LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

La folie Beaujolais : comment le vignoble s’est réinventé

Après des années de souffrance, le Beaujolais renaît. Le renouvellement des générations de vignerons et, plus surprenant, le réchauffement climatique ont fait beaucoup de bien au vignoble, pris d’assaut par les consommateurs. Un véritable retour en grâce.

Il y a dix ans, les vins du Beaujolais étaient sortis des circuits de distribution, des caves et des cartes des restaurants lyonnais. Aujourd’hui, ils reviennent en force. Décomplexé et débarrassé de son image de vin de soif entretenue par le beaujolais nouveau chaque troisième jeudi de novembre, le vignoble a opéré une montée en gamme salvatrice.

Il a également assisté à un renouvellement générationnel de ses vignerons, et compris les nouvelles attentes de consommateurs désireux de boire désormais des vins plus frais, moins alcoolisés, sur le fruit, pour redevenir un vignoble courtisé. « Le beaujolais nouveau, c’est une belle fête. Mais ce n’est pas l’événement qu’on a aujourd’hui envie de mettre en avant quand on parle des vins du Beaujolais. Les gens ont compris que c’était bien au-delà : une diversité de terroirs et de crus qui donnent des vins passionnants », estime Philippe Bardet, le nouveau président d’Inter Beaujolais.

Le vignoble regroupe en effet 12 appellations et 10 crus répartis sur 14 500 hectares. Le réchauffement climatique a aussi contribué au retour en grâce des vins du Beaujolais. « Le soleil nous a fait passer de la catégorie vins un peu acidulés à vins matures. Des vins complets, structurés, mais sans les tanins durs que peuvent avoir les vins du Sud ou les grands vins », apprécie Philippe Bardet. Ainsi, progressivement, le beaujolais s’est à nouveau invité sur les tables des plus fins gastronomes.

Finesse et élégance

Le président d’Inter Beaujolais est heureux et optimiste pour l’avenir : « Nous avons des vins qui peuvent se marier avec des cuisines très variées. Une bouteille de vin du Beaujolais, ça “matche” avec tous types de plats. Quand on veut un vin unique pour un repas, on peut sans problème prendre un beaujolais. Viande, poisson ou fromage, on a résolu l’accord mets-vin. »

© Vins du Beaujolais, Fabrice Ferrer – Chiroubles

Avec une préférence pour les millésimes 2019 et 2021 qui offrent davantage de finesse et d’élégance pour une consommation « tout-terrain » ; 2018 et 2020 étant plus chauds et puissants, ils sont recommandés pour accompagner des plats sophistiqués.

Pour Philippe Bardet, aucun doute : le gamay est le cépage d’avenir. « Le gamay est un cépage singulier. On a ici la chance d’avoir plus de la moitié de la surface du gamay plantée dans le monde. »

Les consommateurs l’ont bien compris puisque le beaujolais connaît depuis plusieurs années une belle progression dans ses ventes (en 2022, le vignoble a produit 510 000 hectolitres de vin). « D’une manière générale, les vins rouges souffrent d’une baisse de consommation. Mais pas chez nous parce que le style de nos vins plaît aux consommateurs : croquants, gourmands, faciles à boire », observe Philippe Bardet.

Des vins accessibles en prix, buvables immédiatement et taillés pour la garde. « Le succès, c’est aussi une histoire d’hommes et de terroirs. On a dans le Beaujolais un vivier de réussites individuelles et collectives. Ce territoire revit actuellement. Il y a un remue-ménage, un renouvellement des générations et des vins. »

Les bouteilles commencent à manquer

Le succès est tel que, dans certaines appellations et lieux-dits, les bouteilles commencent à manquer et les stocks fondent : « La demande est croissante et dans le même temps, le vignoble a plutôt tendance à produire moins. Le changement climatique ne favorise pas les rendements. On ne peut pas tout avoir : la qualité et la quantité, justifie le président d’Inter Beaujolais. Ce n’est pas simple à gérer mais pour le moment, on s’en sort malgré des tensions sur les crus les plus connus, tels que fleurie ,moulin-à-vent ou morgon.

Les beaujolais-villages sont aussi très demandés avec une belle percée des beaujolais blancs. Donc il faut que l’on régule davantage, que l’on soit patient pour la mise en marché et que l’on augmente un petit peu les tarifs. » Car le succès du beaujolais, c’est aussi une affaire de prix à la bouteille, selon Philippe Bardet : « On n’a pas besoin de casser son budget pour acheter un beaujolais. Nos vins sont accessibles, mais pas bon marché non plus. » Et toutes les appellations en profitent, producteurs et négociants.

Depuis la crise sanitaire du Covid, l’engouement pour les vins du Beaujolais n’est jamais retombé. La demande est telle que les vignerons n’avaient pas connu ça depuis 50 ans et le beaujolais nouveau. Au point d’être aujourd’hui copiés, comme le constate Mathieu Mélinand, vigneron installé avec son frère Camille à Fleurie au Domaine des Marrans : « Le gamay, c’est un cépage qui plaît beaucoup. Il y a plein de régions qui se mettent à faire des vins légers, qui font des macérations carboniques et qui copient
le beaujolais. »

Les Lyonnais réconciliés avec le beaujolais

Pour lui, « la mode du boisé, tonique, hypercoloré », mise en avant par le célèbre Guide Parker, est révolue : « Les nouveaux consommateurs veulent des vins frais, denses, avec de la profondeur. Oui, on peut faire des vins sérieux et digestes en même temps. »

© Vins du Beaujolais, Fabrice Ferrer – Régnié

Et les Lyonnais, qu’en pensent-ils ? Eux qui ont longtemps snobé le vin local privilégiant les côtes-du-rhône : saint-joseph, crozes-hermitage, côte-rôtie, condrieu, etc. « La nouvelle génération de consommateurs lyonnais est beaucoup plus ouverte. Donc je dirais qu’il y a un renouveau », estime Olivier Mesureur, ancien sommelier du restaurant Orsi qui dirige La Cave du Sommelier à Villeurbanne.

Mais cette embellie demande selon lui confirmation : « Le beaujolais commence à sortir de cette image de désamour qu’avait Lyon pour le vignoble. Ce désamour était qualitatif dans les années 1980 et correspondait à la montée en puissance de la vallée du Rhône. Aujourd’hui, les consommateurs reviennent vers le beaujolais, car les vins produits sont bien faits et situés dans des prix corrects. »

Pour le caviste lyonnais, le vignoble du Beaujolais doit prendre son temps s’il veut reconquérir définitivement le cœur des consommateurs lyonnais : « Il y a toujours, je dirais, un plafond de verre. À Lyon, le consommateur n’est pas prêt à mettre plus de 20 euros dans une bouteille de beaujolais. » C’est culturel, selon lui. « Dans l’esprit des gens, le beaujolais est un vin qui doit être attractif et afficher un prix plaisir. Dès qu’il dépasse 20 euros, le client a tendance à se tourner vers une autre région. »

« Beaujolais bashing »

L’ancien sommelier d’Orsi estime que, même s’il y a du mieux, le « beaujolais bashing » reste encore d’actualité dans la capitale des Gaules : « À Lyon, il était de bon ton de critiquer le beaujolais sans le connaître et sans en boire. Certains clients pensent encore que Saint-Amour et Morgon sont situés en Bourgogne », raconte, non sans ironie, Olivier Mesureur.

Car les Lyonnais connaissent mal le Beaujolais voisin et la proximité géographique du vignoble n’est, pour beaucoup, pas un argument de vente : « Il est bien plus facile pour un caviste de vendre du beaujolais à Paris qu’à Lyon. Il y a pourtant de très grands vignerons dans la région beaujolaise qui gagnent à être connus et proposent des cuvées dans un rapport prix et plaisir exceptionnel. Pour retrouver la même chose ailleurs, il faut se lever de bonne heure ! »

Cette démarche qualité, ces terroirs et savoir-faire, le beaujolais en quête de notoriété et reconnaissance souhaite les valoriser en obtenant le classement en premier cru de lieux-dits emblématiques. La démarche est enclenchée du côté de Fleurie qui a identifié sept lieux-dits : Les Moriers, Poncié, Les Garants, La Madone, La Roilette, Grille-Midi et La Chapelle des Bois.

Mais le travail reste à faire dans les autres appellations. Les vignerons interrogés estiment qu’il faudra au moins dix ans avant de déguster des beaujolais premier cru.

Cyril Michaud

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