Un come-back en forme de coup de théâtre. L’annonce surprise a été faite le 29 décembre par décret ministériel : Raymond Le Moign reprend la tête des Hospices Civils de Lyon. Nommé une première fois directeur général des HCL en juin 2020, il avait quitté Lyon pour Paris le 21 juillet dernier, alors nommé directeur de cabinet du nouveau ministre Aurélien Rousseau.
Un job dans les coulisses du pouvoir que Raymond Le Moign connaît bien, lui qui avait déjà été directeur adjoint du cabinet de Marisol Touraine (2014-2016) avant d’être directeur de cabinet des ministres Agnès Buzin puis Olivier Véran (2018-2020). Alors il accepte immédiatement lorsqu’il est sollicité, l’été dernier, pour remettre le tablier auprès d’Aurélien Rousseau.
C’est ensuite que tout ne se passe pas comme prévu : la démission, fin décembre, du ministre de la Santé en désaccord avec le projet de loi « immigration ». Laissant son directeur de cabinet sans affectation le temps de la trêve des confiseurs. « J’ai appris à accepter que ce n’est pas moi qui décide de la fin du CDD dans un cabinet ministériel. Ce n’est pas ce qui avait été projeté au départ, mais j’ai eu de la chance d’accompagner pendant six mois ce ministre exceptionnel avec qui j’ai des relations amicales. J’ai été en phase avec lui, de bout en bout. »
Façon de dire qu’il était en accord avec la décision de mettre les voiles.
Ensuite, tout se joue très vite : après cinq mois de vacance faute de se mettre d’accord sur un nom au plus haut sommet de l’État, la sélection du nouveau directeur général des HCL était enfin sur le point d’aboutir au terme d’un appel à candidatures avec une short-list de cinq noms.
Jusqu’à ce que Raymond Le Moign se manifeste à la dernière minute et remporte la mise in extremis. « Je me suis décidé en 24 heures », affirme-t-il, alors qu’il avait plusieurs cartes en main : intégrer un grand groupe privé, rester à Paris en prenant la direction d’une administration centrale ou alors revenir aux HCL. « Et les HCL étaient placés tout en haut dans ma hiérarchie des envies. C’est l’un des plus beaux postes qui existe », affirme Raymond Le Moign, qui reprend sa casquette de patron du plus gros employeur de la métropole lyonnaise avec 24 000 salariés répartis au sein de 13 établissements.
Une posture d’homme d’État
Et, dans les arcanes des HCL, on croise peu de monde pour ne pas se réjouir de ce retour cinq mois seulement après ses adieux. « C’est une excellente chose. J’ai connu plusieurs directeurs des HCL, et pour moi c’est le meilleur. Je fais partie de ses fans », s’enflamme ainsi Bruno Lacroix, l’habituellement très placide président de la Fondation HCL. « Je suis ravi qu’il revienne, car Raymond Le Moign est un véritablement un atout pour les HCL. Et je dois dire que j’étais circonspect quant à celui qui allait le remplacer. En fait, c’est comme s’il était parti quelques mois en vacances et qu’il revient », rigole le vice-président de la Métropole en charge de la santé, Pascal Blanchard.
L’ex-maire de Lyon et ancien urologue aux HCL, Georges Képénékian, abonde. « Il n’y a pas d’homme providentiel dans le bousin qu’est l’hôpital public. Mais Raymond est un mec bien avec la volonté de faire bouger les lignes. Son retour est une très bonne chose pour les HCL. »
« Les HCL, c’est l’un des plus beaux postes qui existe »
Après avoir vécu la gestion de la crise sanitaire de l’intérieur (« Je ne suis pas sorti du ministère pendant deux mois et demi, je dormais sur un lit de camp à côté de mon bureau et de celui des ministres que j’ai servis », raconte-t-il), Raymond Le Moign arrive aux HCL en 2020, en pleine période post-covid dans un CHU éreinté. « Et il a vraiment réussi à relancer une dynamique, tout en faisant que le climat social soit apaisé », affirme un observateur.
Lors de son premier mandat, Raymond Le Moign a notamment créé une direction de l’innovation aux HCL – une première pour un CHU français – et déployé une stratégie robotique qui s’est traduite par un investissement de 10 millions d’euros fin 2022. « Mais ce ne sera pas le même mandat que lors de mon premier passage aux HCL. Je ne crois pas à la répétition de l’histoire. Et en six mois, il s’est passé beaucoup de choses », déclare-t-il.
En effet, la donne a changé : lors de sa première nomination aux HCL, il avait repris la feuille de route de Catherine Geindre partie à la Haute autorité de santé. Cette fois, c’est à lui de présenter son propre projet stratégique, avec en ligne de mire le retour à l’équilibre financier, ce qui n’est plus arrivé depuis près de dix ans. « Les HCL ont enregistré un déficit très réduit en 2023 au regard de son budget de plus de 2,2 milliards d’euros. L’équilibre est un objectif important parce qu’un établissement à l’équilibre est un établissement maître de son destin », appuie-t-il.
Raymond Le Moign doit présenter prochainement son plan stratégique, mais il en dessine déjà les grandes lignes : le renforcement des liens avec les universités et les établissements de recherche, le lancement d’une marque employeur, une meilleure prise en compte de l’avis des usagers ou encore travail sur la transition écologique… « La santé est l’un des secteurs les plus carbonés, notamment à cause de l’utilisation de produits à usage unique. L’hôpital doit réussir sa transition écologique. Les jeunes générations sont très attentives aux démarches engagées, c’est même devenu un critère dans nos recrutements », rapporte Raymond Le Moign
Et, à écouter le Pr Vincent Piriou, le président de la CME (la Commission médicale d’établissement, une instance consultative qui associe le corps médical à la gestion de l’hôpital), Raymond Le Moign a le profil parfait « pour tirer le CHU par le haut » : « Il a montré qu’il avait une véritable vision pour les HCL, ce que l’on ne retrouve pas forcément chez tous les directeurs de CHU, siffle-t-il. Raymond Le Moign est un très grand directeur, un des plus grands que l’on ait connus à Lyon. Il a une posture d’homme d’État. Il a eu des fonctions importantes toute sa carrière et occupe aujourd’hui une place importante dans le système de santé français. »
Dans le dialogue et la séduction
On pourrait aussi dire une place à part, tant le parcours de Raymond Le Moign est atypique. Après l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, il se dirige vers l’École nationale de santé publique de Rennes, surnommée l’Éna de la santé. « C’est la rencontre avec un directeur d’hôpital qui m’a donné envie de faire ce métier. Il me racontait comment il aimait se balader dans l’hôpital le soir… ».
Une fois diplômé, il alterne responsabilités au cœur du système hospitalier (directeur à Orléans, Nantes, Toulouse puis Lyon), dans une grande administration (il a été responsable de l’accréditation et de la certification des établissements de santé à la Haute autorité de santé au début de sa carrière) puis dans les cabinets ministériels. « Mon passage en cabinet est, en quelque sorte, exceptionnel dans mon parcours. On arrive à cette fonction parce qu’un jour quelqu’un s’est aperçu que vous saviez bien parler, que vous aviez une capacité de diplomatie et que vous pouviez supporter la charge et la tension du poste qui sont, effectivement, assez exceptionnelles », expliquait-il ainsi à Lyon Décideurs en octobre 2020.
Une alternance de terrain et de fonctions parisiennes considérée comme un « mix très gratifiant » par Raymond Le Moign : « J’ai utilisé ce que j’ai appris dans les CHU pour concevoir les politiques publiques lorsque j’étais en cabinet ministériel. Par exemple, j’avais découvert aux HCL que certains métiers étaient oubliés dans les versements des indemnités de nuit. C’est quelque chose que j’ai corrigé à Paris », rapporte-t-il.
Et l’inverse est vrai aussi : le directeur général des HCL construit son plan stratégique en ayant parfaites connaissances des priorités gouvernementales. Un atout non négligeable selon le président de la CME, Vincent Piriou. « Ses passages en cabinet sont une chance incroyable, car cela permet d’anticiper les réformes et d’aligner ses décisions aux HCL avec les grandes orientations nationales », analyse-t-il.
Virginie Valentin, la directrice générale adjointe des HCL qui a assuré l’intérim pendant les 5 mois de l’intermède ministériel de Raymond Le Moign, abonde : « Grâce à sa vision politique et sa connaissance des enjeux locaux, il a une capacité à avoir deux ou trois coups d’avance. Je suis souvent épaté par son raisonnement prospectif », rapporte Virginie Valentin, qui, promis, n’a aucun regret à redevenir numéro 2 après son passage – très largement salué – en tant que numéro 1 :
« Je retourne à ma place sans frustration. Au contraire, je me sens privilégiée de partager un nouveau bout de route avec Raymond Le Moign. Il aime les professionnels du monde de la santé et il a une véritable stature. Sa présence est une chance pour les HCL. D’ailleurs, c’est parce que Raymond Le Moign dirige les HCL que j’ai candidaté en avril 2021 pour venir à Lyon. Je ne le connaissais pas, mais il a une notoriété forte dans le métier, et ce que l’on disait de lui m’a donné envie de travailler avec lui », rejoue-t-elle.
Ce que l’on dit de Raymond Le Moign ? « Un homme accueillant, à l’écoute, attentif. Il a aussi beaucoup d’humour », résume Georges Képénékian, qui a d’abord fait la connaissance de Raymond Le Moign dans le costume de directeur de cabinet, à l’occasion d’échanges autour de l’arrivée de l’académie de l’OMS à Lyon. « Je m’étais alors fait la réflexion qu’il ne correspondait pas vraiment à l’image que l’on se fait d’un directeur de cabinet », prolonge Képé.
« Raymond Le Moign est un très grand directeur, un des meilleurs que l’on ait connu à Lyon »
Serge Pelegrin, membre du conseil de surveillance des HCL en qualité de représentant des usagers, va dans le même sens : « Raymond Le Moign est très sympathique et de très dynamique. C’est aussi quelqu’un de très humain. Cela fait 15 ans que je suis au conseil de surveillance des HCL, il fait partie de ceux que j’ai le plus appréciés. J’ai été très déçu quand il est parti, j’ai presque eu un sentiment d’abandon », sourit-il.
Brahim Gacem, représentant syndical (FO) des HCL, lui aussi membre du Conseil de surveillance des HCL, n’a « pas sauté au plafond » quand il a appris que Raymond Le Moign était de retour à Lyon. « Parce qu’un directeur de CHU est là pour appliquer des mesures gouvernementales. Son pouvoir d’action est forcément limité. »
Ce qui ne l’empêche pas de louer, lui aussi, le « côté humain » du directeur général : « On sent que c’est quelqu’un de très fort et de très fin. Je le crois quand il dit qu’il aime le service public, il partage des valeurs avec notre syndicat. Avec nous, il est dans le dialogue et la séduction, c’est le DG le plus politique que j’ai rencontré. Mais ce n’est pas péjoratif quand je dis cela », prend soin de préciser Brahim Gacem.
Marge de manœuvre
À en croire son entourage, une autre caractéristique de Raymond Le Moign est d’avoir « une capacité de travail hors norme ». « Il commence tôt le matin et finit tard le soir. Il a aussi une grosse mémoire. Ses dossiers sont très bien préparés, rien n’est laissé au hasard. Il est très exigeant avec lui-même, et du coup aussi très exigeant avec ses collaborateurs qui ont intérêt à bien connaître leurs dossiers lorsqu’ils entrent en réunion », rapporte l’un de ses proches.
« Avec lui, les échanges sont directs, conviviaux et avec du fonds. Il a une grande franchise et sait aussi écouter quand on n’est pas d’accord avec lui », embraye la directrice générale adjointe Virginie Valentin. Autre trait de caractère largement souligné par son entourage, sa volonté de ne pas rester scotché dans son bureau installé au 3 quai des Célestins avec vue sur la Saône et le palais des 24 colonnes. « C’est un homme de terrain qui va à la rencontre des chefs de service. Encore ce matin, on était tous les deux à Lyon Sud », expose Vincent Piriou, le président de la CME.
« Je repars dans un nouveau mandat et je m’inscris dans un temps long aux HCL »
La preuve que Raymond Le Moign estime avoir « une véritable marge de manœuvre » en tant que directeur de CHU malgré un système français très centralisé et une politique de santé décidée au niveau national. « Bien sûr, c’est le politique qui décide des ressources financières, et les problèmes de notre système de santé sont multiples et gigantesques, nul besoin de le nier. Mais si je suis revenu dans un CHU – quand bien même le deuxième de France – après avoir exercé des fonctions de tutelle, c’est que je considère avoir une marge d’autonomie dans l’organisation du quotidien, les conditions de travail, ou encore dans l’évolution des carrières. Je suis aussi responsable de la capacité à imaginer de nouvelles organisations pour le CHU. Les marges de manœuvre, c’est à nous de les construire », pose avec conviction Raymond Le Moign, qui affirme aujourd’hui être revenu pour rester aux HCL.
« Je repars dans un mandat et je m’inscris dans un temps long ». D’autant que la vie lyonnaise lui convient. « C’est une ville que j’aime et que redécouvre depuis quelques semaines. J’habite place des Célestins tout près de mon bureau et j’apprécie ce quartier avec le théâtre des Célestins, le marché… En fait, le DG d’un CHU épouse une ville ». Et en plus personne ne lui fait le reproche de sa dernière aventure parisienne.
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