Yvan Patet : le sourire retrouvé

Yvan Patet est bel et bien de retour. Après une descente aux enfers qui avait notamment vu son groupe Em2c placé en procédure de sauvegarde, le promoteur immobilier enchaîne les gros programmes à Lyon et retrouve de l’ambition. Mais, promis, l’entrepreneur est devenu plus raisonnable après s’être brûlé les ailes.
© Marie-Eve Brouet
📜Article publié dans le maga­­­zine Lyon Déci­­­deurs de juin 2021

Yvan Patet s’ap­prête à donner une nouvelle preuve du retour au premier plan d’Em2c sur la scène lyon­naise. Son groupe immo­bi­lier livre, à la fin du mois, un nouveau bâti­ment de 10000 m2 – qui mêle logis­tique, bureaux et même une ferme urbaine sur le toit – au groupe Metro France sur l’an­cienne friche indus­trielle Fagor-Brandt à Gerland. Un site immense dont la recon­ver­sion sera complé­tée, l’an­née prochaine, par la livrai­son d’un immeuble de bureaux de plus de 18 000 m2, où va s’ins­tal­ler l’éner­gé­ti­cien Enedis. « Avec ce programme, nous réali­sons le deuxième plus gros chan­tier de Lyon après la future tour To-Lyon de la Part-Dieu », précise Yvan Patet, qui avait déjà présenté, fin janvier, le projet d’ex­ten­sion de 24 hectares du parc d’ac­ti­vité des Platières dans le Pays Mornan­tais.

Le tout en menant, en paral­lèle, les recon­ver­sions des anciennes friches indus­trielles Duran­ton à Vénis­sieux et Arché­mis à Décines. Des projets en pagaille pour Em2c, et cela va très vite se ressen­tir sur les chiffres du groupe qui emploie une centaine de colla­bo­ra­teurs. Alors qu’il table sur un chiffre d’af­faires conso­lidé de l’ordre de 90 millions d’eu­ros cette année, Yvan Patet annonce des pers­pec­tives « autour de 110–120 millions dès l’an prochain ». Mais il se garde toute­fois de montrer un quel­conque signe d’eu­pho­rie : « C’est vrai que l’on a fait un grand pas… Mais je ne me permet­trais pas d’af­fir­mer que “ça sent bon”. Surtout en période de pandé­mie », tempère prudem­ment le patron de 56 ans. 

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Il faut dire qu’Y­van Patet revient de loin : Em2c vient tout juste de finir de rembour­ser, fin avril, un plan d’éta­le­ment des dettes de près de 40 millions d’eu­ros (en comp­tant les inté­rêts), qu’il traî­nait depuis sa mise en procé­dure de sauve­garde en février 2010. Alors à la tête d’un groupe de promo­tion-construc­tion bâti à grands coups de rachats et comp­tant une quin­zaine de filiales, Yvan Patet a failli tout perdre. Les fonda­tions de son empire basé à Vourles, qui factu­rait alors plus de 150 millions d’eu­ros de chiffre par an et comp­tait plus de 200 colla­bo­ra­teurs, n’étaient pas assez solides pour soute­nir une crois­sance express avec la créa­tion d’an­tennes à Paris, Marseille ou encore Casa­blanca. « Il est allé trop vite, trop fort. Yvan est un vrai entre­pre­neur et un person­nage brillant, mais il n’avait pas forcé­ment les équipes et l’or­ga­ni­sa­tion globale pour suivre », résume son ami Guy Mathio­lon, le président de Serfim, qui compte parmi ses amis proches. Sous protec­tion du tribu­nal, Yvan Patet réduit dras­tique­ment la voilure. Il se sépare de deux tiers des colla­bo­ra­teurs d’Em2c et repart sur une base de l’ordre de 60 millions d’eu­ros de chiffre d’af­faires par an.

Le début d’une longue période sombre : en plus des problèmes finan­ciers de son entre­prise, son nom va appa­raître, à l’hi­ver 2011, dans la reten­tis­sante affaire Rhônex­press, ce qui lui vaudra une perqui­si­tion, deux gardes à vue et un procès pour une histoire de chèque, sur fond de contrat présumé fictif dont il sera inno­centé en appel.

Puis il laisse, fin 2012, la prési­dence du Lou à l’is­sue d’un mandat de près d’une décen­nie, avec pour fait d’armes une remon­tée des rouges et noirs dans l’élite après des années à l’étage infé­rieur. « J’ai voulu me recen­trer sur mon entre­prise », explique-t-il encore aujourd’­hui. Figure du club dont il reste action­naire et spon­sor maillot, Yvan Patet a surtout été poussé vers la sortie par son action­naire majo­ri­taire, Olivier Ginon, qui avait décidé de reprendre les choses en main et de placer l’un de ses hommes, Yann Roubert, qui est toujours en poste, à la prési­dence alors que les comptes étaient dans le rouge vif et les résul­tats spor­tifs déce­vants. 

🎥 En vidéo : Le Jour­­nal Éco avec Yvan Patet

Méfiance géné­ra­li­sée

Le très people Yvan Patet se fait alors plus discret. Et amorce une longue remon­tée de la pente. Le contexte est d’abord à la méfiance géné­ra­li­sée. « Surtout qu’on a dit des conne­ries sur moi. Il a fallu rega­gner la confiance et cela a pris du temps », rapporte Yvan Patet. Ce que confirme, par exemple, Thierry Merlot, le patron Europe du groupe indus­triel améri­cain Hexcel Compo­sites, qui a commandé à Em2c, en 2015, la réali­sa­tion de son nouveau siège euro­péen à Dagneux (Ain). « Avant tout, j’ai voulu lever certaines inter­ro­ga­tions sur son passif et Yvan Patet m’a répondu fran­che­ment », raconte le diri­geant, qui confiera par la suite au promo­teur trois nouveaux projets immo­bi­liers.

Yvan Patet a moins fait parler de lui pendant une décen­nie, mais il en a tout de même profité pour signer quelques réali­sa­tions emblé­ma­tiques à l’ar­chi­tec­ture ambi­tieuse, à l’image du complexe de chute libre indoor iFLY à Bron, de l’Hô­tel Kops­ter qui jouxte le Grou­pama Stadium ou encore avec la réali­sa­tion du parc d’ac­ti­vité Gree­no­po­lis (dix bâti­ments construits ou réha­bi­li­tés) sur une ancienne friche indus­trielle dans le 9e arron­dis­se­ment… Cet auto­di­dacte de l’im­mo­bi­lier, qui a commencé par une carrière de styliste dans des maisons de couture avant de rejoindre son père archi­tecte, se refait douce­ment une place à Lyon. Avec un posi­tion­ne­ment assumé. 

« À l’époque, je me croyais intou­chable. Et j’étais le seul à avoir toujours raison quand les autres avaient tort. On apprend de ses erreurs… »

« Moi, mon trip, ce n’est pas de construire une tour, mais plutôt d’ima­gi­ner et de faire naître – ou renaître – un quar­tier. En cela, je suis complé­men­taire d’autres promo­teurs lyon­nais », affirme-t-il. Peu à peu, Yvan Patet est de nouveau recom­mandé dans les cercles d’af­faires lyon­nais. « Quand je suis arrivé en 2012 au direc­toire de la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, on m’a dit : “Tu devrais aller voir ce promo­teur, il a eu des diffi­cul­tés, mais c’est un gars bien”. Alors on a fonc­tionné de façon prag­ma­tique sur un dossier, puis un autre… Nous avons aussi appris à nous connaître : c’est quelqu’un d’en­tier, de géné­reux, d’im­pliqué et de passionné », déroule le banquier Didier Bruno.

« Reparti comme en 40 »

Depuis sa créa­tion le 1er avril 1990, Em2c reven­dique la réali­sa­tion de près de 800 immeubles de bureaux et de loge­ments, pour un total d’en­vi­ron trois millions de mètres carrés construits. Et, main­te­nant que les bases de l’en­tre­prise sont rede­ve­nues saines – « La dette a été inté­gra­le­ment rembour­sée à l’heure, nous avons recons­ti­tué nos fonds propres et le groupe dégage un résul­tat net de 3 à 6 % par an » – son fonda­teur compte bien repar­tir pour de bon de l’avant.

Avec l’objec­tif annoncé à voix haute d’at­teindre 250 millions d’eu­ros de chiffre d’af­faires conso­lidé dans les cinq ans. « Yvan Patet semble reparti comme en 40 », s’alarme un spécia­liste lyon­nais de l’im­mo­bi­lier, mais l’in­té­ressé promet avoir changé avec les épreuves : « À l’époque, je me croyais intou­chable. Et j’étais le seul à avoir toujours raison quand les autres avaient tort. On apprend de ses erreurs… Mon but n’est pas de deve­nir le numéro un du jour puis d’être numéro dix le lende­main. Je ne veux pas me remettre dans une zone de diffi­cul­tés », assure-t-il, tout en philo­so­phant sur son parcours : « Pour moi, tout ce que l’on a fait depuis le début avec Em2c, c’est d’une richesse extra­or­di­naire. Avec ses plus et ses moins, mais c’est la vie. Et on ne change jamais rien à une vie… »

Le nouveau Yvan Patet ? Une meilleure étude des oppor­tu­ni­tés et maîtrise des risques, une crois­sance mieux maîtri­sée… Bref, un retour à une gestion plus raison­nable. « Cette période nous a permis de reve­nir à certaines valeurs fonda­men­tales que l’on a peut-être eu tendance à oublier. C’est un métier où l’on peut bras­ser des sommes impor­tantes, il faut savoir raison garder », commente ainsi Yohann Patet, le fils aîné d’Yvan Patet, qui prend de plus en plus de respon­sa­bi­li­tés au sein de l’entre- prise fami­liale (lire enca­dré).

L’en­tou­rage d’Yvan Patet abonde : le patron de la CPME, François Turcas a ainsi le senti­ment de côtoyer quelqu’un avec « beau­coup plus d’hu­mi­lité » : « Yvan voit la vie à travers un autre prisme. Il ne rêve plus de sommets inac­ces­si­bles… » « Forcé­ment, il n’est plus le même. Et il fallait d’ailleurs qu’il en tire les consé­quences, reprend son ami Guy Mathio­lon. Je n’ai jamais eu de doutes sur sa capa­cité à se battre, mais je connais peu d’exemples d’en­tre­pre­neurs qui se soient redres­sés comme il l’a fait après avoir connu des déboires aussi impor­tants. Chapeau. »

L’homme a changé, son busi­ness aussi. De pur construc­teur, Em2c s’est trans­formé en un construc­teur-promo­teur-aména­geur. Autre nouveauté, le groupe immo­bi­lier s’est égale­ment lancé, depuis quelques années, dans la produc­tion de loge­ments. Yvan Patet entend égale­ment sortir de sa lyonno-dépen­dance, en rééqui­li­brant le mix entre projets lyon­nais (80 % à ce jour) et sur le reste du terri­toire, à l’image de l’ap­pel d’offres remporté pour construire des immeubles de bureaux sur deux parcelles de 12000 m2 au total dans la zone d’ac­ti­vité de Toulouse-Blagnac. « Pour moi, Em2c est un “blob”, c’est-à-dire une struc­ture poly­morphe avec une capa­cité d’adap­ta­tion très forte. C’est ce qui nous a permis de passer les étapes compliquées. Je ne sais pas ce que sera le marché à l’ave­nir, mais je sais que nous saurons nous adap­ter », expose le promo­teur, qui se dit toujours excité par le métier. « Surtout quand je sens que les gens en face de moi – inves­tis­seurs, futurs utili­sa­teurs… – sont véri­ta­ble­ment enga­gés dans le projet. J’ai fait du ping-pong à haut niveau et ce qui m’in­té­resse, c’est quand la balle revient », déclare Yvan Patet.

Et c’est ce que retient Jean-Loup Rogé, le patron du groupe d’ex­per­tise-comp­table Implid, qui a dési­gné Em2c pour la réali­sa­tion d’un spec­ta­cu­laire immeuble de bureaux autour de la célèbre Maison Rose du cours Vitton, dans le 6e arron­dis­se­ment : « Nous avons eu de vraies discus­sions. C’est un dossier qu’Y­van Patet a suivi avec une grande atten­tion, appor­tant beau­coup d’idées », expose le diri­geant, qui a fait la connais­sance d’Yvan Patet il y a plusieurs années, dans les couloirs du Lou. Il en était le président lorsque Jean-Loup Rogé a signé son premier parte­na­riat avec le club. Ils ont, depuis, noué une rela­tion amicale. « Yvan, c’est un gars génial. Si j’avais un souci très grave un jour, c’est avec lui que je le parta­ge­rais, car je sais qu’il le garde­rait pour lui et qu’il essaye­rait de m’ai­der. »

« Fort en gueule »

Comme souvent d’après la répu­ta­tion d’Yvan Patet, le cadre strict des affaires est vite dépassé. Il n’a jamais pratiqué, mais s’est très bien fondu dans l’es­prit rugby. « J’aime bouf­fer, boire des canons et décon­ner avec mes potes. Vous me mettez tout seul avec un bouquin sur une île déserte, je passe ma jour­née à pleu­rer », synthé­tise-t-il. « Yvan est un épicu­rien comme on en connaît peu. C’est quelqu’un d’ex­tra­verti et de jovial qui aime racon­ter plein d’anec­dotes.

« Yvan voit la vie avec un autre prisme. Il ne rêve plus à des sommets inac­ces­si­bles… »

Avec lui, j’ai pris des caisses de fou rire », reprend Guy Mathio­lon, qui évoque aussi un tempé­ra­ment parfois volca­nique, notam­ment lors des rencontres du Lou, « où il pouvait se fracas­ser la main de colère sur le siège d’à côté après un fait de jeu », se marre-t-il encore. « En fait, Yvan Patet est un peu une cari­ca­ture du promo­teur immo­bi­lier, commente un autre obser­va­teur. Il en a tous les attri­buts: grosse person­na­lité, fort en gueule, bon dans le rela­tion­nel, un peu flam­beur qui aime la fête, sans oublier le deuxième bouton de la chemise ouvert. »

Au siège d’Em2c, Yvan Patet dit aimer quand il y a du bruit dans les couloirs. «  Il me faut de l’émo­tion, de l’adré­na­line », explique-t-il. « Mon père manage beau­coup avec le cœur, donc parfois il peut s’em­por­ter », ne cache pas son fils Yohann. D’ailleurs, le mana­ge­ment d’Em2c n’est pas ce qui motive le plus Yvan Patet. Cette mission au quoti­dien revient donc prin­ci­pa­le­ment à Yohann Patet, tandis que le pater­nel est désor­mais davan­tage tourné vers le commer­cial, la stra­té­gie de l’en­tre­prise ou encore la recherche de nouveaux métiers… Avec, toujours, des rêves à trans­for­mer en béton : « Pour moi, le graal serait d’avoir carte blanche pour bâtir un nouveau terri­toire, comme par exemple une petite ville à la limite de la campagne, un lieu de vie diffé­rent sur lequel on ne nous attend pas. » Et pourquoi pas ? Fina­le­ment, peu de monde s’at­ten­dait aussi à un tel retour en force d’Yvan Patet et d’Em2c.

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