Il y a d’abord eu la boutique d’objets de décoration Villa Borghèse, qui a baissé le rideau fin janvier, 33 ans après son installation place Saint-Nizier. L’épilogue d’une procédure judiciaire de cinq années entre les gérants, Alain et Jacqueline Mestrallet, et les bailleurs de l’immeuble avec, au cœur des discussions, le montant du loyer de la boutique de 90 m2.
Ensuite ce fut, tout début février, l’annonce de la fermeture, le 15 juin prochain, de l’emblématique enseigne lyonnaise de mobilier, de décoration et de design Benoît Guyot qui occupe 650 m2 sur trois niveaux au 15 rue Émile-Zola.
Des histoires de conflit entre gérants et propriétaires
En cause, le non-renouvellement du bail commercial que le bailleur, le groupe 6e Sens Immobilier, souhaitait revoir à la hausse. « Je leur ai fait une proposition à hauteur de mes moyens, mais cela n’a pas été suffisant. Au-delà de ce chiffre-là, je mettais en péril l’économie du magasin, donc ce n’était pas raisonnable d’aller dans une négociation plus poussée. C’est pour cela qu’on m’a dit le 31 décembre que mon bail ne serait pas renouvelé et qu’il fallait partir », s’attriste Bertrand Guyot dans les colonnes de Tribune de Lyon, tout en admettant payer un « loyer peu élevé » pour ce local exploité par sa famille depuis 1899.
Puis, fin février, c’était au tour du magasin de parapluies Crozet, niché au cœur du passage de l’Argue depuis 1936, de tapisser sa devanture de pancartes jaunes et d’entamer la liquidation du stock avant les adieux prévus le 15 avril prochain.
Là encore, une histoire de conflit entre les gérants de la boutique et le propriétaire des murs (un fonds qatari également propriétaire des pieds d’immeuble de la rue de la République) qui n’a pas souhaité renouveler le bail locatif. « Le bailleur n’a pas pris la mesure de l’âme de notre boutique », se désole le gérant Lionel Gisclon, au terme de 13 années de procédure.
« Pessimisme ambiant »
Avec la fermeture de ces trois boutiques historiques connues de tous les Lyonnais, c’est la question de la survie des commerces indépendants au cœur de la Presqu’île qui revient sur la table. Les motifs d’inquiétude sont multiples entre les conflits avec les bailleurs-propriétaires autour du montant des loyers, la concurrence de l’e-commerce, la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, la diminution de la fréquentation des centres-ville ou encore l’augmentation des coûts de l’énergie…
« Lyon se vide inexorablement de ses commerces », regrettait ainsi le gérant de la Villa Borghèse au moment de quitter les lieux. Et la situation est surveillée de près par la Mairie : « La fermeture d’un commerce indépendant est toujours une perte pour la vie d’un quartier. Cela est d’autant plus vrai lorsque celui-ci est installé depuis plusieurs générations. J’ai moi-même tenté d’intercéder dans un des cas évoqués. En vain… », regrette ainsi l’adjointe chargée des commerces à la Ville de Lyon, Camille Augey.
Pour autant, l’association de commerçants My Presqu’île, par la voix de son actuelle vice-présidente et future présidente Johanna Benedetti (elle prend ses nouvelles fonctions le 25 mars), dit « ne pas vouloir céder au pessimisme ambiant ».
Bien sûr, l’enchaînement des fermetures des magasins Villa Borghèse, Benoît Guyot et Crozet Parapluies, annoncées en l’espace de quelques jours, est un sujet de discussion. « Mais on ne constate pas non plus une vague liée au non-renouvellement des baux commerciaux, souligne-t-elle. Et, dans ces cas précis, on parle de locaux occupés depuis plusieurs dizaines d’années, voire plus d’un siècle. Le renouvellement des baux aux mêmes montants de loyers ne peut pas être infini. Une page se tourne avec la fermeture de ces commerces, mais c’est quelque chose de naturel. Une nouvelle page va s’écrire en Presqu’île avec de nouveaux commerces. Et je pense qu’il y a de la place pour les indépendants. »
Avec, tout de même, le frein de taille de la hausse généralisée du montant des loyers dans le centre-ville. « Quand le loyer représentait entre 5 % et 8 % du chiffre d’affaires d’un commerce il y a quelques années, on est plus autour de 10 à 12 % aujourd’hui », poursuit Johanna Benedetti.
« Attentif à la situation »
Spécialiste de l’implantation de commerces en centre-ville, le patron du cabinet Omnium, Frédéric Berthet, estime lui aussi que le commerce indépendant a encore une carte à jouer. « Si l’on met de côté les rues de la République et Édouard-Herriot, les indépendants sont encore très ancrés en centre-ville. Entre Bellecour et la place Carnot ou dans le bas des Pentes, il y a des centaines d’indépendants. Il n’y a pas de raison d’être inquiet », analyse-t-il, en mettant en avant l’exemple du Grand Hôtel-Dieu.
Lieu essentiellement occupé par de grandes enseignes lors de son lancement, et au sein duquel on retrouve aujourd’hui plusieurs commerces indépendants. « Pas inquiet, mais attentif à la situation », c’est aussi l’état d’esprit de Régis Poly, patron de la coutellerie Poly et vice-président responsable des commerces de la CCI Lyon-Métropole : « Il est indispensable d’avoir un certain équilibre entre les grandes enseignes et les commerces indépendants pour qu’un territoire reste attractif. C’est le cas pour l’instant en Presqu’île avec environ 55 % de commerces indépendants. Mais va-t-on pouvoir maintenir cette offre dans le futur ? » C’est bien la question que tout le monde se pose.
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