LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Jean-Loup Rogé (implid) : « Au départ j’imaginais passer trois ans dans cette entreprise »

PDG d’implid depuis 2007, Jean-Loup Rogé a bâti un acteur majeur du chiffre, du droit et du conseil aux entreprises qui dépasse les 1 000 collaborateurs et les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. Le groupe lyonnais, qui vient de fêter ses 50 ans, a la particularité de regrouper sous une même enseigne experts-comptables, avocats, juristes, commissaires aux comptes, consultants, recruteurs, notaires et huissiers de justice. Propos recueillis par Jean-Pierre Vacher et Vincent Lonchampt

Vous avez été l’un des premiers à miser, dès 2016, sur l’interprofessionnalité entre les métiers du chiffre et du droit. L’arrivée d’avocats, notamment, chez l’expert-comptable implid a fait grincer beaucoup de dents au début. On peut dire que c’est aujourd’hui entré dans les mœurs ?

Jean-Loup Rogé : Je ne vais pas dire que notre manière d’exercer fait plaisir à tout le monde, mais je trouve que les choses se passent bien aujourd’hui. Notamment parce que nous avons un dialogue avec les ordres de l’ensemble des professions présentes chez implid : ceux des experts-comptables, des avocats, des notaires et des huissiers. Mais c’est compliqué de dire que c’est complètement entré dans les mœurs, car on parle de professions libérales qui ont, par principe, une volonté d’indépendance. Et ceux qui composent ces professions ont l’habitude d’exercer seuls, il faut donc le temps de s’apprivoiser…

Cela veut dire que c’est compliqué de faire cohabiter au quotidien toutes ces professions au sein de la même entreprise ?

Cela ne vient pas du fait que ce soit des experts-comptables, des notaires, des huissiers ou des avocats. Tout dépend de la personne. Quand on réalise une acquisition, son dirigeant a envie de nous rejoindre, car il voit les bénéfices en matière de transmission ou de valorisation de son cabinet. Pour les équipes de ces cabinets qui avaient l’habitude de travailler de manière individuelle, il faut s’habituer à une méthode plus collective.

La phase d’acceptation peut être plus ou moins longue, mais je peux témoigner que cela se passe bien. On a fait tellement d’acquisitions ces dernières années que l’on sait comment s’y prendre. Cela commence par le fait d’expliquer aux uns et aux autres l’intérêt de travailler en collectif. Et puis il y a ensuite un vrai déclic au moment où ils mesurent l’apport de clients que leur permet une structure comme implid.

Pour les clients, avec du recul, c’était une bonne idée de regrouper tous ces métiers du chiffre, du droit et du conseil au sens large ?

Pour les clients, il n’y a pas photo. Car c’est exactement ce qu’ils attendent lors d’un accompagnement. Si on prend l’exemple du pacte Dutreil dans le cadre de la transmission d’une entreprise familiale, un expert-comptable réalise l’évaluation financière, un avocat rédige le pacte, un notaire enregistre la donation…

Et cela va plus vite si toutes ces compétences sont au même endroit et travaillent dans la même philosophie. Cette solution intégrée est sollicitée par les clients. Mais ce n’est pas la solution exclusive d’accompagnement du client, à chacun sa façon de faire.

Le modèle où des cabinets indépendants apportent chacun leur contribution est intéressant aussi… Je pense donc qu’il faut que chacun respecte l’autre. Moi, je n’ai aucun grief contre aucun de mes confrères, et j’espère qu’ils n’en ont pas, non plus, à notre encontre (sourire).

Implid regroupe pas loin d’une dizaine de métiers. Il y a encore des professions qui vous manquent ? Vous parliez à un moment des administrateurs judiciaires, c’est encore d’actualité ?

Non, l’intégration d’administrateurs judiciaires n’est plus d’actualité puisqu’on a décidé d’évoluer différemment avec la création d’un pôle restructuring qui est en train de se mettre en place. Donc on ne peut pas être d’un côté et de l’autre de la barrière. Et je dirais qu’il n’y a pas de métiers qui nous manquent, mais toujours des spécialités à agréger pour élargir et renforcer notre offre. Par exemple, nous n’avons pas d’avocats fiscalistes spécialisés dans le contentieux chez implid, donc c’est un rapprochement que l’on pourrait réaliser demain…

Vous avez dévoilé en 2021 une feuille de route qui prévoyait de faire passer implid de 100 à 250 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2026. Vous êtes dans les clous pour réaliser cet objectif ?

On a pris un peu de retard, car nous avons fait le choix de structurer l’entreprise en interne avant d’entrer dans une phase d’accélération de la croissance. Nous avons, par exemple, opéré des changements d’outils informatiques dans le cadre de la généralisation de la facturation électronique (qui était initialement prévu le 1er juillet 2024 par le gouvernement avant d’être reportée, NDLR).

Et puis nous avons aussi souhaité nous donner un peu plus d’épaisseur en adoptant le statut d’entreprise à mission (voir ci-contre). Donc c’est tout ce travail très structurant que nous sommes en train de terminer avant de repartir dans une phase de croissance externe plus active. On a pas mal de dossiers sur la table et je devrais pouvoir annoncer des choses à la fin du premier semestre de l’année prochaine.

Au regard de la stratégie, on compare souvent implid avec Fiducial. Vous déclariez justement un jour que la seule différence, c’est que vous ne vendrez jamais de gommes et de crayons. On peut dire que l’approche reste globalement la même ?

Oui, alors cette phrase m’a valu pas mal d’ennuis (le patron de Fiducial Christian Latouche était, à l’époque, entré dans une colère noire, NDLR), car elle a été mal interprétée. Je ne voulais pas être condescendant, mais je voulais simplement dire qu’implid est exclusivement tourné vers des missions de conseil et que l’idée ce n’est pas de vendre des produits comme les fournitures de bureau.

On parle beaucoup de l’intelligence artificielle en ce moment. Est-ce que vous pensez que cela va avoir un impact fort sur votre activité ?

C’est vrai que l’intelligence artificielle change énormément les choses. Il n’y a qu’à voir ce qui est fait avec la facture électronique. Cette automatisation des tâches nous permet d’être meilleurs, car davantage tournés vers l’accompagnement des clients et moins en support technique. Ce n’est que le début, on verra dans le temps l’impact de l’IA. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y aura toujours besoin d’humains pour le conseil.

Si l’on revient sur votre parcours, vous avez commencé votre carrière d’expert-comptable en intégrant en 1993 le petit groupe Segeco à Brives-Charensac dans la Haute-Loire. Vous imaginiez alors que vous seriez un jour à la tête de ce groupe devenu implid ?

Non, pas du tout. Pour tout dire, au départ j’imaginais passer trois ans dans cette entreprise pour gagner en expérience. Et parfois, la vie est bien faite. C’est la rencontre avec les deux fondateurs de Segeco qui m’a donné l’envie de construire quelque chose avec eux.

À l’époque, Segeco n’est pas présent à Lyon et c’est vous qui allez prendre en charge son implantation et son développement. C’était audacieux parce que tous les grands cabinets internationaux et quelques gros lyonnais occupaient déjà bien la place…

Je crois qu’au départ, c’était surtout de l’opportunisme : je suis lyonnais et je voulais revenir vivre à Lyon. Les gens du Puy-en-Velay sont très sympas, mais le climat était trop rude pour moi (rires). J’ai donc proposé de construire ce bureau lyonnais en mettant en place, dès le départ, le multiprofessionnalisme qui est encore aujourd’hui l’ADN d’implid.

Puis votre ascension est ultrarapide : vous devenez d’abord directeur général puis président de Segeco en 2007. C’est le fait d’avoir pris en main le développement lyonnais qui vous a propulsé ?

Peut-être, mais je crois que c’est surtout le fait d’être arrivé au bon moment. C’est un peu un concours de circonstances avec le départ à la retraite des fondateurs. Il fallait quelqu’un pour prendre la succession et j’ai été celui qui a été un peu à l’origine d’animer un collectif pour reprendre l’entreprise.

On parle beaucoup de moi quand on parle d’implid, et cela me dérange un peu, car tout cela a été construit grâce à un esprit collectif et un engagement fort des équipes. Et ce n’était pas évident à l’époque de la reprise, car l’entreprise n’était pas dans ses meilleures dispositions. Elle n’avait plus d’argent, pas de rentabilité… Il a d’abord fallu la remettre sur les rails. Et cela demandait un peu de jeunesse, un peu d’insouciance et un peu d’audace.

Vous n’avez pas été épargné par les critiques quand vous avez commencé à intégrer de nouvelles professions chez implid. Ce rôle de poil à gratter, c’est quelque chose qui vous amusait ?

Non, pas du tout. Au contraire, ma ligne de conduite à titre personnel, c’est la sérénité. La sérénité et la transmission.

En parlant de transmission, vous avez évoqué l’idée que la transmission d’implid puisse s’organiser dans le cadre d’une fondation ou d’un fonds de dotation. Est-ce que cette idée avance ?

Alors, ça n’avance pas très bien parce que je n’ai, à l’heure actuelle, pas le droit de transmettre implid de cette manière. Pour résumer, cela vient notamment du fait que, dans nos professions réglementées par des ordres, le capital de la structure doit être détenu par une personne diplômée. Mais j’espère que la loi l’autorisera dans le futur, donc je suis en train de créer un fonds de dotation qui sera enregistré dans les prochains jours. C’est vraiment un mode de transmission qui conviendrait parfaitement avec les valeurs d’humain et de collectif qui nous sont très chères.

Un mot pour finir sur votre passion pour le vin qui vous a conduit à racheter, en 2020, le château de Poncié dans le Beaujolais. C’est un autre projet entrepreneurial qui vous tenait à cœur avec une production directement liée à la terre. Ça vous sort aussi de votre activité de bureau ?

Oui, ça me sort de mon activité de bureau. L’intérêt dans le château de Poncié, c’est de prendre un peu de recul, un peu de hauteur. Car je trouve que l’on a tendance, aujourd’hui, à surréagir aux événements et à être toujours un peu dans l’immédiateté. La vigne, c’est le temps long, les pieds que l’on plante aujourd’hui produiront du vin dans 20 ans. Et puis ce qui est aussi important pour moi dans ce projet, c’est la relation à l’autre. Le vin, c’est le partage, et c’est aussi ce qui me donne envie de m’impliquer.

Vous mettez les mains dans la terre où vous êtes avant tout un investisseur ?

Alors non, je ne mets pas les mains dans la terre, mais j’y vais toutes les semaines. Et je participe à toutes les décisions prises pour la conversion du domaine en biodynamie. Nous avons des moutons, des poules et tous les animaux qui vont bien pour essayer de traiter au minimum la vigne et de réduire au maximum le travail mécanisé… Je m’investis beaucoup dans ce château.

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