron du bouchon Chez Abel, qui a grandi dans le même village que l’humoriste. Non, il ne joue pas à la star et pourtant il pourrait. Et il s’investit à fond dans Léon de Lyon par grandeur d’âme, pas simplement parce qu’il risquait de perdre de l’argent dans l’histoire. » Même son de cloche du côté du patron du Radiant, Victor Bosch, un autre de ses proches : « Je croise beaucoup d’artistes et je peux témoigner qu’ils n’ont pas tous la simplicité de Laurent Gerra. Il aime le contact et c’est pour cela qu’il attire la sympathie. Quand on fait partie de son cercle d’amis, on le garde toute la vie. Et lorsque je discute avec lui, je sens que Lyon est sa ville et qu’il s’y sent bien. »
Imitateur, restaurateur et viticulteur
Laurent Gerra se sent d’autant bien à Lyon qu’il n’est pas très loin de son chalet dans la vallée de la Maurienne, son véritable havre de paix, ni de ses vignes. Car l’imitateur-restaurateur est aussi viticulteur avec des cuvées à son nom dans les trois couleurs, rosé, blanc et rouge. Un témoignage de son amour du vin qui se concrétise depuis quelques années par des vignes dans le Beaujolais, en Bourgogne et dans le Var. « Avoir son nom sur une bouteille, c’est émouvant. C’est un peu comme avoir son nom à l’Olympia », compare Laurent Gerra, dont la cuvée de rosé a décroché une médaille d’or à la foire de Brignoles. J’invite mes amis à Léon de Lyon et je leur sers mon pinard, on peut dire que la boucle est bouclée. »
Et s’il « prend du plaisir » à la tête de son restaurant, pas question pour autant de mettre la main sur d’autres illustres adresses lyonnaises qui risqueraient de disparaître. Parce qu’il va bientôt repartir sur les routes avec un nouveau one man show en cours d’écriture, et aussi parce que la restauration n’est pas un monde facile. « C’est comme le spectacle, il y a des hauts et des bas… », expose-t-il. Une manière de dire aussi que le travail de reconquête n’est pas terminé à Léon de Lyon. On n’a donc pas fini de le voir en salle.
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