Vous êtes à la tête d’April depuis 2019, mais on vous connaît finalement assez peu. En fait, vous vouliez d’abord avoir des résultats avant d’apparaître plus en public et de prendre davantage la parole ?
Éric Maumy : C’est un bon résumé. April est une entreprise emblématique de Lyon, qui a une histoire, alors je pense que lorsqu’on arrive à sa présidence dans le cadre d’un LBO avec un nouvel actionnaire (le fonds britannique CVC Partners, NDLR) comme cela a été mon cas, on doit d’abord se concentrer sur sa mission.
Et je peux dire que j’ai vraiment été en « plongée profonde » ces dernières années avec le plan de transformation qui m’a laissé très peu de temps pour avoir une vie sociale de chef d’entreprise à Lyon. Donc oui, cela fait cinq ans que je suis arrivé à Lyon et je connais pas mal de monde maintenant, mais c’est vrai que je passe beaucoup de temps au siège d’April.
Avec un peu de recul, comment s’est passé votre atterrissage ? On imagine que ce n’était pas évident de devenir le président d’un groupe qui sortait de plus de 30 ans passés entre les mains de son fondateur, Bruno Rousset…
En venant me chercher lorsqu’il a racheté April, je dirais que CVC Partners a choisi quelqu’un de très « aprilien » dans l’âme pour poursuivre l’histoire, un entrepreneur-développeur venant d’un environnement d’entreprise familiale. Je venais de passer 20 ans chez le courtier en assurances Verlingue en Bretagne où j’avais beaucoup de latitude, mais c’était un moment où j’avais envie de changer d’air.
J’avais dans un premier temps regardé pour racheter un cabinet d’assurance, mais il n’y avait pas grand-chose qui me plaisait. Alors quand CVC Partners arrive, ce n’est pas inespéré, c’est au-delà de ça : j’ai démarré mes études dans l’assurance l’année où Bruno Rousset a créé April (en 1988, NDLR), une espèce d’ovni que j’ai vu grandir.
J’avais une fascination pour cette entreprise que je connaissais déjà assez bien. Alors CVC Partners n’a pas mis longtemps à me convaincre, et je me suis ensuite glissé dans ce rôle avec beaucoup de bonheur.
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Et vous ne tardez pas à lancer de grandes manœuvres avec, pour chantier prioritaire, la cession d’activités que vous ne jugez plus stratégiques…
Il faut savoir que vous êtes hyper préparé sur tous les plans quand vous arrivez avec un fonds d’investissement. L’entreprise avait été véritablement scannée et le diagnostic posé avant même que je prenne les manettes : cette entreprise est un bijou que j’ai vu grandir pendant 30 ans avec une réussite absolument incroyable, mais, sans être offensant, elle s’était éloignée de ses fondamentaux ces dix dernières années.
Ce qui commençait à avoir pour effet d’être destructeur de valeur. Donc, le parti pris avec CVC Partners – qui avait exactement la même vision que moi – a été de dire qu’il fallait revenir sur les fondamentaux d’April et redevenir un courtier. On avait des compagnies d’assurance et de réassurance, on a décidé de vendre tout ça.
Géographiquement, l’entreprise s’était aussi un peu dispersée dans le monde. Le choix a été de céder un certain nombre d’actifs pour se recentrer sur ce qui a fait la force d’April depuis sa création, avec une coloration 2020. C’est-à-dire que nous avons aussi apporté de la technologie, ce qui manquait fondamentalement.
Avec un total de 25 cessions, vous avez dans un premier temps divisé le chiffre d’affaires d’April par deux, pour passer d’un milliard d’euros à un peu plus de 500 millions d’euros. Cela veut dire que Bruno Rousset avait fait de mauvais choix de développement et de diversification ?
Non, ce n’est pas ça. Bruno Rousset a bâti une boîte absolument extraordinaire. Je n’ai pas dû gérer une entreprise en retournement, mais une entreprise avec des fondamentaux solides qui s’en était éloigné ces dix dernières années. Par exemple, avoir des filiales dans l’assurance et la réassurance, cela avait du sens à un moment donné.
Donc les choix ont été judicieux à l’époque, même si cela avait moins de sens de les garder lorsqu’on est arrivés. La force de Bruno Rousset, c’était cette capacité extraordinaire à voir beaucoup d’opportunités de business. Même si cette force peut aussi devenir une faiblesse par moment, quand on s’éloigne de ses bases et que l’on va sur des métiers qui ne sont pas créateurs de valeur.
Ce plan de réorganisation en profondeur, c’est votre vision ou celle de votre actionnaire ? Un peu des deux ?
C’est une vision totalement partagée. Lors du rachat, nous avions exactement la même lecture des choix à faire. Je dirais que là où j’ai le plus fait bouger les lignes, c’est sur la cession de la compagnie d’assurance Axeria Prevoyance, qui était vraiment au cœur du modèle d’April.
J’ai dit à mon actionnaire que j’avais la conviction qu’il fallait céder cette compagnie pour faire notre mue. Et ce choix s’est avéré extrêmement payant. En plus de nous permettre de nous recentrer sur notre métier de courtier, la vente s’est faite à un très, très bon prix.
Résultat, en trois ans seulement, la transformation est impressionnante. La preuve avec le rachat d’April en avril 2023 par le fonds américain KKR qui met 2,3 milliards d’euros sur la table. Et vous, Éric Maumy, êtes le premier à la manœuvre dans ce changement d’actionnaire : l’homme de CVC Partners devient l’homme de KKR
Non, je ne suis pas l’homme de CVC ou de KKR, je suis l’homme d’April. Je bosse pour la réussite d’April, pour ses collaborateurs, pour ses actionnaires et pour poursuivre son histoire. Mais c’est vrai que j’ai vécu une lune de miel avec CVC Partners. J’ai eu un bonheur fou à travailler avec ce fonds, et nous nous sommes très bien entendus jusqu’au bout.
La preuve, c’est que lorsqu’il a décidé de sortir du capital d’April, je suis allé voir ses dirigeants pour leur dire que je préférais poursuivre avec un autre fonds plutôt que d’être vendu à un de nos concurrents anglo-saxons qui sont vraiment les grands dominants dans notre secteur.
Et CVC Partners a fait un truc incroyable : il m’a laissé mener, avec le directeur financier de l’époque, les opérations pour choisir le nouveau fonds, en l’occurrence KKR. Tout s’est fait en totale transparence et en fonction de nos choix pour perpétuer la boîte.
Et ce qui est étonnant dans l’histoire, c’est que KKR avait été un candidat malheureux au rachat d’April en 2019, qu’il rachète finalement trois ans plus tard pour un montant 2,5 fois plus élevé…
Objectivement, CVC Partners a fait une belle opération. Mais on peut mettre à son crédit qu’il a fait l’acquisition d’April en 2019, à un moment où tout le monde voyait un risque majeur pour l’entreprise, pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure.
Puis on a fait le taf tous ensemble – les équipes et le comité exécutif qui était d’un niveau Ligue des champions – pour mettre en œuvre notre vision. Alors c’est clair que quand KKR rachète trois ans après, c’est beaucoup plus cher. Mais la situation d’April n’a plus rien à voir, le côté risque est derrière nous. Donc KKR fait aussi une très belle opération, il n’en doute pas un quart de seconde et moi non plus.
Vous dites avoir préféré poursuivre avec un nouveau fonds d’investissement, mais l’engrenage des LBO est bien connu : endettement, obligation de dégager d’importants bénéfices pour rembourser la dette puis être revendu quelques années plus tard… N’est-ce pas une spirale infernale dans laquelle April s’est engagée ?
C’est une très bonne remarque. Moi aussi je me suis posé cette question, parce que le propre d’un LBO est d’avoir une durée d’investissement de l’ordre de 4 ou 5 ans. Ce modèle a plein de vertus, ça pousse à aller vite, mais cela a bien sûr aussi ses limites.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons choisi KKR après avoir discuté avec plusieurs fonds prestigieux : c’est un fonds d’envergure mondiale qui connaît très bien nos métiers, mais qui en plus nous offrait un horizon d’investissement de 10 à 12 ans. Et ça, franchement, c’est exceptionnel.
Vous avez déjà dit qu’April était votre Everest professionnel. Ça veut dire quoi venant d’un passionné d’alpinisme ? Vous n’auriez jamais pensé piloter une entreprise aussi importante ?
Non, ce n’est pas une affaire de taille. Je venais de chez Verlingue, un groupe de 2 000 collaborateurs, et aujourd’hui nous sommes 2 200 chez April. Par contre, c’est vrai que je changeais de monde : mon credo à moi pendant les 30 premières années de ma vie professionnelle, c’était les clients grands comptes, alors que les deux tiers de l’activité d’April sont réalisés auprès des particuliers et que le dernier tiers concerne les PME.
Mais quand je parle de mon Everest personnel, c’est qu’il y avait mille choses à faire en arrivant chez April. Il fallait engager une transformation en un temps record et je ne peux pas le dire autrement, il y avait véritablement un risque de se planter… Il fallait recentrer l’entreprise tout en faisant sa mue digitale parce que les systèmes d’information n’étaient, disons, pas très efficaces.
Vous venez de présenter votre nouveau plan stratégique dont l’objectif est de renouer avec le milliard d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2027. Comment comptez-vous y parvenir ?
On a plusieurs leviers. Le premier, c’est la croissance organique qui reste quand même le baromètre de la bonne santé d’une entreprise. Et nous avons sorti 8 % par an en moyenne depuis 2019, donc le but c’est de continuer en gagnant des parts de marché sur nos métiers historiques, ceux sur lesquels nous nous sommes recentrés.
Cela va passer aussi par de la croissance externe. C’est pour cela que nous avons signé, en janvier, le rapprochement avec le cabinet indépendant DLPK, un groupe leader et expert de la gestion de patrimoine. Cette opération permet un retour dans l’un des métiers historiques d’April qui avait été vendu il y a quelques années pour de mauvaises raisons… L’autre axe du plan stratégique, c’est de miser sur une forte internationalisation d’April.
Le groupe réalise environ 20 % de son chiffre d’affaires à l’international aujourd’hui et vous voudriez monter cette part à 30 %…
Oui, exactement. Nous allons beaucoup investir à l’international, à l’image de l’acquisition en début d’année d’un courtier en Grande-Bretagne, leader dans le domaine de la clientèle à deux roues. Le monde des courtiers va se consolider, et nous allons participer à cette consolidation. Nous devons atteindre une taille critique pour avoir accès à des deals importants.
Et quand je parle d’international, je pense à l’Europe, à l’Amérique du Nord et du Sud, à l’Asie… Donc c’est vraiment une ambition mondiale. Et je ne peux pas encore donner de chiffre, mais le milliard d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2027, c’est vraiment le bas de la fourchette. Avec les deux opérations de croissance externe dont je viens de parler, nous allons être autour de 850 millions d’euros de chiffre d’affaires en fin d’année. Donc, on espère être bien au-delà du milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2027.
Éric Maumy, le deuxième actionnaire d’April
Derrière le fonds KKR, l’actionnaire de référence avec 65 % du capital, Éric Maumy est le deuxième actionnaire d’April avec environ 9 % des parts. « J’ai d’abord investi aux côtés de CVC Partners dès 2019, puis j’ai réinvesti l’année dernière tout ce que m’avait apporté ce premier LBO auprès de KKR. Parce qu’April, c’est l’histoire de ma vie », affirme-t-il.
Le président d’April fait donc partie d’un bloc d’actionnaires minoritaires qui pèse 35 %, composé de la famille Bettencourt-Meyers, du family office Evolem du fondateur Bruno Rousset, de la banque Arkéa, de l’investisseur Christian Burrus ou encore des collaborateurs d’April à qui Éric Maumy vient d’ouvrir le capital.
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