Vous n’avez pas encore 60 ans, pourquoi vendre si jeune et alors que vous venez juste de lancer un ambitieux plan de route pour Visiativ ?
Laurent Fiard : Si jeune, oui, tout est relatif (sourire). Plus sérieusement, je vends, mais je vais continuer d’accompagner Visiativ. Je reste très investi avec le groupe Snef pour exécuter le plan stratégique appelé Shift 5, qui consiste à doubler de taille pour atteindre 500 millions d’euros de chiffre d’affaires dont 50 % à l’international à l’horizon 2028, ce qui n’est pas une mince affaire. Et je reste actionnaire de Visiativ puisque je garde 10 % du capital avec une partie du management.
Le déclencheur de la vente, c’est donc le départ à la retraite de votre associé Christian Donzel ? S’il avait le même âge que vous, vous n’auriez pas vendu Visiativ si vite ?
Christian, a bientôt 74 ans, cela fait deux ou trois ans qu’il n’est plus dans l’opérationnel… Comme tout chef d’entreprise qui a réussi, il avait besoin aussi de valoriser le fruit de son travail. Il fallait donc faire tourner le capital de Visiativ pour permettre la continuité de ce magnifique projet et aventure humaine qu’on a co-développé avec Christian depuis toutes ces années. Je n’avais que 23 ans quand j’ai démarré avec lui… Et depuis, comme on a l’habitude de dire, on passe plus de temps ensemble qu’avec nos femmes. C’était donc notre devoir d’accompagner la transmission du bébé. On continue d’avoir des projets ensemble mais c’est une sensation un peu émouvante.
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On a un pincement au cœur quand on signe la vente ?
Il y a évidemment beaucoup d’émotion quand on prend la décision de vendre. Je dois même avouer que certains week-ends ont été compliqués. Mais il fallait prendre une décision, et quand cette décision est prise, on avance. Je le répète, c’était notre devoir de passer la main. Et aujourd’hui, je suis vraiment »straight to the point » pour réussir ce nouveau défi. Je suis à la fois rassuré et serein, on va faire de belles choses.
Et en interne, comment les équipes ont accueilli la nouvelle ?
Comme Visiativ est cotée en bourse, il y avait un devoir de confidentialité extrêmement fort. Ce qui veut dire que je n’avais pas le droit de parler de la vente avant la diffusion du communiqué de presse. C’était donc une situation très frustrante pour moi, et ça a été assez sportif. J’ai sauté dans un TGV pour arriver à l’heure dans les bureaux au moment où les collaborateurs de Visiativ allaient découvrir le communiqué de presse. Et la première question que tout le monde m’a posée, c’est « Laurent, toi tu fais quoi ? » J’ai ressenti à la fois de l’émotion et de la fierté. J’espère en grande partie rassurer et donner ce nouvel élan à Visiativ.
Pour vous, c’est quand même un changement énorme : désormais vous allez devoir rendre des comptes à un actionnaire au-dessus de vous. Vous pensez vraiment rester encore 4 ans chez Visiativ ?
Sincèrement, j’ai l’esprit de la gagne. Donc je ne partirai pas tant que je n’aurai pas fini ce plan. La seule chose, c’est s’il y avait mésententes, mais les relations avec le groupe Snef sont extrêmement bonnes. C’est une entreprise familiale, à taille humaine avec beaucoup de synergies possibles. Donc j’ai vraiment un objectif de co-élaboration. Et pour dire cela, je m’appuie notamment sur l’exemple du rachat par le groupe Snef d’une autre entreprise lyonnaise, la société d’ingénierie Ekium, qui faisait 70 millions d’euros de chiffre d’affaires et qui fait pratiquement 300 millions d’euros aujourd’hui. Sept ans après le rachat, le président-fondateur Philippe Lanoir est toujours en poste, il développe son entreprise et il a toujours le sourire quand je le rencontre.
Ça a joué pour vous cet exemple lyonnais ?
Bien évidemment. Avant de se décider, on regarde ce qu’il se passe autour de nous… Et avec le groupe Snef, tous les paramètres me semblent extrêmement favorables. A nous maintenant d’embarquer les équipes et d’aller chercher des synergies.
Le groupe Snef est très présent dans les métiers de l’ingénierie et Visiativ accompagne la transformation numérique des entreprises : jusqu’où pensez-vous aller dans le rapprochement ?
Nous n’avons pas encore véritablement le droit de travailler ensemble (tant que la vente n’est pas officielle, un closing est espéré au cours du premier semestre Ndlr), mais en quelques heures de discussions avec les dirigeants du groupe Snef, on a très rapidement vu les synergies possibles. Il y a notamment des sujets passionnants autour de la décarbonation ou de l’optimisation de la sobriété digitale. Tout cela paraît très limpide…
Pour parvenir à l’objectif de ce plan stratégique, il fallait être adossé à un grand groupe pour pouvoir le réaliser ? Ou vous pensez aller encore plus haut et plus vite ?
Ce plan a été écrit dans une dynamique autonome et ce que je crois fermement, c’est qu’on va l’exécuter plus vite. Je suis convaincu que tout va être accéléré.
Le jour de l’annonce de la vente, vous nous aviez dit avoir préféré confier les rênes de Visiativ à un groupe familial français alors que vous avez été également approché par des fonds américains. C’était une donnée importante pour vous ?
On a effectivement eu beaucoup de sollicitations, et c’est d’ailleurs une grande fierté. Visiativ est une entreprise de près de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires cotée en bourse qui affiche une croissance rentable – et je tiens à souligner le mot rentable -, c’est donc une entreprise visible. Et c’est vrai que les sollicitations étaient plutôt anglo-saxonnes. Nous avons eu beaucoup de discussions avec des fonds d’investissement mais ce qui a fait la différence avec le groupe Snef c’est que l’on préférait continuer l’aventure Visiativ dans un environnement industriel avec une entreprise française qui se développe depuis plus de 100 ans avec un ADN familial.
Bruno Rousset (April), Jean-Michel Aulas (Cegid puis OL Groupe), Yves Revol (Clasquin) et vous aujourd’hui, ça fait beaucoup de belles ETI lyonnaises qui ont été vendues ces dernières années. Est-ce que cela veut dire que le capitalisme familial lyonnais perd de sa substance ?
Non, je ne crois pas. C’est un long débat… Je connais très bien toutes ces entreprises, et quand on a des ambitions importantes à l’international, c’est quand même intéressant d’écouter les fonds anglo-saxons. Après, j’ai la conviction qu’il faut se battre pour garder des actifs sur le territoire. C’est notamment le sens de mon engagement aux côtés de Laurent Wauquiez en prenant la présidence d’Auvergne-Rhône-Alpes Investissement. L’ambition est d’offrir un continuum de financement aux entreprises régionales en couvrant toutes les étapes cruciales du cycle de vie d’une entreprise : de l’amorçage à la transmission, en passant par les phases de risque, rebond, retournement et développement.
Cela représente une force de frappe de quelle ampleur ?
La dynamique est extrêmement intéressante et vertueuse. Globalement, aujourd’hui, cela représente plus de 150 millions d’euros à travers 28 fonds d’investissement. Avec les effets de levier, on estime que ça se traduit au total par 1,5 milliard d’euros injectés dans le capital des entreprises de la région, dans tous les domaines d’excellence du territoire : le numérique, la santé, l’industrie, le bâtiment… On en est qu’au début de l’aventure et je suis persuadé que, d’ici 3 ou 4 ans, ce fonds sera digne d’un territoire comme Auvergne-Rhône-Alpes qui rassemble de nombreuses entreprises et donc les Visiativ de demain.
Vous êtes l’un des fondateurs d’Axeleo Capital qui investit dans des startups. Est-ce que vous allez réinvestir dans ce fonds l’argent du produit de la vente de vos actions Visiativ ?
Déjà, je suis très fier de ce qu’est devenu Axeleo (150 millions d’euros d’actifs sous gestion), qui était au départ une idée collective que nous avions eue avec Éric Burdier et Christophe Dumoulin (respectivement directeur et président d’Axeleo) il y a une dizaine d’année. Je ne suis plus actionnaire, mais je suis déjà investisseur chez Axeleo Capital. Donc je regarde ce fonds, bien sûr, mais je dirai que, de façon globale, je regarde tous les fonds qui investissent sur le territoire, ce qui est assez aligné avec ma mission de président de Auvergne-Rhône-Alpes Investissement.
Vous êtes également récemment devenu actionnaire de l’Asvel à titre personnel. Qu’est-ce qui vous a motivé ?
C’est d’abord parce que le projet de Tony Parker et Gaëtan Muller est très intéressant et dans une belle dynamique. On est plusieurs chefs d’entreprise à s’être investi (avec le promoteur immobilier Didier Caudard Breille, la famille Mathiolon… Ndlr) et moi j’aime bien le travail d’équipe. On va faire, j’espère, de l’Asvel un vrai club européen avec des ambitions et puis surtout avec des projets connexes, comme sur le social par exemple. C’est passionnant.
On sait que le Medef Lyon-Rhône, que vous avez présidé de 2014 à 2021, était très méfiant lors de l’arrivée des écologistes à la Ville et à la Métropole. Est-ce que cela a changé ? Quel regard portez-vous aujourd’hui ?
Je ne suis plus président du Medef, donc ce n’est pas à moi de parler de ce sujet. (Il réfléchit) Mais je suis assez inquiet pour être très franc et direct, comme j’ai toujours eu l’habitude de l’être : Je trouve qu’on s’endort. Et malheureusement, je pense qu’on va le payer assez cher si on s’endort trop. Donc il faut se réveiller.
Ça veut dire quoi « on s’endort » ? À quel niveau ?
On s’endort dans l’attractivité de notre territoire, dans l’accompagnement aux entreprises… Ce que je reproche, ce sont les non-décision et quelque part la non-action, en plus du fait que l’on n’y voit pas clair du tout…
Avec la vente de Visiativ, vous arrivez un peu à la fin de quelque chose, en tout cas vous tournez une page. Qu’est-ce qui vous a motivé tout au long de ces années, pourquoi avez-vous fait tout ça ?
Pourquoi j’ai fait tout ça ? Déjà parce que j’avais vraiment l’envie d’entreprendre. Quand je dis entreprendre, cela doit s’entendre de manière large avec Visiativ, Axeleo ou d’autres projets comme l’Entreprise du futur. Et, pour moi, la base de tout ça, c’est le partage. À plusieurs on va plus loin, mais je considère aussi que l’on va plus vite. Et j’ai l’esprit de la gagne. J’ai fait des sports collectifs, et quand j’entrais sur le terrain, c’était toujours pour gagner. C’est dans mes gênes. Et je crois aussi que j’aime faire beaucoup de choses et me rendre utile.
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