Cédric Van Styvendael l’admet volontiers, il n’est jamais très à l’aise face aux objectifs des photographes. « J’ai horreur de ça », confie-t-il avant d’enfiler sa veste et d’enchaîner les poses sur le balcon de son bureau, surplombant l’avenue Henri-Barbusse. Le maire (PS) de Villeurbanne s’est à l’évidence habitué à l’exercice depuis son élection à l’été 2020. Après 20 minutes de sourires, bras croisés, décroisés, l’élu retrouve sa cigarette électronique et peut enfin tomber la veste. Les premières chaleurs de juillet sont déjà suffocantes et l’horaire, plutôt matinal, n’y change rien. Le ventilateur tourne à plein régime. Quelques jours plus tôt déjà, l’édile mouillait la chemise dans un contexte encore plus étouffant.
La 19e ville de France subissait sa quatrième nuit d’émeutes après la mort du jeune Nahel, et celui que tout le monde surnomme CVS, debout face aux habitants sur le perron de la mairie, tentait de rassurer les foules. « Il fallait donner l’information la plus transparente possible sur ce qu’il se passait, sans être anxiogène, même si j’admets avoir été vraiment inquiet un soir lorsque j’ai senti que la situation nous échappait. »
À l’image de ces violents débordements, de la crise sanitaire ou des conflits sociaux liés à la réforme des retraites, le premier mandat politique de l’ancien directeur général du bailleur social Est Métropole Habitat (15 000 logements gérés, 300 collaborateurs) n’est pas franchement de tout repos. « Ce n’est pas un long fleuve tranquille d’être maire de Villeurbanne, mais j’aime l’énergie de cette ville à laquelle je suis profondément attaché », indique l’élu socialiste, installé depuis plus de 20 ans dans le quartier de Cusset.
À mi-mandat, ses débuts en politique dans sa ville de cœur sont largement salués à gauche, mais pas seulement. « Je ne partage pas ses opinions politiques, mais il redonne un souffle à cette ville qui en avait bien besoin, indique Bruno Bonnell, ancien député LREM de Villeurbanne. C’est un très bon maire, à l’écoute et volontaire, qui est en train de révolutionner la ville sans lui faire perdre son âme. J’aurais aimé être élu plus tard pour pouvoir associer ma députation à son mandat. »
« Il est très à l’aise dans ce monde politique. C’est un élu avec qui les échanges sont faciles »
Désormais secrétaire général pour l’investissement, chargé de France 2030, l’ancien cofondateur d’Infogrames n’est pas le seul conquis par la patte Van Styvendael. L’élu villeurbannais, aussi vice-président de la Métropole en charge de la Culture – une délégation qu’il a demandée, alors que Bruno Bernard l’imaginait davantage au logement –, est un interlocuteur demandé, proche du maire écologiste de Lyon Grégory Doucet, ou même du maire LR du 2e arrondissement, Pierre Oliver, avec qui il déjeune occasionnellement. « Il est très à l’aise dans ce monde politique et parle avec tout le monde. C’est un élu énergique et engagé, avec qui les échanges sont faciles », prolonge Hélène Geoffroy, la maire PS de Vaulx-en-Velin, et membre de l’exécutif métropolitain aux côtés de CVS. « Cédric est un digne héritier des valeurs du socialisme villeurbannais, confirme Najat Vallaud-Belkacem, cheffe de file des socialistes à la région. C’est une force tranquille, capable de faire travailler ensemble des gens qui viennent d’horizons différents, tout en respectant les idées des uns et des autres. »
Alliance rose-rouge-verte
C’est sans doute la plus grande force de ce nouveau venu sur la scène politique. Adoubé par Jean-Paul Bret, maire (PS) de Villeurbanne de 2001 à 2020, qui l’a désigné comme son successeur naturel dans ce bastion marqué par cent ans de socialisme municipal, Cédric Van Styvendael mène depuis trois ans une majorité plurielle, fruit d’une alliance rose-rouge-verte montée bien avant la Nupes. « Notre équipe va de La France Insoumise jusqu’au Parti radical de gauche. C’est l’équipe municipale la plus large de toutes les grandes villes de France. Toute la presse attendait qu’on soit à feu et à sang, mais il n’y a pas de tensions majeures. On bosse et je suis persuadé qu’on agit plus intelligemment que s’il n’y avait qu’un seul gros bloc dans cette majorité. »
« Le scoutisme m’a appris le fonctionnement en équipe. Je l’assume même si mon côté boy-scout est parfois tourné en ridicule »
Depuis son fauteuil de maire, l’élu se charge de mettre en musique ce collectif hétéroclite. Il impulse la dynamique, détermine les grandes orientations et tente surtout de débloquer les dossiers qui s’éternisent. « J’avais l’habitude de diriger des boîtes où tout allait vite lorsqu’une impulsion était donnée. Mais être maire, ce n’est pas être un super patron. Le processus décisionnel est beaucoup plus long, nécessite de réunir du monde autour de la table, de nouer des alliances… C’est une fonction qui renforce l’humilité puisque vous ne pouvez rien faire tout seul. »
Cette appétence pour le travail collectif, le maire de Villeurbanne la tient probablement de son enfance passée chez les scouts et guides de France, de louveteau à compagnon, avant d’y décrocher quelques années plus tard son premier job à Paris, en charge du développement du scoutisme dans les quartiers sensibles du pays. « Le scoutisme m’a appris le fonctionnement en équipe. Je l’assume même si mon côté boy-scout est parfois tourné en ridicule dans certaines interviews. Cette association m’a donné ma chance, m’a permis de me révéler à seulement 24 ans, et m’a beaucoup structuré en termes de valeurs. C’est un mouvement auquel je resterai attaché toute ma vie », confesse-t-il.
Avant de se lancer dans la campagne municipale en 2019, CVS était d’ailleurs encore responsable du groupe de scouts de Charpennes avec sa compagne Bérangère, rencontrée dans ses jeunes années au sein du mouvement.
Rupture avec Jean-Paul Bret
Toujours dans cette recherche d’unité, et fort de la désignation de Villeurbanne comme capitale française de la culture pour 2022, l’élu frappe un grand coup à l’été 2021, en invitant les cadors du PS, de Carole Delga, à Johanna Rolland, Patrick Kanner ou Michael Delafosse, à se rassembler dans sa commune autour d’Anne Hidalgo, future candidate socialiste, à moins d’un an de la présidentielle.
« L’image était belle hein ? », ironise aujourd’hui un Cédric Van Styvendael profondément meurtri par le fiasco subi par le PS quelques mois plus tard, avec un score historiquement bas à 1,7 % le soir du premier tour. « Je n’avais pas imaginé que cela serait aussi dur. Tout a été hors norme dans cette campagne : la déception du résultat, la violence des attaques contre Anne Hidalgo… J’ai vu à quel point il fallait être extrêmement préparé pour y aller. Notre candidate l’était certainement, mais le PS n’était pas suffisamment fort pour porter cela. Nous avons payé notre désunion », retrace l’élu qui figurait dans l’équipe de campagne de la candidate socialiste.
D’abord porte-parole d’Anne Hidalgo, puis responsable des relations avec les autres partis, l’élu villeurbannais a tissé des ponts, créé des liens et surtout constaté « qu’il y avait une majorité de gens qui voulaient qu’on bosse ensemble ». « C’est ce qu’il ne faut pas perdre pour 2027. Je serai de ceux qui vont essayer de préserver l’union la plus large possible à gauche puisque je pense qu’il n’y a que comme cela qu’on peut diriger ce pays. »
Pas étonnant donc, de voir l’édile soutenir quelques semaines plus tard la Nupes et son candidat Gabriel Amard (LFI) lors des élections législatives à Villeurbanne. Jean-Paul Bret, farouchement opposé à cette alliance qu’il juge pro-Mélenchon, s’élève contre cette décision qu’il vit comme une « trahison ».
Depuis cet épisode, la relation entre les deux hommes s’est nettement rafraîchie. « Je n’ai pas envie de m’exprimer à son sujet », coupe net l’ancien maire de Villeurbanne par téléphone. « Jean-Paul Bret a eu tout le loisir de dire ce qu’il pensait de mon action après cet accord avec la Nupes. Bien sûr que ça me touche, mais j’ai trop de respect pour ce qu’il a fait pour commenter ce qu’il a dit », rétorque Cédric Van Styvendael qui recevait en 2017 l’insigne de chevalier de l’ordre national du Mérite des mains de Jean-Paul Bret.
Villeurbanne et Lyon pacifiés
Trois ans après les départs de Jean-Paul Bret et Gérard Collomb, les deux barons locaux à la rivalité profonde, l’ère des tensions entre Villeurbanne et Lyon est désormais révolue. « L’opposition entre ces deux hommes politiques n’a pas toujours servi notre ville. Jean-Paul Bret a fait un boulot considérable sur des sujets sur lesquels il avait l’autonomie de décision, mais si Villeurbanne est aujourd’hui en si grand chantier, c’est surtout parce qu’elle rattrape 20 ans de retard sur des projets d’envergure métropolitaine qui ne s’étaient pas faits à cause de cette rivalité. »
L’entente entre les deux maires, Grégory Doucet et Cédric Van Styvendael, est aujourd’hui très bonne. « Nous n’avons pas 15 années de politique derrière nous et nous sommes de la même génération, donc forcément ça rapproche, témoigne l’édile villeurbannais, qui conversait avec son homologue lyonnais à Blois fin août, lors du campus socialiste. On échange régulièrement sur la manière dont on perçoit nos mandats, sur les difficultés ou les doutes auxquels on est parfois confrontés. Mais nous gardons chacun notre ligne politique. Ce n’est pas parce que je m’entends bien avec Grégory Doucet que je suis suiviste ou sur les mêmes lectures politiques que lui. »
Les deux maires conduisent, en effet, deux mandats très différents et emploient surtout deux tactiques opposées face à la presse.
Là où Grégory Doucet peut souvent apparaître partisan et clivant, CVS, toujours disponible pour les médias, avance plus prudemment. « Je ne prends jamais la parole pour faire un coup politique ou des petites phrases. Peut-être que cela donne l’image de quelqu’un d’effacé ou de prudent, mais je préfère les interviews longues aux trucs de 30 secondes. Et je pense que le maire de Lyon, qui a tous les projecteurs braqués sur lui, m’envie aussi cette forme de discrétion », complète l’élu socialiste dans un sourire.
« J’ai l’impression d’être le dernier des Mohicans »
Maire de Villeurbanne et vice-président de la Métropole, Cédric Van Styvendael est l’une des dernières grandes figures socialistes de la région lyonnaise, avec Hélène Geoffroy, ancienne ministre, maire de Vaulx et également membre de l’exécutif métropolitain. « C’est étrange parce qu’on me dit que je suis l’une des dernières figures alors que je n’en ai jamais été une jusque-là. C’est surprenant, mais j’accepte de porter quelque chose pour le PS, de jouer un rôle dans la fédération locale. Je n’ai jamais nié cette étiquette socialiste, je n’ai jamais enlevé le poing et la rose de mes affiches, mais j’ai parfois l’impression d’être le dernier des Mohicans à Lyon », confie l’élu, proche aussi de Lionel Jospinqu’il a reçu à plusieurs reprises à l’Astroballe et auprès de qui il a passé quelques jours de vacances cet été sur l’île de Ré.
Et après Villeurbanne ?
Cédric Van Styvendael, qui a troqué en début d’année son foulard bleu contre une petite barbe de trois jours, se construit depuis trois ans une image plus douce que son homologue lyonnais vis-à-vis des électeurs. Avec sa nouvelle assise villeurbannaise et ses responsabilités au Grand Lyon, l’élu pourrait même être tenté de jouer un rôle plus large à l’avenir, notamment sur le plan métropolitain.
Et de refaire briller du même coup un PS passé selon lui « à un rien de disparaître dans la métropole en 2017 et encore très fragilisé aujourd’hui ». « C’est un homme d’avenir pour le parti, juge Najat Vallaud-Belkacem. Je ne doute pas qu’il aura des occasions d’aller encore plus loin, à lui de les saisir lorsqu’elles se présenteront. » L’eurodéputée (PS) lyonnaise Sylvie Guillaume et le maire (PS) de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi, autre figure émergente du parti et proche de CVS, sont aussi de cet avis : « C’est indéniablement l’un des talents de la nouvelle génération du PS aujourd’hui. Il fait partie de ces nouveaux visages sortis du bois ces dernières années qui peuvent être les ressources du parti dans les années à venir. Il est encore jeune et a certainement des places à conquérir à l’avenir. À lui de savoir jusqu’où il a envie d’aller. »
S’il assume pleinement son côté ambitieux, Cédric Van Styvendael, qui fêtera son 50e anniversaire en octobre, refuse d’entrer pour le moment dans ces considérations : « Je ne suis pas en permanence en train de me demander ce que je vais faire ensuite et préparer le coup d’après. D’abord parce que je suis concentré sur Villeurbanne, et que mon ambition première est de bien faire mon mandat, mais aussi parce que je pourrais très bien ne plus faire de politique dans quelques années. Je n’en viens pas, je n’en ai pas eu besoin pour vivre et l’on reconnaît mes qualités dans d’autres secteurs. »
Et l’édile de conclure, toujours avec prudence : « C’est le jeu de prêter de futures responsabilités aux élus, mais de mon côté, j’ai toujours fait en sorte de laisser plusieurs portes ouvertes pour la suite de ma carrière. Je privilégierai donc le territoire où j’aurai le plus d’impact. »
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