LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Arnaud Brun : « Je souhaite qu’on fasse une acquisition majeure chaque année »

Il a pris la suite de son père, Jean-Marc Brun, fondateur du groupe Adequat en 1987, à la tête du spécialiste lyonnais du travail temporaire et du recrutement. Repreneur au début de l’été de l’italien AxL, Arnaud Brun entend faire passer un nouveau cap à l’entreprise familiale (1,5 milliards d’euros d’activité, 1 500 collaborateurs) qui accompagne chaque année plus de 200 000 personnes vers l’emploi, intérimaire ou permanent. Propos recueillis par Maxime Feuillet et Jean-Pierre Vacher.

Avant de rejoindre Adequat, vous avez connu une autre vie professionnelle, dans la finance de marché. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Arnaud Brun : J’ai suivi des études d’actuaire, dans le calcul des statistiques et probabilités pour les secteurs de la finance et de l’assurance. À la fin de ces études, je me suis retrouvé embarqué pendant une dizaine d’années dans le monde de la finance.

J’ai travaillé avec la même équipe de cinq personnes dans plusieurs entreprises et institutions financières, au sein de départements spécifiques. Mais après dix ans dans ce secteur, j’ai eu envie d’autre chose et besoin d’un peu plus de sens dans ma vie professionnelle.

Comment cette envie s’est-elle matérialisée ?

C’est l’accumulation de plusieurs éléments en même temps. Le métier de trader, même au sein d’une petite équipe, reste très individualiste. Le milieu a aussi beaucoup changé après la crise de 2008-2009 et la faillite de Lehman Brothers. C’était devenu moins intéressant. Et puis j’étais au milieu de la trentaine, je venais d’avoir mon premier enfant, je réfléchissais beaucoup à la suite à donner à ma carrière.

L’entreprise familiale Adequat faisait évidemment partie des choix possibles. J’échangeais énormément avec mon père Jean-Marc Brun, qui m’envoyait tous les mois les comptes d’exploitation. Je regardais tout cela avec beaucoup d’attention. Je ne travaillais pas dans l’entreprise, mais son beau développement me faisait envie ; j’avais envie d’y participer moi aussi.

Vous rejoignez donc en 2011 le groupe familial créé par votre père dans les années 1980. Qui a convaincu l’autre que votre place était chez Adequat ?

On en parlait souvent ensemble. Quand vous avez la chance de grandir avec un père entrepreneur, les réunions familiales sont bien souvent des réunions d’entreprises. Donc même si je n’étais pas dans l’entreprise, mon père me partageait les grandes décisions et orientations stratégiques. Lorsque je me suis posé des questions sur mon avenir, l’opportunité de le rejoindre s’est présentée.

On en a discuté ensemble et cela lui a fait très plaisir. J’ai ensuite pris le temps de la réflexion parce que rejoindre l’entreprise familiale, c’est comme signer un CDI très longue durée, autant être parfaitement sûr de soi. Mon père ne m’a mis aucune pression. On a simplement échangé sur mon rôle et la façon de réussir au mieux mon intégration.

En arrivant, vous créez la filiale Adsearch, axée sur le recrutement de cadres. C’était votre idée ou celle de votre père ?

Quand j’ai commencé, je connaissais le métier de très loin donc il m’a semblé important d’aller à la rencontre de tous ceux qui travaillaient pour le groupe. J’ai fait le tour de France, et ça m’a pris du temps même si l’entreprise était quand même plus petite qu’aujourd’hui.

En allant voir ces personnes, j’ai trouvé qu’il nous manquait une partie intérim et recrutement pour les cadres. J’ai donc émis le souhait de créer cette partie-là à côté du groupe, pour avoir une marque différente qui  puisse se développer en parallèle. On a démarré à Paris et à Lyon, et on compte une grosse dizaine d’agences aujourd’hui.

Vous prenez en parallèle la direction du développement tertiaire avant d’être nommé directeur général délégué d’Adequat en 2016. Votre père prépare à cet instant sa succession, comment s’est passée la transition ?

C’était une transition en douceur, très clairement. Mais lorsque vous êtes entrepreneur et fondateur d’une entreprise, vous restez toujours au plus près d’elle. Donc même s’il avait quitté ses fonctions opérationnelles, il restait toujours présent et validait les acquisitions.

On a toujours beaucoup échangé et fait en sorte que tout se passe le mieux possible. Et nous avons aussi un directoire, un conseil de surveillance et des organes de direction qui ont justement permis de bien coordonner cette succession jusqu’à ma nomination comme président du conseil de surveillance en 2020.

En 2020 justement, vous êtes confronté à une double épreuve avec la maladie de votre père et la crise du Covid. Avez-vous craint au printemps, au pire de la crise, de ne pas résister ?

Non parce que cette crise, pour nous, a été très rapide. L’activité a chuté quasiment du jour au lendemain, mais elle a aussi rebondi très fort à partir de juin. Avec le directoire, nous organisions trois réunions par jour pour être sûrs de ne pas rater une seule annonce.

La priorité, c’était nos collaborateurs. Nous les avons tous réunis par visio en leur disant de ne pas s’inquiéter. L’entreprise avait été bien gérée depuis trente ans, nous avions les fonds propres pour tenir donc on leur a confirmé qu’on ne licencierait personne et qu’on ferait très attention à eux. Et lorsque le marché est fortement reparti en juin 2020, nous avons réussi à prendre des parts de marché.

Depuis 2021, vous vous attaquez à l’international avec une première implantation au Canada, puis dans cinq autres pays. Comment cette stratégie s’est-elle décidée ?

Mon père a géré l’entreprise en bon père de famille, à la lyonnaise. Nous sommes très peu endettés donc ça nous permet, quand des opportunités se présentent, d’y aller. On a commencé par le Canada, l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique. L’idée, c’était de pouvoir suivre nos clients à l’étranger et de les aider à se développer hors des frontières.

« Nous venons de réaliser cet été la plus grosse acquisition de notre histoire »

Et nous venons de réaliser cet été la plus grosse acquisition de notre histoire en reprenant AxL en Italie. C’est une entreprise qui nous ressemble, familiale, avec une trentaine d’agences dans le nord de l’Italie ainsi qu’à Rome et Naples. Ils accompagnent chaque année 10 000 personnes vers l’emploi et réalisent 120 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec cette acquisition, nous devrions nous rapprocher du 1,5 milliard d’euros d’activité cette année.

Cette acquisition doit vous donner envie d’en finaliser d’autres en Europe. Quelles sont les cibles principales et comment sélectionnez-vous les entreprises que vous rachetez ?

Outre les données financières, nous nous tournons surtout vers des entreprises qui nous ressemblent. C’est très important. Il faut qu’on puisse échanger, connaître les vendeurs, comprendre leurs projets, leurs motivations. On cherche des entreprises déjà rentables pour les aider à se développer et croître avec nous. Aujourd’hui, je souhaite qu’on fasse une acquisition majeure de cette taille chaque année.

On veut trouver la bonne cible, donc ça prend du temps bien évidemment. On discute avec beaucoup d’entreprises qui souhaitent se rapprocher de nous en Belgique, Suisse, Angleterre ou aux Pays-Bas, des pays dans lesquels le marché de l’intérim est porteur. On veut commencer par les pays limitrophes avant d’aller dans des pays plus lointains.

En France, vous êtes présents sur les marchés de l’intérim, du recrutement et des RH au sens large. Comment voulez-vous continuer de grandir ?

Mon ambition, c’est de pouvoir accompagner nos clients sur toutes les problématiques de recrutement et dans le maximum de pays possibles. La croissance est un moteur. Le groupe a toujours été en croissance et c’est important de garder cela pour donner des perspectives et des ambitions à tous nos collaborateurs.

En France, nous avons 350 agences et on continue encore d’en ouvrir mais on veut aussi pouvoir développer d’autres lignes de métiers. On fait beaucoup d’intérim, de recrutement, mais je voudrais qu’on puisse aussi faire du management de transition, de l’externalisation des processus de recrutement, et tout ce qui est connexe à notre activité.

Que visez-vous à moyen terme ? Une place dans le top 5 des acteurs de l’intérim en France ?

On ne réfléchit pas trop par rapport à la concurrence. On essaie de se développer et les autres le font très bien aussi. Le marché de l’intérim est dynamique, c’est une bonne chose. Aujourd’hui, il y a de la place pour tout le monde. C’est ce que je répète aux équipes assez souvent.

Aujourd’hui, nous sommes à 5% de parts de marché, on a encore énormément de parts de marché à prendre, donc il faut y aller. J’aimerais qu’on continue d’ouvrir des agences en France parce qu’on ne maille pas encore complètement le territoire national. Nous sommes très présents en Rhône-Alpes mais il y a des régions plus lointaines de notre siège où l’on a moins investi par le passé. 

Comme de plus en plus d’entreprises, vous vous êtes dotés d’une « raison d’être » ces derniers mois. Quelle est-elle ?

« Contribuer à l’épanouissement des entreprises et des personnes au service de leur liberté d’agir. » La phrase est toujours un peu fastidieuse, mais j’aimerais ressortir deux termes qui me semblent essentiels aujourd’hui. L’épanouissement, d’abord, de nos collaborateurs et des entreprises avec qui nous travaillons.

« Le marché de l’intérim est dynamique, c’est une très bonne chose. Il y a de la place pour tout le monde. »

Et puis la liberté d’agir, qui a toujours été une valeur forte pour le groupe. Nous voulons laisser la possibilité à nos collaborateurs de proposer des choses, de grandir avec l’entreprise en étant heureux. Pour moi, si on n’est pas heureux en venant au travail, c’est très compliqué. Donc on insiste sur cette liberté d’agir et cet épanouissement.

Un mot sur le « Baromètre intérimaire Adequat », cet outil que vous avez créé au sortir du Covid et qui identifie sur quels critères les intérimaires choisissent leur entreprise. Quelles sont les dernières tendances ?

Pour la première fois depuis 2020, le pouvoir d’achat s’impose comme la motivation première. Ce n’était pas lors des deux premiers baromètres que nous avions publiés où les questions de sens et d’engagement RSE arrivaient en tête. Le pouvoir d’achat reste un vrai enjeu pour nos intérimaires. On en a bien conscience et ça fait partie des principales préoccupations avec la sécurité et la stabilité du travail. 

Adequat est aussi très engagé autour du basket. L’entreprise a un partenariat très fort avec l’Asvel et Tony Parker, autour de la Tony Parker Adequat Academy à Gerland. Quel bilan peut-on dresser de cette structure aujourd’hui ?

Nous avons eu la malchance de la lancer en septembre 2019, juste avant le Covid donc c’est comme si nous avions perdu un an. Aujourd’hui, nous avons entre 100 et 150 élèves chaque année, dont la moitié est des jeunes espoirs de l’Asvel. Tous ceux qui ont passé le bac chez nous l’ont eu, c’est une grande fierté.

Dans cette académie, créée avec Tony Parker, nous sommes en charge du pilier emploi. Nous avons une agence dans l’académie et nous aidons ces jeunes avec plusieurs ateliers dédiés. Pendant les vacances scolaires, nous avons des temps dédiés à l’entreprise. Soit nos clients viennent présenter leur entreprise, soit nos jeunes vont à leur rencontre chez eux. J’ai la conviction qu’il faut rapprocher le monde de l’entreprise de la jeunesse. Si vous voulez donner envie aux jeunes et les motiver, il faut le faire très tôt, dès le début du lycée.

Le dirigeant, qui partage sa semaine entre Lyon et Paris, porte une attention particulière sur l’innovation et l’intelligence artificielle. « Nous nous y sommes mis en interne depuis un an. On a beaucoup investi et depuis le printemps, nous utilisons notre propre chatGPT en interne en France. On veut que tout le monde puisse se familiariser avec ces outils qui vont beaucoup changer notre métier. À terme, nous voulons que toutes les tâches chronophages puissent être remplacées par l’IA pour que nos collaborateurs puissent se recentrer sur les missions essentielles auprès des candidats et des clients. »

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BIO EXPRESS

22 novembre 1977 : Naissance

2001 – 2010 : Travaille dans la finance comme trader dans plusieurs entreprises à Paris

2011 : Rejoint le groupe familial Adequat fondé par son père Jean-Marc Brun. Création de la filiale Adsearch

2016-2020 : Directeur général délégué du groupe Adequat

Depuis 2020 : Président du conseil de surveillance du groupe Adequat

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