LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Fatima Berral (Sogelink) : « Nous avons de beaux jours devant nous »

Présidente depuis 2019 de Sogelink (650 collaborateurs, 131 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022), Fatima Berral a l’objectif de faire doubler, dans les cinq ans, l’activité de l’éditeur lyonnais de logiciels qui accompagne les professionnels de la construction et du BTP. Une croissance qui passera par la France et par l’international. « Le réservoir de digitalisation dans ces métiers est encore énorme », affirme la dirigeante. Propos recueillis par Jean-Pierre Vacher, Vincent Lonchampt et Océane Ella

© Tim Douet

Fatima Berral : Pas vraiment… En fait, j’avoue que ce n’est pas une chose que j’ai en tête au quotidien. D’autant que Sogelink est une entreprise « exemplaire » avec un comité de direction composé pour moitié de femmes, et qu’il y a aussi beaucoup de femmes dans le management (la DHR, la DAF, la directrice des opérations…).

Mais cela n’est pas fait exprès, j’ai horreur du mot parité et je déteste les quotas. Toutes ces personnes ont été recrutées pour leur talent. Et je dirais que les choses sont en train de changer avec de plus en plus de femmes dans les métiers de l’informatique et de la construction. Pareil pour les écoles d’ingénieurs : quand je suis entrée à l’Insa Lyon dans les années 1990, c’est vrai que c’était une époque où il y avait très peu de femmes ingénieures. On devait être à peine 15 % dans la promo…

Sogelink, c’est un éditeur de logiciels qui accompagne la digitalisation du secteur de la construction et du BTP. Cela veut dire que l’on apporte des solutions digitales dans tous les cycles d’un chantier, du début où le projet est pensé jusqu’à l’étape ultime, à savoir le plan de recolement qui détaille l’ensemble des travaux réalisés.

Nous proposons des solutions pour la gestion des déclarations de travaux, les études topographiques, le suivi des diagnostics immobiliers, etc. Nous sommes donc un acteur qui communique avec toutes les parties prenantes de la construction : entreprises, collectivités locales, opérateurs de réseaux…

C’est ce positionnement embrassant tout le champ de la construction qui vous distingue de vos concurrents parfois présents sur un segment ou deux, mais pas sur la totalité du spectre ?
Tout à fait, nous avons un positionnement qui est assez unique sur le marché et pas qu’en France, mais aussi en Europe où Sogelink réalise 40 % de son chiffre d’affaires.

Et nous cherchons toujours à compléter ce spectre. Par exemple, nous avons ajouté dernièrement une solution qui gère l’ensemble des problématiques liées à l’amiante. C’est cela notre quotidien, rajouter des briques sur nos solutions déjà existantes.

Nous avons construit un process qui nous permet aujourd’hui d’intégrer assez vite les acquisitions réalisées. Donc nous allons continuer au même rythme, avec un principe assez simple : ces opérations de croissance externe doivent nous permettre d’aller chercher des briques technologiques qui nous manquent ou de toucher de nouveaux clients dans les pays dans lesquels nous voulons nous renforcer, à l’image de l’Allemagne ou du Royaume-Uni.

Vous êtes très présent dans les pays d’Europe du Nord, et beaucoup moins dans le sud de l’Europe, pourquoi cette stratégie ?

L’ambition est de se déployer dans toute l’Europe. Mais nous avons des moyens limités comme toutes les entreprises, donc il faut prioriser. C’est pourquoi on commence par les pays pour lesquels on a identifié un besoin immédiat pour nos solutions. Et le nord de l’Europe était un peu un passage obligé pour nous, car la digitalisation est très avancée dans ces pays.

En France, le secteur du bâtiment était très peu digitalisé jusqu’à une période récente. Où en est-on aujourd’hui ? C’est encore le début ou la digitalisation est quand même bien engagée ?

Je dirais que c’est bien engagé, même si le réservoir de digitalisation est encore énorme. Nous avons des clients qui ont encore besoin de gagner en productivité, ce qui passe pour une grosse part par la digitalisation. Je pense notamment à la facilitation du lien entre le travail sur les chantiers et dans les bureaux. Nous travaillons beaucoup sur des produits ou des fonctionnalités qui permettent de gagner du temps. Donc je pense que l’on a de beaux jours devant nous.

Nous sommes positionnés sur les infrastructures et les travaux du quotidien, et donc assez peu touchés par la crise dans le monde du bâtiment. Cela nous impacte moins, car, je le répète, il y a un tel réservoir de digitalisation et de productivité que je ne suis pas très inquiète sur l’activité des éditeurs de logiciels dans le monde de la construction qui est finalement assez déconnectée de la réalité du monde du bâtiment.

Je ne pensais pas que je deviendrais présidente aussi vite, c’est certain. Mais j’avais en tête une évolution dès que je suis entrée chez Sogelink. J’étais auparavant directrice France de Tenesol puis directrice générale de SunPower (deux acteurs pionniers du photovoltaïque, Ndlr). Je n’avais pas quitté un poste de direction générale pour prendre un poste de direction marketing.

L’idée de mon arrivée chez Sogelink, c’était vraiment de d’abord construire le socle commercial – qui est le cœur du réacteur – pour préparer la forte croissance de la société que les fondateurs avaient bien anticipée. Ensemble, on a parlé assez vite de la possibilité que je devienne directrice générale adjointe. Et donc mon périmètre s’est étendu au-delà du commerce, notamment au management des équipes et à la structuration de l’entreprise d’une manière plus générale.

À quel moment prendre la tête d’un groupe de 650 collaborateurs est devenu une possibilité dans votre esprit ?

En fait, tout cela s’est passé de manière très fluide, sans que les choses soient bien réfléchies. Quand j’étais directrice générale adjointe, j’ai évolué vers le poste de directrice générale lorsque Matthieu Ponson a quitté l’entreprise en 2017. Nous avons alors formé un binôme avec l’autre fondateur Ignace Vantorre jusqu’à ce qu’il quitte à son tour l’entreprise. Le passage de témoin s’est fait vraiment de manière très naturelle.

J’étais arrivée à un stade de ma carrière où j’avais envie de travailler dans une entreprise à taille humaine et de mettre à profit l’expertise que j’avais acquise chez Tenesol puis chez SunPower. C’était de belles expériences, j’ai adoré ces 20 années.

Mais à un moment donné, je voulais exploiter une partie un peu plus entrepreneuriale dans ma carrière. Du coup, j’ai recherché une entreprise de taille plus réduite dans un secteur en croissance, parce que je voulais participer à la structuration. Et il y a eu un rapprochement assez naturel entre ma vie passée et Sogelink qui avait tous les ingrédients pour me faire briller les yeux : une belle boîte, une histoire passionnante, des fondateurs inspirants, une croissance à venir…

Vous diriez aujourd’hui que vous êtes plus à l’aise dans une PME en croissance que dans un grand groupe ?

Non, car la vie dans un grand groupe a aussi beaucoup d’avantages. On apprend beaucoup et je suis très reconnaissante des 20 ans que j’ai passés dans les filiales de Total et d’EDF. Ce sont deux mondes différents et je dirais que je me suis alimentée de l’un pour aller vers l’autre. Et pour moi, ce sont deux belles parties de ma carrière.

Les fondateurs de Sogelink avaient fait entrer des investisseurs quelques mois avant mon arrivée. Et ces fonds ont beaucoup aidé dans le développement à l’international, car ils nous ont fait bénéficier de leurs connexions et de leurs réflexes. C’était très intéressant pour nous, l’équipe dirigeante, d’avoir leur aide pour transformer l’essai. Donc oui, il y a des sorties régulières de fonds au capital de Sogelink, mais ça challenge toujours d’avoir de nouveaux actionnaires, donc c’est bien. Je vois donc la présence de ces fonds comme un plus, d’autant qu’ils interviennent quand on a besoin d’eux…

Et pour les collaborateurs, ce n’est pas trop perturbant ces changements d’actionnaires ?

Je pense qu’ils s’en fichent que ce soit un fonds A ou un fonds B qui soit actionnaire de Sogelink. Car c’est moi qui travaille avec les fonds et les collaborateurs ne les voient pas. C’est l’équipe de management qui fait la stratégie, qui déroule son plan et c’est le plus important. Donc je ne pense pas que cela perturbe les collaborateurs.

Vous êtes très engagée sur la question des transitions, qu’elles soient écologiques et numériques. On imagine que c’est pour cela que le Medef Auvergne-Rhône-Alpes vous a choisie comme marraine de ses deux écoles, The Nuum Factory (formation dédiée à l’univers digital) et The Climate Factory (école de la transition environnementale) : quel va être votre rôle ? Il s’agit de faire passer vos convictions à des étudiants ?

Oui, l’idée est de montrer comment va se traduire ce qu’ils apprennent et comment cela va avoir de l’impact dans leur future entreprise. Parce que je trouve que dans l’éducation, il n’y a finalement rien de plus efficace que de traduire en réalité les choses qu’on apprend. Je suis persuadée qu’il y a un lien très intime entre le numérique et la transition écologique, c’est cela que je veux mettre en évidence. Et j’espère contribuer le plus possible à rendre les choses concrètes en participant à des ateliers ou en partageant les sujets sur lesquels on travaille chez Sogelink.

On parle souvent de greenwashing. Est-ce que vous considérez que ça reste encore souvent le cas ? Est-ce qu’au-delà de l’affichage et de la communication, les engagements des entreprises sont tenus concrètement ?

Je suis plutôt positive sur ce sujet. Et je pense que l’engagement des entreprises n’est plus du greenwashing, mais une vraie réalité. Notamment parce que les collaborateurs sont très demandeurs et choisissent aussi leurs entreprises pour leurs engagements environnementaux. Cela oblige donc les entreprises à se préoccuper de ces sujets-là.

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