LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire : une réussite sulfureuse

Avec déjà 10 millions d’utilisateurs actifs, MYM, lancé à Lyon il y a quatre ans, s’impose comme le nouveau réseau social qui compte dans l’Hexagone. Parfois pointés du doigt pour leur plateforme dont le contenu est souvent réservé à un public adulte, les fondateurs Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire, bien connus de la sphère digitale lyonnaise, veulent grandir encore plus vite. Et donc traverser l’Atlantique.

📜Article publié dans le maga­­­zine Lyon Déci­­­deurs de février 2023

Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire devraient sans doute jeter un œil au Superbowl ce 12 février. Les deux amis d’enfance, pas nécessairement fans de football américain, regarderont surtout le show d’avant-match assuré par la star mondiale DJ Snake… qui est aussi leur nouvel associé. L’artiste français, suivi par plus de 10 millions de personnes sur Instagram, a rejoint en octobre dernier les deux trentenaires, originaires de Feurs et Jas dans la Loire, dans le board de MYM, leur réseau social d’un nouveau genre.

Pensé comme un club privé, MYM permet aux créateurs et personnalités publiques (artistes, sportifs, musiciens, cuisiniers…) de monétiser leurs contenus en proposant des photos et vidéos exclusives à leurs fans contre un abonnement payant, librement fixé entre 10 et 100 euros  par mois. Lancée à Lyon en 2019, la plateforme est déjà fréquentée par plus de 10 millions d’utilisateurs et génère près de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Je suis ravi d’intégrer l’aventure et d’être au cœur de la révolution que Pierre et Gaspard ont lancée, confiait en octobre le DJ français, choisi pour animer l’avant-match de l’évènement sportif le plus suivi des États-Unis. J’ai tout de suite compris le potentiel et l’impact que MYM aurait pour des artistes comme moi, mais aussi pour les créateurs de contenus, artistes et DJ du monde entier.»

© MYM

DJ Snake n’est pas le seul à avoir saisi le potentiel de ce réseau social nouvelle génération. Désormais investie par plus de 350000 créateurs, la plateforme a d’abord été le théâtre des starlettes de télé-réalité et personnalités du monde érotique, venues profiter de ce modèle d’un nouveau genre pour monétiser des photos ou vidéos suggestives et aguichantes. Une première utilisation du réseau pas franchement anticipée par les deux créateurs. « Ça nous est tombé dessus donc il a fallu le gérer. Ce n’est effectivement pas la meilleure des images, ni celle qu’on souhaite mettre en avant… Mais on n’en souffre pas dans le développement du produit, indiquent aujourd’hui Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire, qui ont choisi de cloisonner et d’encadrer ces contenus sulfureux plutôt que de les interdire. « On se dit que c’est une phase et que l’image va changer avec l’arrivée de grosses personnalités comme DJ Snake.» «Ils savent qu’ils viennent de là, que leur truc a commencé par du X même si ce n’était pas forcément la volonté de départ, note un entrepreneur lyonnais qui côtoyait le duo peu après le lancement de MYM. Mais aujourd’hui, ils essaient de faire la bascule vers un modèle plus lifestyle et divertissement. C’est courageux, car ils auraient pu gagner beaucoup d’argent à rester dans le sulfureux.»

Repositionnée sur un modèle plus «grand public», la plateforme séduit, jusqu’à intégrer en février dernier la promotion 2022 du French Tech 120, le label gouvernemental qui recense les start-up françaises les plus prometteuses de la tech, aux côtés des Doctolib, BlaBlaCar, Lydia ou Deezer. Une belle récompense pour le duo, épaulé dans la région par les clusters numériques French Tech One Lyon Saint-Étienne, Digital League et Minalogic, et peut-être aux manettes de la prochaine licorne lyonnaise.

Un dernier essai

La réussite de Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire n’étonne pas vraiment dans la sphère digitale régionale. Les deux hommes, fils de Pierre-André Hafner (Biscuits Hafner, à Saint-Galmier) et petit-fils de Pierre Garonnaire, célèbre recruteur de l’ASSE entre 1950 et 1989, n’en sont pas à leur coup d’essai. « Gaspard est un autodidacte avec un côté self-made-man. Il a fondé son agence de développement web Peexeo à Lyon, et a toujours été doué dans la création de sites», note la communicante lyonnaise Anne Brunet, qui a côtoyé l’entrepreneur dans son ancienne agence web, revendue en 2020.

Bien avant le lancement de MYM, Gaspard Hafner s’illustre notamment en 2013 avec le site Avions de chasse, avec des publications quotidiennes de photos de top-models en lingerie. La page Facebook du site,suivie par plus de 430000 personnes et encore active aujourd’hui, renvoie désormais vers les profils MYM des modèles exposés. Pierre Garonnaire, de son côté, s’essaie lui aussi à l’entrepreneuriat avec le lancement d’une application mobile à Lyon en 2009, sans succès, puis déménage à Paris. Les deux amis d’enfance s’éloignent pendant quelques années. Ils se retrouvent en 2015, avec l’envie de trouver un nouveau concept numérique révolutionnaire. «On a tenté beaucoup de choses, et connu autant d’échecs, concède Gaspard Hafner. J’ai eu envie de tout arrêter, de revendre ma boîte et de devenir salarié. J’étais vraiment fatigué de l’entrepreneuriat.» Résigné, le binôme s’accorde un ultime essai fin 2018, comme un dernier baroud d’honneur. «C’était la tentative finale, donc on s’est mis dessus à fond, nuit et jour, semaine et week-end pendant plus de trois mois », rejoue Pierre Garonnaire.

Ce dernier projet est baptisé MYM, pour «Meet your model ». Il vise à renforcer les liens entre les influenceurs et leur communauté, dans une logique d’abonnement payant : «On a voulu prendre le contrepied des réseaux sociaux comme Instagram qui ne créent aucun contenu, mais ramassent tous les revenus publicitaires sans rien reverser aux créateurs. L’idée était donc de créer un produit qui permette à ces créateurs de gagner de l’argent grâce à leur communauté. On a d’abord pensé MYM pour que le produit soit bankable pour eux. » Le binôme monte son nouveau site seul et à distance avec Gaspard Hafner sur la partie technique à Lyon, et Pierre Garonnaire sur la partie business à Paris. Le projet décolle aussitôt : 3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, 30 millions en 2020. Le tout sans aucun salarié. « On n’avait besoin de personne. On savait coder et rendre un business sexy. On a donc tout externalisé pendant plus de deux ans », souligne Gaspard Hafner. « Le fait de rester seuls nous a permis de mieux penser le projet, de le rendre le plus simple possible et de garder notre liberté sans actionnaires ni fonds d’investissement », prolonge Pierre Garonnaire. Les premiers recrutements arrivent en 2021, année où le réseau social dépasse déjà les 60 millions d’euros d’activité. 

Photos dénudées et vidéos lascives

 Cette croissance fulgurante permet alors à MYM de se faire un nom dans le paysage des réseaux sociaux. L’acronyme délaisse son «Meet your model» pour le slogan «Me. You. More.», plus en phase avec sa volonté de rapprocher fans et créateurs. Sauf qu’à cette époque, les créateurs sont majoritairement des créatrices, bien plus souvent dénudées qu’habillées. Prise d’assaut par les personnalités du monde érotique et de la télé-réalité, la plateforme héberge des centaines de milliers de contenus à caractère sexuel, photos en tenue légère ou des vidéos lascives. « C’est la preuve que le monde du X sait toujours comment profiter d’un business avant les autres, comme avec le minitel autrefois », confirme Gaspard Hafner d’un œil tant rieur que fataliste.

Le produit prend toutefois des allures d’OnlyFans français (site anglais dont le service est similaire, mais où le contenu est 100 % adulte) et pousse le duo à la remise en question. « On s’est demandé s’il fallait accepter ou non ces contenus réservés à un public majeur. On a choisi de le faire, tant qu’ils restent dans le cadre de la légalité, parce que notre plateforme doit profiter à tous les créateurs de contenu, sans distinction. Mais en choisissant cela, il nous fallait surtout être capables de protéger les mineurs des contenus sensibles », énoncent les deux dirigeants, pères de famille, qui souhaitent faire de MYM « la plateforme la plus sécurisée ».

Pour y parvenir, un ensemble de mesures restrictives ont été mises en place. L’identité des créateurs est authentifiée, l’anonymat est interdit, les contenus sensibles sont modérés, les liens vers les profils des créateurs X sont désindexés de Google et les mineurs (créateurs comme utilisateurs) sont éconduits avant toute demande d’inscription, grâce à un système de reconnaissance faciale. Les dirigeants ont aussi lancé un comité d’éthique indépendant, non indemnisé et non rémunéré, composé de six membres (avocats, entrepreneurs, ex-responsables politiques et institutionnels). Ils sont chargés de faire respecter une charte de bonnes pratiques et les règles de déontologie sur lesquelles MYM entend reposer.

Une première sur les réseaux sociaux. Avec 10 millions d’utilisateurs et près de 350000 créateurs (qui touchent autour de 1000 euros par mois et jusqu’à 150000 ou 200000 euros par mois pour les plus suivis), MYM n’est toutefois pas réservé qu’aux plaisirs libidineux. « Si nous n’avions que les contenus adultes et télé-réalités qui marchent, on aurait arrêté depuis bien longtemps », confiait Gaspard Hafner lors d’une conférence au H7 à Confluence en mai dernier. « On a pensé notre produit pour qu’il séduise le maximum de créateurs et qu’il s’adresse à tous ceux qui ont une expertise à monétiser », prolonge Pierre Garonnaire, par ailleurs compagnon de la comédienne Alexandra Lamy. Une donnée étroitement liée au business model de la plateforme.

MYM prend une commission de 20 % sur les abonnements et autres contenus exclusifs vendus sur le réseau, et reverse les 80 % restants aux créateurs. Les dirigeants ont donc tout intérêt à attirer et à proposer des contenus variés au grand public pour encourager les nouveaux abonnements. C’est dans cette logique de diversification que s’inscrivent les arrivées récentes de Djibril Cissé, Jean-Claude Van Damme, DJ Snake, Jean-Michel Maire ou même du Goal FC, le club de l’Ouest lyonnais présidé par Jocelyn Fontanel, première entité sportive à rejoindre la plateforme. « Le club est très proche de sa communauté de fans et se réjouit d’accueillir MYM et ses fondateurs parmi ses partenaires », précisait le dirigeant, par ailleurs DG du groupe Fontanel, après la signature d’un contrat de sponsoring entre le club et le réseau social en février 2022.

En parallèle, Gaspard Hafner et Pierre Garonnaire concentrent leurs efforts sur le développement d’une nouvelle offre, centrée sur les formats apprenants : « On veut attirer des coachs sportifs, des spécialistes en nutrition, en bien-être, ou bien même des personnes qui vont vous conseiller en immobilier.» De nouveaux formats très largement mis en avant par le site. « Il n’y a pas besoin d’être suivi par une grande communauté pour nous rejoindre. La communauté se construira chez nous. On veut pouvoir aider des petits créateurs à se lancer. C’est ce qui nous plaît, et c’est aussi ce qui a beaucoup plu à DJ Snake.»

Grosse levée de fonds 

L’arrivée du DJ français dans l’équipe dirigeante témoigne des nouvelles ambitions du réseau social lyonnais. « C’est une étape extrêmement importante pour l’entreprise. Nous allons bénéficier de sa connaissance exceptionnelle du milieu artistique et pouvoir nous appuyer sur son aura internationale, estiment les deux fondateurs. Cette arrivée permettra à de nouveaux créateurs et artistes musicaux de rejoindre la plateforme en France et à l’international.»

L’année 2023 s’annonce ainsi charnière pour la plateforme. Outre le lancement d’une application mobile, d’ici septembre, pour fluidifier l’expérience utilisateur, MYM compte sur la présence de son nouvel associé pour débarquer sur le marché américain. « C’est un marché énorme et un passage obligé. Cette année doit être la bonne, avec une levée de fonds qui va nous accompagner. » Le montant de cette levée est gardé secret, mais celui-ci devrait se situer entre 10 et 50 millions d’euros : « Les Américains sont séduits lorsqu’un acteur montre qu’il est fort et qu’il a des moyens. Donc quand tu veux aller sur ce marché, tu n’y vas pas avec 2 ou 3 millions d’euros», renseigne Pierre Garonnaire. En attendant, l’entreprise continue de se structurer. Elle compte désormais 40 collaborateurs et vise les 250 millions d’euros d’activité pour 2023, puis les 500 millions pour 2024. « Nos développeurs ont beaucoup de boulot pour les années à venir. On a envie de penser à de nouvelles fonctionnalités, d’avoir un produit à la pointe pour que les créateurs soient bien chez nous.»

Les développeurs ont d’ailleurs déménagé – avec l’ensemble des effectifs – dans de nouveaux locaux de 500 m2 au cœur du 9e arrondissement de Paris. « Nos équipes et nos bureaux sont à Paris, mais le siège de la boîte reste à Lyon», confesse Gaspard Hafner, toujours installé dans la région lyonnaise, du côté de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Dans ces nouveaux bureaux flambant neufs et esprit start-up, Pierre Garonnaire voulait même installer un jacuzzi. De quoi rendre la soirée passée devant le Superbowl un peu plus douce.

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