📜Article publié dans le magazine Lyon Décideurs d’octobre 2021
Oui, on peut dire que l’été de Frédéric Merlin a été chargé. Il a fêté ses 30 ans, accueilli la naissance de son premier enfant… et signé avec les Galeries Lafayette le projet d’acquisition, pour un montant gardé secret, des murs et des fonds de commerce de sept grands magasins en province (à Angers, Dijon, Grenoble, Limoges, Orléans, Reims et au Mans).
« Les Galeries Lafayette, c’est une marque puissante. Tout le monde a un souvenir, enfant, de s’être baladé dans l’un de ces magasins avec ses parents. Dans les villes de province, on vient même de loin pour aller aux Galeries Lafayette…», savoure Frédéric Merlin, dans ses spacieux et cossus bureaux de la Société des grands magasins (SGM), situés rue de Bonnel (Lyon 3e), à un jet de pierre des berges du Rhône. C’est là qu’est installée la – jusqu’alors – plutôt discrète foncière, créée en 2018, qui détient déjà les murs de neuf centres commerciaux implantés dans des villes moyennes de province (Nîmes, Mulhouse, Saint-Nazaire, Roubaix…). Soit, au total, 150000 m2 de boutiques qui revendiquent plus de 30 millions de visiteurs par an.
« Il est vu comme un loup qui veut aller très vite et très haut. Et, en même temps, sa réussite fascine »
Avec la retentissante reprise des magasins Galeries Lafayette, qui devrait être effective en début d’année prochaine, Frédéric Merlin rajoute d’un coup dans son escarcelle 80000 m2 de commerces qui seront exploités avec l’enseigne centenaire, dans le cadre d’un accord d’affiliation.
Dans la corbeille de la mariée, ce sont 600 collaborateurs des Galeries Lafayette qui passeront prochainement sous pavillon de la Société des grands magasins. Un véritable changement de dimension pour ce Lyonnais totalement inconnu du grand public, mais qui figure déjà depuis plusieurs éditions au classement Challenges des plus grosses fortunes françaises, avec un patrimoine évalué à quelque 350 millions d’euros.
Et, dans le petit monde de l’immobilier lyonnais, cela fait plusieurs années déjà que, selon un promoteur de la place, « tout le monde connaît Frédéric Merlin ». Au moins de réputation. Celle d’un nouveau prince de l’immobilier lyonnais à la réussite insolente, à la fois brillant, flambeur, et dont l’ambition n’a aucune limite. « Il est vu comme un loup qui veut aller très vite et très haut. Et, en même temps, sa réussite fascine », résume un spécialiste de l’immobilier lyonnais.
« Fred n’a jamais eu 20 ans »
L’histoire débute il y a douze ans. Le gone Frédéric Merlin a alors 18 ans et son bac en poche. Il s’est inscrit à la fac de droit « parce que je ne savais pas quoi faire », mais sent vite qu’il se trompe de chemin. Alors, comme il a « pas mal de temps libre », il décroche un stage chez Lyon Omnium et découvre l’immobilier d’entreprise et commercial. « Ça a été une révélation. Je me suis tout de suite pris de passion pour ce métier. »
Il poursuit alors l’aventure avec un contrat en alternance. « Frédéric Merlin n’avait pas encore 20 ans, mais il était déjà très talentueux, très dynamique, gros bosseur et très ambitieux, se rappelle Frédéric Berthet, le patron de Lyon Omnium. J’ai eu un vrai coup de foudre pour Frédéric et sa sœur Maryline, qui était également chez nous en alternance à cette période. Sauf que j’ai vite compris, au bout de quelques mois seulement, qu’ils étaient là pour apprendre le métier et allaient vite repartir monter leur propre boîte. » Et effectivement, frère et sœur plient rapidement bagage pour fonder, en 2010, « avec deux prêts étudiants de 15000 euros », Imea Conseil, leur propre cabinet de conseil en immobilier d’entreprise.
C’est à cette époque que Frédéric Merlin croise pour la première fois la route du promoteur immobilier Pierre Nallet, qui compte aujourd’hui parmi ses proches. « Le petit Fred, c’est un phénomène! Il est brillant, supermature et il a un culot incroyable. Il m’a loué des locaux en 2014, il avait donc 23 ans et un aplomb hors du commun pour son âge : toujours à l’aise, quel que soit l’interlocuteur en face de lui.”. Et c’est effectivement l’un des ingrédients de la réussite de Frédéric Merlin : l’homme, toujours élégant et très avenant, passe particulièrement bien. « Il est charmant, drôle, généreux et bien élevé. Il a le sens des relations, c’est un mec qu’on est obligé d’aimer », reprend Pierre Nallet.
Tandis que Romain Rossero, le dirigeant du cabinet lyonnais de conseil en immobilier d’entreprise Parcel Real Estate, qui a côtoyé Frédéric Merlin à l’époque Lyon Omnium, se souvient encore « de la capacité impressionnante de Frédéric à se créer du réseau ; il s’était lié d’amitié avec des personnalités comme Fernand Galula ou Pierre Philip (l’ancien dirigeant de Lyon Omnium), qui avait plus de 30 ans de plus que lui, c’était absolument étonnant. En fait, Fred n’a jamais eu 20 ans. Je pense qu’il s’ennuyait avec les gens de son âge. Il aime les personnages plus âgés et importants. »
Une autre de ses connaissances complète, cette fois : « Il est malin et opportuniste, ce qui fait qu’il arrive à se mettre tout le monde dans la poche. Il est vraiment très doué pour ça, quitte à en faire trop. Du coup, on ne sait pas vraiment s’il est sincère ou s’il joue un rôle. En fait, je pense qu’il a de vraies qualités tout en étant aussi très calculateur…».
« Une fougue et un bagou hors du commun »
Après ses premiers pas probants dans le conseil en immobilier d’entreprise, Frédéric Merlin fonde Avenue Développement Immobilier en 2015, cette fois spécialisée dans l’acquisition, la réhabilitation et la revalorisation de biens immobiliers. Une structure qui revendique 15000 m2 d’immeubles Haussmanniens de centre-ville réhabilités ou en cours de réhabilitation. Mais Frédéric Merlin se concentre très vite sur un autre filon, avec l’acquisition de centres commerciaux situés dans des villes moyennes de province. Sa vision : le commerce de centre-ville n’est pas mort, il suffit de le réinventer.
Il rachète donc des « actifs d’hyper-centre laissés dans un état végétatif complet depuis plusieurs années » en se lançant le défi de les revitaliser via des travaux de rénovation et l’apport d’une ore « plus moderne », avec de nouvelles enseignes pas uniquement shopping, mais aussi culinaires ou loisirs. Et, partant, réussir une culbute financière en réduisant le taux de vacance et en augmentant les revenus des loyers. L’exemple le plus probant jusqu’à présent : la magnifique Galerie des Tanneurs, à Lille, laissée à l’abandon ou presque depuis plusieurs années et transformée en un food court géant. « La force de Frédéric, c’est de ne pas être déstabilisé par les études de marché, explique Karl Cottendin, le directeur des opérations de Société des grands magasins. Tous les sachants locaux nous disaient que ça ne marcherait pas. On avait donc toutes les raisons de ne pas y aller. Un an et demi après, on réalise mille couverts par jour ».
C’est en cela que Thierry Herrmann, un ami, lui aussi professionnel de l’immobilier, considère Frédéric Merlin comme « disruptif » : « À l’âge qu’il a, c’est incroyable d’avoir une vision aussi intéressante du commerce de demain. Parce que les centres commerciaux dans des villes de province, il n’y a pas beaucoup de monde qui y croit. »
Le promoteur Nicolas Gagneux, qui a mené des opérations immobilières avec celui qu’il appelle affectueusement « le gamin », abonde : « Frédéric a des idées décalées et même à contresens par rapport aux autres. C’est couillu de racheter des centres commerciaux de province, il est le seul à vouloir reprendre ça. Mais il n’a pas peur : il s’entoure de partenaires bancaires, fait des montages et se lance avec sa fougue et un bagou hors du commun… ».
Bouffe, bon vin et cigares
Alors, forcément, si l’ascension express du jeune Lyonnais impressionne, elle ne manque pas non plus de faire jaser. « Il a envie de gagner des sous, et n’a pas peur de le dire. L’argent et la réussite, ça crée forcément des jalousies », poursuit Nicolas Gagneux. Cela tient aussi au personnage de Frédéric Merlin, qui aime ce qui brille, des belles montres aux beaux costumes en passant par les belles voitures et les fêtes sur un bateau l’été à Saint-Tropez. « Il est sympa, mais il a vraiment un côté “moi je réussis et il faut que ça claque”. Il est un peu dans la caricature de celui qui a fait fortune dans l’immobilier », rapporte l’une de ses connaissances. Et son ami Pierre Nallet ne dit pas autre chose : « Il aime la boue, le bon vin et les cigares… en fait, il a tous les vices qu’il faut s’il voulait devenir promoteur immobilier », glisse-t-il dans un sourire.
Un côté flambeur qui s’accompagne d’une question récurrente : avec ces rachats successifs, Frédéric Merlin ne va-t-il pas trop vite ? D’autant qu’à peine la reprise des sept Galeries Lafayette bouclée, le tout juste trentenaire laisse déjà entendre qu’il a encore des projets d’acquisition de centres commerciaux dans les tuyaux. « Et des étoiles filantes qui se sont crashées à force de voir trop gros, on en a aussi connu », souligne ainsi un observateur avisé. « Est-ce que je vais trop vite? L’avenir le dira, je reste humble », promet Frédéric Merlin, pour qui la période de fermeture des boutiques pendant la période du confinement a en quelque sorte servi de crash test grandeur nature de son modèle. « Nous avons payé tout le monde à l’heure, rien n’a été décalé. Et l’on dispose encore de capitaux propres importants. Mieux, la Covid a eu un effet accélérateur pour nous, car les villes de taille moyenne retrouvent de l’attractivité auprès des habitants des grandes métropoles », souligne le dirigeant, qui navigue au quotidien dans une ambiance très start-up avec les 40 collaborateurs de la foncière qui achètent une moyenne d’âge autour de la trentaine. Frédéric Merlin y est également entouré de sa famille, un élément indissociable de sa trajectoire.
C’est la figure paternelle, Pascal Merlin, disparu il y a deux ans, qui a donné à ses enfants le goût de l’entrepreneuriat (il était lui-même patron dans la tuyauterie industrielle). Une aventure qu’il vit désormais aux côtés de sa sœur Maryline, directrice générale de SGM avec qui il dit être « fusionnel », et de sa mère, directrice générale adjointe de SGM, qui laisse ses enfants s’occuper de la boîte, mais passe tous les jours au bureau voir si tout va bien.
Dans les couloirs des locaux de la rue de Bonnel, Frédéric Merlin croise aussi des amis de longue date, à l’image de Karl Cottendin, le copain de dix ans qui occupe le poste de directeur des opérations. « Frédéric, c’est quelqu’un de très constant. Je le vois 300 jours par an, et il est toujours souriant. Jamais fatigué, triste ou énervé… Et je reste impressionné par sa capacité à avoir tout le temps de nouvelles idées qui peuvent partir d’une blague lors d’un déjeuner où l’on se dit après “en fait c’est pas si con”. Il croit en ses idées et sait prendre des risques, mais aussi mettre en œuvre et fédérer les équipes autour de lui grâce à son charisme », témoigne-t-il.
« Zen et cool à raconter des blagues »
Et, à en croire sa sœur Maryline, le business prend de l’ampleur, mais Frédéric Merlin, qui partage de plus en plus son temps entre Lyon et Paris, reste « zen et cool à raconter des blagues ». « Même si l’on a évidemment pris de la maturité ces derniers temps, complète-t-elle. On était deux dans un bureau de 50 m2 il y a dix ans et l’on va passer à 640 collaborateurs avec l’intégration des Galeries Lafayette. On connaît actuellement une évolution que l’on aurait dû connaître dans cinq ans. »
Et, à l’évocation de son changement de dimension, Frédéric Merlin répond par une formule : « On devient crédible ». Le deal des Galeries Lafayette en est effectivement la preuve. Car cela veut dire que le Lyonnais est désormais un acteur reconnu au niveau national, car, comme le souligne l’un de ses proches, le dossier présenté par une banque d’affaires « n’est pas arrivé par hasard sur son bureau ». Ensuite, cela démontre une nouvelle fois que le tout juste trentenaire sait vraiment bien y faire, car la famille Moulin à la tête des Galeries Lafayette n’aurait pas cédé les murs de ses magasins ni partagé la gestion avec n’importe qui.
« Frédéric Merlin va trop vite pour le commun des mortels, mais il ne fait pas partie du commun des mortels. Quand on parle de lui, il ne faut pas mettre de limites »
Il fallait des gages de confiance, et plusieurs repreneurs étaient sur les rangs. « Mais nous avons vite trouvé des valeurs communes avec la famille historique », rapporte Frédéric Merlin, qui dit avoir désormais « toutes les cartes en main » pour faire de la Société des grands magasins « l’un des premiers acteurs de province ». Ceux qui le côtoient n’en doutent pas. « Je n’y aurais pas cru si on m’avait dit il y a trois ans qu’il reprendrait sept Galeries Lafayette, reprend le directeur des opérations, Karl Cottendin. Frédéric est surprenant, avec lui on n’est jamais à l’abri de nouvelles idées à développer. Je ne vois pas de limites à ce qu’il peut aller chercher…»
D’autres font presque amende honorable, à l’image de Romain Rossero. « Moi aussi, j’ai pensé au début qu’il faisait n’importe quoi en rachetant ces centres commerciaux. Mais en fait non… Fred va trop vite pour le commun des mortels, mais il ne fait pas partie du commun des mortels. Quand on parle de lui, il ne faut pas mettre de limites. » Et cela tombe bien, Frédéric Merlin non plus ne semble pas se mettre de limites.
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