Comment devient-on maire d’une grande ville dans laquelle on ne réside que depuis dix ans, sans jamais avoir été élu auparavant ?
Grégory Doucet : On s’y prépare. La campagne a été particulière puisqu’il s’est passé plusieurs mois entre le premier et le second tour. Cela m’a permis de préparer l’exécutif. Le soir du deuxième tour, l’essentiel de mon équipe était déjà construit, les objectifs fixés et les feuilles de route établies. Nous avions aussi mené tout un travail collectif, dès 2017, pour penser à la ville de demain et construire notre programme. Nous avions identifié les personnes qui souhaitaient s’engager avec nous ; des personnes qui ne venaient pas du sérail politique, mais plutôt de la vie associative avec des profils extrêmement variés. Donc au soir du deuxième tour, nous étions nombreux à être élus sans avoir la moindre expérience d’élu politique.
Cette inexpérience vous a valu de nombreuses critiques durant les premiers mois de votre mandat. Que répondez-vous à ceux qui vous ont reproché de ne pas être le maire de tous les Lyonnais, mais d’agir en priorité pour vos militants ?
Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, nous étions en pleine crise sanitaire. Nous sortions d’un confinement et allions rentrer dans un nouveau confinement. J’ai été, dès le début, le maire de toutes les Lyonnaises et de tous les Lyonnais lorsqu’il s’est agi de répondre à l’urgence de cette crise sanitaire. La Ville de Lyon a été la première à mettre en place un grand centre de dépistage, puis l’une des premières à ouvrir un grand centre de vaccination, au Palais des Sports de Gerland. Nous avons tout de suite été, avec l’ensemble de mon exécutif, au service de tous les Lyonnais.
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Vous avez présenté votre bilan cet automne lors des rencontres de mi-mandat et êtes très présent dans les médias ces dernières semaines. Quel est le sens de ces prises de paroles ?
Être élu, c’est agir au nom de l’ensemble des citoyennes et citoyens d’une ville. Je prends des décisions en leur nom, donc il est normal de leur rendre des comptes. Les rencontres de mi-mandat ont d’abord été l’occasion d’aller à la rencontre des Lyonnais, en proximité, pour leur présenter l’ensemble de nos réalisations. Nous avons pu leur dire qu’un tiers des 573 actions du plan de mandat ont été réalisées, et que 60% d’entre elles sont programmées ou en cours de réalisation.
Est-ce aussi une manière de commencer à préparer les municipales de 2026, où vous serez candidat à votre propre succession ?
Je n’ai pas l’œil rivé sur la prochaine élection. L’objectif de ces rencontres, c’était d’abord d’être à l’écoute des Lyonnaises et des Lyonnais, d’entendre leurs préoccupations. Ils m’ont parlé de propreté, de sécurité, de logement, d’activité économique, du rôle de la jeunesse… Ils m’ont aussi beaucoup parlé du changement climatique et de leur inquiétude pour leurs enfants ou petits-enfants. J’ai pu leur présenter les actions que nous engageons depuis le début du mandat pour répondre à ces différentes problématiques. Plus que sur la prochaine élection, j’ai l’œil rivé sur les grands enjeux à long-terme auxquels la ville doit se préparer.
Et comment comptez-vous adapter la ville à ces grands enjeux ?
Ma boussole, mon premier indicateur de réussite, c’est le bien-être des habitantes et des habitants de cette ville. Si aujourd’hui nous voulons faire en sorte que les gens puissent bien vivre à Lyon, il faut adapter la ville au changement climatique. Il faut donc la transformer, agir sur les mobilités, le logement, l’habitat, l’espace public. Il faut aussi pouvoir la rafraîchir, y planter des arbres et c’est ce que nous faisons depuis 2020 avec un grand plan de végétalisation. Je veux faire en sorte que les Lyonnais d’aujourd’hui aient encore envie de vivre à Lyon demain, avec le même niveau de bien-être. Donc on investit massivement, dans les écoles, dans les crèches, dans les équipements sportifs… Vous avez des gens qui viennent aujourd’hui vivre à Lyon parce qu’ils savent qu’ici, on fait un effort considérable sur la qualité de vie et le bien-être en ville.
Les entrées de Lyon en voiture sont de plus en plus encombrées. La ville est la troisième la plus embouteillée de France selon un récent classement. Comment lutter contre ce problème ?
Vous avez vu des images du Lyon des années 70, 80 ou 90 ? Les embouteillages étaient déjà présents dans la ville. Cependant depuis 2019, la circulation automobile a baissé de plus de 10%. Les gens prennent moins leur voiture et utilisent plus les transports en commun. On constate aussi une augmentation de 60% de la pratique du vélo depuis 2019. Les mobilités sont en train de se transformer. La priorité, c’est de faire en sorte que Lyon soit une ville marchable, où le piéton s’y sent à l’aise. Un autre classement nous place numéro 1 des villes françaises où l’on peut tout faire à pied. Je m’en réjouis, mais ce n’est qu’un début. On va continuer.
« On ne va pas faire disparaître le trafic en Presqu’île, on va le limiter. Ma priorité, c’est que Lyon soit une ville marchable, où le piéton s’y sent à l’aise »
Comme avec le projet de piétonniser la rue de la République ou le réaménagement de la rive droite des quais du Rhône. Votre objectif, c’est de faire sortir les voitures de la Presqu’île ?
La zone à trafic limité sur la Presqu’île et le réaménagement de la rive droite du Rhône visent d’abord à faciliter la vie des riverains et des piétons. On ne va pas faire disparaître le trafic en Presqu’île, on va le limiter. Ma première priorité, c’est celui qui marche, ensuite celui qui se déplace à vélo et ensuite celui qui utilise les transports en commun. Donc on va faire en sorte qu’il n’y ait plus ce trafic de transit qui pollue la Presqu’île et la rend moins agréable à vivre. Nous allons réaménager des sites pour les rendre totalement piétons et permettre ainsi aux habitantes et aux habitants de gagner en qualité de vie. L’objectif de cette zone à trafic limité, c’est d’abord de faire en sorte qu’en Presqu’île, on s’y sente bien.
Des associations d’habitants et de commerçants ont exprimé leur opposition au projet. Que leur répondez-vous ?
La Presqu’île est un cœur battant économique de la ville, donc les voiries resteront accessibles aux livreurs et professionnels, ainsi qu’aux riverains, grâce à un système de bornage. On ne garde que le trafic nécessaire. Je vous parlais de ma priorité pour le piéton, elle s’incarne dans ce projet. Ce sera aussi l’occasion de végétaliser les endroits que nous allons rendre piétons. Nous allons amener de la fraîcheur, avec en parallèle ces 3 hectares d’espaces verts et de nature sur la rive droite du Rhône, et faire ainsi de la Presqu’île un lieu encore plus agréable. Et lorsqu’un lieu est plus agréable, il est plus attractif. Je peux vous assurer que pour les commerçants, ce sera bien mieux.
La consultation que vous aviez lancé sur la place des terrasses dans la ville a aussi suscité beaucoup d’inquiétude chez les professionnels. Va-t-on vers une réduction du nombre des terrasses et de leurs horaires d’ouverture ?
Nous avons construit un nouveau règlement avec les professionnels. Ce sont eux qui ont le savoir-faire et l’expérience, donc nous les avons écoutés en priorité. Il fallait trouver le bon équilibre entre le dynamisme économique et le respect des riverains. Nous réduisons l’amplitude horaire, avec une heure d’ouverture de moins, de 1h du matin à 0h, les dimanches, lundis et mardis, mais les horaires restent inchangés les autres jours. Et nous étendons de trois mois supplémentaires les terrasses sur stationnement. Il ne s’agit donc pas de réduire le nombre de terrasses, au contraire. J’ai envie d’avoir une ville vivante.
L’une des priorités de votre mandat, c’est le plan Lyon 2030 pour rendre la ville neutre en carbone, avec l’appui de l’Europe. Où en êtes-vous dans la mise en place de ce plan ?
Lyon 2030, c’est la déclinaison lyonnaise du programme ‘100 villes climatiquement neutres et intelligentes pour 2030’ de la Commission européenne. L’objectif, c’est de décarboner notre économie et nos modes de vie. Nous avons donc créé l’agora Lyon 2030 pour associer des partenaires à cette ambition. Elle regroupe aujourd’hui 70 acteurs, parmi des entreprises de tous secteurs, des associations diverses et le monde de l’enseignement supérieur lyonnais (INSA, ENS, Centrale, emlyon, Sciences Po, Lyon I-II-III…). Ces acteurs sont tous engagés dans cette démarche de neutralité carbone à nos côtés. 70 acteurs c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. En 2024, nous voulons accueillir de nouvelles parties prenantes et entreprises dans cette agora.
« Je ne suis pas allergique au monde de l’entreprise. Je rencontre fréquemment des entrepreneurs et j’ai des relations de très grande proximité avec la CCI, le Medef ou la CPME »
Certains chefs d’entreprise regrettent de ne pas avoir de lien avec vous ou votre exécutif. Quelles relations entretenez-vous avec les milieux économiques ?
Je ne viendrais pas voir Lyon Décideurs si j’étais allergique au monde de l’entreprise. Je rencontre fréquemment des entrepreneurs lyonnais et j’ai des relations de très grande proximité avec la CCI, le Medef ou la CPME. On se voit, on évoque différents sujets comme par exemple la zone à trafic limité de la Presqu’île. Et puis je rencontre régulièrement des chefs d’entreprise dans des cercles professionnels. Alors peut-être que certains n’ont pas le bon numéro (rires) ou que je ne fréquente pas les mêmes lieux qu’eux.
Encore dans notre précédent numéro, le numéro 1 français du tourisme, Laurent Abitbol, regrettait de ne jamais avoir pu vous rencontrer…
Si vous faites référence à des chefs d’entreprise parisiens qui habitent Paris, viennent à Lyon tous les 6 mois et qui regrettent de ne pas rencontrer le maire, j’ai le regret de vous dire qu’ils ne sont pas bien partis pour avoir un rendez-vous avec moi. (Lyonnais, Laurent Abitbol partage sa semaine entre Paris et Lyon, NDLR)
Comment définiriez-vous vos relations avec le président de la Métropole de Lyon, Bruno Bernard ? Êtes-vous toujours sur la même longueur d’onde ?
Nous avons des styles différents, des parcours qui ne sont pas les mêmes. Nous ne sommes pas des copies conformes et c’est heureux. Nos approches sont complémentaires. Nous avons chacun des sujets de prédilection et nous travaillons de façon très harmonieuse. Nous nous voyons chaque semaine pour passer en revue les sujets, partager des réflexions, établir des priorités ou mettre de l’huile dans les rouages. Si nous arrivons à lancer autant de chantiers, comme ce sera le cas en 2024 avec la zone à trafic limité de la Presqu’île, le réaménagement de la rive droite du Rhône, la requalification du boulevard de la Croix-Rousse, l’avenue des Frères Lumière, la rue Garibaldi, la rue du Mail, c’est justement parce qu’on travaille très bien avec Bruno Bernard. Notre objectif commun, c’est l’intérêt général, le bien-être des habitants de la Métropole et de la Ville de Lyon.
Le poids politique et économique de la Ville de Lyon est bien inférieur à celui de la Métropole. L’affrontement de ces deux légitimités est-il parfois frustrant ?
Il ne faut pas parler d’affrontement, mais de complémentarité. Je n’envisage pas la vie politique comme un champ de bataille mais comme un champ de coopération. Je fais en sorte de coopérer avec la Métropole. Avec la Région aussi, même si je ne vous cache pas que c’est beaucoup plus compliqué. La coopération, ce n’est pas inné. Il faut la construire, tendre la main et faire aussi le constat que parfois, la main tendue n’est pas prise.
Vous prenez du plaisir à être maire de Lyon ?
Absolument, c’est une tâche passionnante. Il y a bien sûr des sujets complexes à traiter, mais des sujets complexes, j’en ai beaucoup traité dans ma carrière professionnelle dans l’humanitaire. Être au service des Lyonnaises et des Lyonnais, c’est extrêmement porteur pour moi. Et j’y prends du plaisir quotidiennement.
Quelle trace souhaitez-vous laisser en tant que maire de Lyon ?
Je ne raisonne pas de cette manière. Mon indicateur de succès, je vous le redis, c’est le bien-être des Lyonnaises et des Lyonnais. Beaucoup de gens m’interrogeaient après l’élection pour me demander quel serait mon grand projet pour cette mandature. Et bien quand je vois le nombre de rues aux enfants qu’on a fait dans cette ville, le nombre d’écoles rénovées ou ouvertes, quand je vois qu’on arrive à faire sortir de terre des équipements sportifs ou culturels, c’est ça qui compte pour moi. Ce qui compte, c’est que demain, les Lyonnais aient des réponses à leurs attentes en matière de bien-être.
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