LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Alban Pousset-Bougère : « Bâtonnier, c’est une fonction évidemment politique »

Alban Pousset-Bougère a été élu, fin janvier, nouveau bâtonnier du barreau de Lyon qui compte quelque 4 000 avocats. Son binôme avec Sara Kebir l’a emporté d’une courte tête sur le tandem Jean-François Barre-Valérie Giet à l’issue d’une courte campagne. « Ce qui a fait la différence, c’est le projet que nous avons proposé à nos confrères », affirme l’avocat qui dirige également le bureau lyonnais du cabinet spécialisé dans le droit des affaires Cornet Vincent Ségurel.

Vous avez été élu bâtonnier dans un contexte un peu particulier avec l’épisode de la démission, en fin d’année dernière, du bâtonnier élu Yves Hartemann juste avant d’entrer en fonction, et la tenue de nouvelles élections. Pour vous, est-ce que l’image du Barreau de Lyon a été affectée par les soucis judiciaires de Me Hartemann et le temps qu’il a mis à démissionner ?

Alban Pousset-Bougère : C’est forcément compliqué quand on a un bâtonnier élu qui décide de démissionner deux mois avant sa prise de fonction. Et justement, l’un des éléments qui étaient importants pour moi lorsque j’ai annoncé ma candidature, c’était qu’on puisse rapidement passer à autre chose. Parce que lorsque vous avez une situation comme celle-ci, ça peut vite virer à « qui a fait quoi ? » et « qui aurait dû faire quoi », et tout cela ne m’intéressait pas.

Ce que je voulais, c’était présenter un vrai projet à mes confrères et consœurs pour ces deux années à venir. Et je crois que c’est ce que nous avons réussi à faire. D’ailleurs, j’ai échangé avec beaucoup de cabinets pendant ce gros mois et demi de campagne, et, en réalité, c’est un sujet dont il a été très peu question.

Le résultat de l’élection a été très serré puisque vous êtes élu avec 51,8 % des suffrages, soit 92 voix d’avance seulement. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance selon vous ?

C’est très compliqué pour moi de vous répondre, il faudrait demander aux électeurs. Mais je pense que ce qui a joué, c’est le projet qu’on a proposé avec Sara Kebir (la vice-bâtonnière avec qui il a mené la campagne en binôme, NDLR). Car ce n’est pas le projet d’Alban Pousset-Bougère, mais celui d’Alban Pousset-Bougère et de Sara Kebir qui est une jeune femme exceptionnelle, très active au sein de la commission déontologie du Barreau.

Chacun a mis sa personnalité, son expérience et sa connaissance de la profession pour élaborer notre programme. Et nous sommes arrivés à ce projet définitif autour de cinq grands axes (voir page suivante). Et le premier axe était de raviver les liens entre les avocats, c’est pourquoi nous avons décidé de rendre publiques les séances du conseil de l’Ordre avec une retransmission vidéo pour que tout un chacun puisse savoir ce qu’on y dit, ce qu’on y fait, quels sont les débats qui nous animent… Avec comme objectif de générer un intérêt pour cette institution qu’est le Barreau de Lyon.

Déjà pendant la campagne, vous avez joué à fond la carte des réseaux sociaux avec notamment des posts tous les jours. On peut parler d’une campagne 2.0, d’un nouveau genre ?

C’est vrai que nous avons beaucoup communiqué sur les réseaux sociaux, avec notamment des lives où on échangeait avec les confrères. Mais en fait on n’avait pas tellement le choix parce que c’est impossible de rencontrer 4 000 confrères en un mois et demi. C’était donc un moyen d’exposer et d’expliquer notre programme. Et puis, si vous regardez mon compte LinkedIn, j’ai toujours beaucoup communiqué. Je ne me suis pas lancé dans la communication parce qu’il y avait la campagne.

Depuis quelques années, les avocats élisent un binôme bâtonnier et vice-bâtonnier. Comment allez-vous répartir les rôles entre Sara Kebir et vous ?

Dans les textes, le bâtonnier donne délégation au vice-bâtonnier. Et cette délégation, elle peut être plus ou moins restreinte. J’ai donc donné à Sara Kebir la délégation le plus large possible pour que l’on puisse s’organiser de manière assez souple. L’idée est de déléguer pour qu’on fasse bien le job.

Devenir bâtonnier, c’est quelque chose qui faisait partie de votre plan de carrière depuis un moment déjà ?

Pas du tout. Et je ne pense pas que l’on puisse parler de plan de carrière, ce n’est pas une carrière politique. Quand on est avocat, on est d’abord au service de ses clients. Après, on a plus ou moins d’appétence pour la chose collective. Et c’est vrai qu’en ce qui me concerne, je m’y suis toujours intéressé assez naturellement. J’ai été représentant du Jeune Barreau au bout de ma première année de Barreau, ensuite j’ai été élu deux fois au conseil de l’Ordre, j’ai représenté l’Ordre auprès de la cour d’appel de Lyon, j’ai également eu un certain nombre de missions qui m’ont été confiées par mes prédécesseurs, notamment au conseil de discipline. Je me suis présenté parce que j’ai acquis, au cours de ces 30 dernières années, une expérience qui m’a permis de me dire que je pouvais y aller, même si le contexte de l’élection était « exceptionnel ».

Vous dites que vous ne faites pas une carrière politique. Mais être bâtonnier du deuxième Barreau de France, c’est une fonction très politique…

Oui, c’est une fonction évidemment politique. Quand vous représentez 4 000 avocats dans une profession qui est aussi importante pour la démocratie, vous avez une fonction, mais à son petit niveau. En revanche, que chacun l’entende bien, je n’ai aucune prétention politique, ni locale, ni nationale.

On ne vous retrouvera donc pas dans une liste municipale dans quelques années, comme l’ont déjà fait d’autres bâtonniers ?

Alors ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. J’aimerais déjà arriver à faire mon travail correctement pendant ces deux prochaines années, et je serai content (sourire).

Le mandat de bâtonnier est très prenant, surtout à Lyon. Comment se répartit votre activité désormais entre le Barreau et votre cabinet ? Vous gardez un peu d’activité auprès de vos clients ou vous devenez 100 % bâtonnier ?

Alors, je voudrais rassurer mes clients, ce ne sera pas deux années d’absence de ma part. Je ne serai absent ni des dossiers ni du cabinet. En revanche, évidemment, je vais passer du temps pour l’Ordre, pour mes confrères et pour la représentation. Et il se trouve que j’ai toujours fait autre chose que mon métier d’avocat. C’est-à-dire que mon premier métier, c’est celui d’avocat, mais que j’ai toujours travaillé sur d’autres sujets que ce soit au niveau associatif, de l’Ordre ou au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel avec des fonctions au niveau national ces dernières années. J’ai donc pris cette responsabilité en connaissance de cause et avec la capacité de pouvoir y consacrer suffisamment de temps. Je pense partager mon temps en deux entre l’Ordre et mon cabinet, ce qui va me permettre – grâce à mes équipes – de pouvoir continuer à suivre mes dossiers et assurer la défense des intérêts de mes clients tout en exerçant pleinement mes fonctions de bâtonnier.

On l’a dit, le Barreau de Lyon a franchi la barre des 4 000 avocats. Et il y a un nombre non négligeable de vos confrères dont les rémunérations ne sont pas très élevées. Cela veut dire qu’il y a trop d’avocats à Lyon ?

C’est vrai qu’il y a des confrères en difficulté, je n’en disconviens pas. Nous avons aussi des confrères qui quittent le Barreau. Et ça, ça m’inquiète. Parce que vous avez environ 30 % des confrères qui quittent le Barreau au cours de leurs dix premières années d’exercice. Pourquoi est-ce qu’ils quittent le Barreau ? Est-ce qu’ils ont envie d’y revenir ? Y a-t-il un décalage entre le fonctionnement des cabinets d’avocats et les aspirations des jeunes avocats ? En revanche, je ne crois pas qu’il y a trop d’avocats à Lyon. Parce que nous, dans les cabinets d’affaires, on cherche de jeunes avocats et on n’en trouve pas. Alors la question que l’on peut se poser, c’est est-ce que les avocats qui sortent de l’école ont des aspirations qui correspondent aux besoins de la profession ?

Ce que vous sous-entendez, c’est que ces jeunes avocats sont plus tournés vers le droit pénal que vers le droit des affaires ?

Oui, je pense qu’ils sont plus tournés vers le pénal, parce que c’est évidemment l’essence de la défense avec un grand D. Mais en droit du travail, en droit du public ou en droit des affaires, il manque des avocats. Donc je pense que le Barreau a un certain nombre de messages à passer, notamment à l’université sur les profils recherchés.

Lorsqu’elle est partie, votre prédécesseure Marie-Josèphe Laurent a insisté sur la problématique de harcèlement au sein de la profession, en disant notamment que des signalements avaient été faits. Est-ce un sujet que vous jugez important et sur lequel vous allez vous pencher ?

Oui, c’est un sujet important qui est dans nos priorités autant à Sara Kebir qu’à moi. C’est pour cela que l’on a décidé de créer une permanence à l’Ordre des avocats, tous les jeudis matin, pour que les confrères et les consœurs puissent venir parler librement de ces sujets-là. On s’est dit qu’il fallait qu’il n’y ait vraiment aucun rempart ni aucun intermédiaire parce qu’un confrère qui subit du harcèlement n’a pas envie d’appeler l’Ordre pour avoir la standardiste puis la secrétaire du bâtonnier pour dire « voilà, j’ai tel problème ». Et puis la confidentialité sera strictement respectée, cette permanence sera une véritable enceinte hermétique.

On a beaucoup parlé ces derniers temps de la grogne des avocats qui s’est traduite par plusieurs actions de mobilisation. On sait aussi que le ministère de la Justice a vu son budget augmenter de façon importante ces deux dernières années. Pas assez à votre goût ?

Effectivement, il y a eu une augmentation du budget de 8 % ces dernières années, c’est important. Et je crois qu’il faut rendre hommage au garde des Sceaux qui a obtenu cela de Bercy. Mais il faut aussi préciser que l’on doit récupérer 30 années de disette. Et puis, la question, c’est où vont être fléchés ces 8 % ? Dans l’administration pénitentiaire, dans la justice pénale, dans la justice civile ? Et puis il va falloir poursuivre ces efforts budgétaires pendant plusieurs années encore, parce qu’en ce qui concerne l’aide juridictionnelle par exemple, on est encore très loin du compte.

Un mot sur les relations avec les autres professions réglementées, à savoir les experts-comptables et les notaires. Comment se passe l’interprofessionalité à Lyon, cela fonctionne ?

Oui, cela fonctionne bien. Nous nous retrouvons au sein d’une association avec le président de la chambre des notaires du Rhône, Cyrille Farenc, et le président régional de l’Ordre des experts-comptables Damien Cartel. Nous avons des projets ensemble, comme API Together, qui a été mis en place l’année dernière et qui a pour objet de créer un événement avec les jeunes avocats, les jeunes experts-comptables, les jeunes notaires pour avoir l’habitude de travailler ensemble.

Vous ne vous marchez pas trop sur les pieds ?

C’est ce que j’allais vous dire, chacun reste dans son domaine. Mais nous avons de très bonnes relations.

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