Pour mesurer l’aura de quelqu’un, il y a des petits signes qui ne trompent pas. Comme celui, par exemple, que Jean-Michel Aulas, Alexandre Bompard ou encore Henri Lachmann (l’ancien boss de Schneider Electric) rappellent tous les trois dans la minute quand on les sollicite pour parler de Philippe Oddou.
Pour ensuite se lancer dans un concert d’éloges : « Je suis fasciné par sa force mentale et son aptitude à toujours trouver des solutions pour mener à bien tous ses projets », lance ainsi JMA, qui a été l’une des premières personnalités d’envergure à soutenir le fondateur de Sport dans la Ville.
Autre vieux compagnon de route, le patron de Carrefour, Alexandre Bompard, abonde : « Philippe est quelqu’un pour qui j’ai une immense admiration. Il a une véritable puissance d’engagement et de conviction. » « C’est un mec exemplaire qui mérite vraiment qu’on l’aide au maximum », résume, de son côté, l’ancien capitaine d’industrie Henri Lachmann.
Attirer les jeunes des quartiers prioritaires
Et l’on aurait pu allonger encore la liste avec le fondateur de Free, Xavier Niel, le directeur général d’Accor, Sébastien Bazin, ou bien le président du conseil d’administration de Sanofi, Frédéric Oudéa. Tous fidèles mécènes embarqués par Philippe Oddou dans l’aventure Sport dans la Ville qui revendique le statut de plus grosse association d’insertion par le sport en France avec 360 salariés (pour moitié-moitié des permanents et des éducateurs sportifs) et un budget rondelet de plus de 21 millions d’euros en 2023.
Depuis l’ouverture du premier centre à Vaulx-en-Velin, en 1999, la philosophie n’a pas varié d’un pouce : d’abord attirer les jeunes des quartiers prioritaires sur les terrains construits par Sport dans la Ville au pied des tours (football, basket, tennis…).
Puis aller des terrains de sport vers l’insertion professionnelle grâce à une batterie de programmes (soutien scolaire à domicile pendant les vacances, aide à l’orientation professionnelle, forum de l’emploi, accompagnement à la création d’entreprise…) qui ont bénéficié, au total, à plus de 12 000 jeunes l’année dernière.
« Quand je travaillais à la création de Sport dans la Ville, je n’aurais jamais pu imaginer que l’association existe encore 25 ans plus tard. Mais si je devais réécrire le projet aujourd’hui, je n’en changerais pas une ligne. Je reste convaincu que le travail sur les terrains de sport permet à des jeunes de trouver le chemin de l’emploi », affirme Philippe Oddou, qui s’est lancé dans un ambitieux plan de développement prévoyant l’ouverture d’une dizaine de nouveaux centres sportifs par an estampillés Sport dans la Ville au cours des prochaines années.
L’idée est ainsi de passer d’un réseau actuel de 68 centres principalement sur un axe Lille-Marseille (dont 17 dans la région lyonnaise) à 160 centres partout en France à l’horizon 2032 pour accompagner 30 000 jeunes par an.
Le déclic Yannick Noah
« Il s’agit d’un véritable changement d’échelle », témoigne Philippe Oddou, qui dit surfer ces derniers temps sur la vague des JO de Paris : « Il y a une dynamique très intéressante avec les Jeux, on sent que le contexte public est favorable. La preuve, certaines communes que nous étions déjà allés voir il y a quelques années pour implanter des terrains Sport dans la Ville nous disent “oui” aujourd’hui alors qu’elles n’étaient pas prêtes précédemment. Chose nouvelle aussi, nous recevons des appels entrants de mairies pour que l’on vienne installer des centres chez elles, ce qui n’arrivait jamais avant. »
Alors que plus de 30 000 jeunes des quartiers prioritaires (dont les futurs joueurs de l’OL Nabil Fekir et Rachid Ghezzal) ont suivi les programmes de Sport dans la Ville depuis sa création, l’association peut apporter la « démonstration illustrée », selon Philippe Oddou, de l’impact de ses actions. « Grâce à notre ancienneté, c’est plus facile pour nous d’aller vers des collectivités ou des partenaires privés avec des résultats positifs à présenter. Comme, par exemple, le fait que plus de 8 jeunes sur 10 qui suivent notre programme Réussite dans la ville constatent ensuite une amélioration de leurs résultats scolaires ou encore que 91 % des entreprises créées dans le cadre d’Entrepreneurs dans la ville sont encore en activité trois ans après leur création », énumère Philippe Oddou.
« Philippe est un mec exemplaire qui mérite vraiment qu’on l’aide au maximum »
Il a imaginé le concept de l’association dans sa chambre d’étudiant avec son copain de promo Nicolas Eschermann, le directeur associé du fonds d’investissement lyonnais Siparex et toujours président de Sport dans la Ville, qui participe notamment aux rendez-vous importants avec les grands partenaires.
Les deux compères, qui s’envoient des messages ou s’appellent « quasiment tous les jours depuis 25 ans », ont tous les deux grandi à Paris et font connaissance alors qu’ils fréquentent les bancs d’EmLyon à Écully.
« À l’époque, nous n’avions pas de tissu amical ni familial à Lyon, nous avions donc pas mal de temps libre à occuper. On a donc cherché à monter quelque chose qui contribue à la communauté en s’appuyant sur des notions d’éducation, d’insertion et d’emploi parce que ces thématiques nous tenaient à cœur », rejoue Nicolas Eschermann.
Le déclic viendra un peu par hasard devant leur télé, un dimanche soir où Anne Sinclair invite Yannick Noah sur le plateau de 7 sur 7 pour parler de son association Fête le Mur, dont l’objectif est de se servir du tennis pour sortir de l’exclusion les jeunes des quartiers prioritaires.
« Ce qu’il disait nous a parlé, alors on est entrés en contact avec Yannick pour lui proposer d’ouvrir l’antenne lyonnaise de Fête le Mur. C’est comme cela qu’on a commencé avec trois centres de tennis rénovés. Cela a été notre apprentissage du terrain avant de créer Sport dans la Ville, toujours en parallèle de nos études », poursuit Nicolas Eschermann.
« Pas un baratineur »
Mais il ne s’agit pas, pour Philippe Oddou, d’un simple projet d’étudiant en école de commerce plein de bonnes intentions : « C’est, en fait, une véritable vocation. Surtout que j’avais déjà compris à cette époque que je n’avais pas envie de faire carrière en entreprise », explique-t-il, encore plus convaincu après deux courtes expériences pas franchement concluantes, à la fin de ses études, chez L’Oréal puis chez Paribas.
Il poursuit : « J’étais malheureux… Ce n’est pas ce que je voulais faire de ma vie. Je n’ai manqué de rien quand j’étais jeune, et j’estime que la solidarité est fondamentale pour l’équilibre de la société. Ma motivation profonde était d’essayer de corriger l’inégalité des chances. Donc je voulais mettre les outils de l’entreprise au service d’une cause. »
« J’ai rapidement compris que je n’avais pas envie de faire carrière en entreprise »
Sa voie professionnelle aurait pu être toute tracée, d’autant que son père, l’entrepreneur Jean Oddou, lui propose d’intégrer l’institut de sondage CSA dont il est l’un des fondateurs. Mais c’est clair dans l’esprit de Philippe Oddou : il va se lancer à fond dans le déploiement de Sport dans la Ville.
Aidé dès le départ par quelques bonnes fées, dont Henri Lachmann qui était son parrain de promo à EmLyon en plus de diriger Schneider Electric. « On discutait tous les deux à l’époque où il travaillait pour Paribas. Je lui ai dit “tu démissionnes de ton job, et je t’aide à démarrer le truc”. J’ai cru en lui dès le départ parce que ce n’est pas un baratineur. Il porte une vraie ambition pour les jeunes des quartiers difficiles. Et, en plus, il sait parler aux gens, c’est un bon communicant. C’est pour cela qu’il a toujours réussi à trouver des recettes pour développer Sport dans la Ville », décrypte-t-il.
Compter uniquement sur ses recettes
Car c’est bien là le nerf de la guerre. Sport dans la Ville ne fait jamais appel à des emprunts bancaires pour financer la création de ses nouveaux centres sportifs (200 000 euros pour la construction en moyenne puis 250 000 euros de fonctionnement par an) et compte uniquement sur ses recettes.
Des soutiens publics (5 millions d’euros en 2023) mais surtout 16 millions d’euros récoltés l’année dernière sous forme de dons par plus de 200 mécènes privés.
Parmi ces partenaires, on retrouve aussi bien des entreprises lyonnaises (BioMérieux, GL Events, Apicil, Descours & Cabaud…), des fleurons français (Groupe Dassault, Carrefour, Natixis…) que des multinationales (Bank of America, Coca-Cola, Visa ou Fedex Express Europe) aux côtés de généreux donateurs à l’image de Stéphane Bancel, le patron français de la biotech américaine Moderna. Ce dernier, qui a récemment signé, à titre personnel, un chèque de 10 millions d’euros sur 5 ans pour le développement des actions de l’association.
En interne, dans les locaux de Sport dans la Ville installés à deux pas de la Gare de Vaise, une équipe de dix collaborateurs travaillent à plein temps pour nouer puis faire vivre les partenariats publics et privés. « Convaincre des mécènes est une bataille de tous les instants. C’est notamment l’un de mes rôles au quotidien. Sport dans la Ville se développe, mais il y a des “concurrents” qui portent d’autres causes qui ont également besoin de fonds », rapporte Philippe Oddou, qui table sur un budget annuel de l’ordre de 50 millions d’euros à l’issue de son plan de développement nommé Ambition 2032.
« Philippe Oddou aurait réussi dans n’importe quelle entreprise »
Mais, dans cet exercice d’embarquer de prestigieux donateurs – souvent très sollicités –, Philippe Oddou a vite su tirer son épingle du jeu selon les témoins de l’époque. Ainsi, Jean-Michel Aulas : « J’ai rapidement compris que Philippe était quelqu’un de bien, une personne en qui on peut avoir totalement confiance. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’apporter ma caution financière et morale aux débuts de Sport dans la Ville. Il s’agissait d’un témoignage de crédibilité », souligne-t-il, avant d’ajouter que « Philippe aurait réussi dans n’importe quelle entreprise ».
Alexandre Bompard partage exactement le même avis : « Philippe est un véritable entrepreneur. Quand je l’appelle, il n’y a pas une fois où il n’a pas une nouvelle idée ou un nouveau projet en tête. Et je ne l’ai jamais pris en défaut de ne pas mener à terme un projet. Je suis persuadé qu’il aurait aussi été un entrepreneur à succès dans n’importe quel secteur d’activité. Mais il a l’engagement associatif chevillé au corps. »
« Philippe est un véritable entrepreneur qui a l’engagement associatif chevillé au corps »
Une façon de faire remarquer – et beaucoup de ses proches prennent également soin de le souligner – que Philippe Oddou aurait pu se tourner vers une carrière beaucoup plus rémunératrice qu’avec Sport dans la Ville. Ce qui fait dire à Hervé Montjotin, l’ancien directeur général de Norbert Dentressangle désormais à la tête de l’ETI Socotec, que Philippe Oddou « met son ambition personnelle au service d’une ambition plus large ».
« Vision, exigence et opiniâtreté »
« Ce qu’il défend pour l’intégration des jeunes qui ne sont pas nés au bon endroit m’a touché. Il a une vision, de l’exigence et de l’opiniâtreté. La réussite de Sport dans la Ville n’a pas grand-chose à voir avec de la chance. En plus, Philippe reste fidèle à ce qu’il fait et à qui il est, sans jamais prendre la grosse tête », ajoute-t-il.
Nadir Tayach, le fondateur de Naali dont l’entreprise a été incubée dans la pépinière de Sport dans la Ville, parle de Philippe Oddou comme « d’un homme porté par ses valeurs, avec la volonté de ne laisser personne sur le côté ».
Et, ajoute-t-il, « tenir sur la durée comme il le fait, ce n’est pas donné à tout le monde ». Philippe Oddou répond en tout cas du tac au tac, quand on lui demande ce qui le pousse à se lever le matin : « Les rencontres humaines avec des gens qui aiment le sport et sensibles à la formation des jeunes. »
Et il en a croisé pas mal avec ce profil sur sa route ces 25 dernières années.
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