On la distingue au loin descendre l’avenue de Saxe à toute allure, avant de garer son vélo près du Bistrot Chacha, petit troquet du 3e arrondissement dans lequel elle a ses habitudes. C’est ici déjà, à quelques encablures de sa permanence parlementaire, que Marie-Charlotte Garin, la députée écologiste de la 3e circonscription du Rhône, nous avait donné rendez-vous au printemps 2023, au plus fort de la contestation contre la réforme des retraites.
Ici aussi, ou plutôt sur le trottoir d’en face, place Bahadourian, qu’elle a lancé, deux jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, sa campagne pour les législatives dans un meeting improvisé debout sur un banc, devant plusieurs centaines de personnes.
« On avait lancé un appel sur les réseaux la veille au soir. On pensait se retrouver en petit nombre dans un bar, mais nous étions au final plus de 300, donc il a fallu migrer sur la place, rejoue-t-elle, encore marquée par cette mobilisation soudaine. C’était une grande surprise et beaucoup d’émotion de voir autant de monde répondre à cet appel. On a su à ce moment-là qu’on allait faire une merveilleuse campagne. »
Trois semaines plus tard, la candidate est confortablement réélue dès le premier tour du scrutin avec 51,5 % des suffrages et plus de 16 000 voix d’avance sur la représentante de la majorité présidentielle, Clara Eynaud-Lassalle.
➔ À lire aussi : Les portraits des 14 députés élus dans le Rhône aux législatives
« Elle pourrait faire partie des plus grandes figures politiques françaises de la décennie à venir »
« Gagner une élection dès le premier tour à Lyon, ce n’est arrivé qu’à des politiques en place depuis longtemps, souligne le sénateur écologiste Thomas Dossus, qui partage sa permanence parlementaire avec la députée. Ce score, c’est le résultat de deux ans de travail et d’incarnation de ce que les électeurs et la jeunesse attendent. Marie-Charlotte, c’est une vraie révélation. Elle fait maintenant partie des poids lourds de la politique à Lyon. »
À tout juste 29 ans (elle a soufflé ses bougies le 2 septembre), la jeune élue verte s’impose depuis plusieurs mois comme une grande figure montante sur la scène locale.
« C’est une fusée qui brille à la fois par la profondeur de son analyse sociétale, son sens politique très aigu et sa capacité à agréger une sympathie autour d’elle, prolonge son ami et vice-président de la Métropole, Philippe Guelpa-Bonaro. Elle a dans son ADN du Cécile Duflot, du Marine Tondelier, du Mélanie Vogel… Si elle le souhaite, elle pourrait bien faire partie des plus grandes figures politiques françaises de la décennie à venir. »
Les compliments de la sorte à l’égard de Marie-Charlotte Garin – ou « MCG » comme elle est parfois surnommée chez les Verts – ne manquent pas dans les cercles écologistes. Six années plus tôt pourtant, la jeune élue semblait encore très loin du monde politique et du Palais Bourbon.
Arrivée à Lyon en 2018
Fraîchement diplômée de Sciences Po Paris et d’un master en développement international, elle s’installe à Lyon à la rentrée 2018, à 23 ans, pour rejoindre le siège de Handicap International. « J’arrive parce que j’ai une opportunité professionnelle exceptionnelle dans une ONG de solidarité internationale, mais je ne prévois pas de rester ici plus d’un an et demi. Je viens pour apprendre, monter en compétences et partir ailleurs ensuite. »
Après une enfance passée entre Chypre, la Normandie et l’Ardèche et ses études à Paris, Marie-Charlotte Garin découvre une ville qu’elle connaît mal. Elle poste ses premières photos lyonnaises sur Instagram depuis la terrasse des Muses avec vue sur l’Hôtel de Ville et participe, avec sa pancarte griffonnée sur un bout de carton, aux premières marches pour le climat.
« J’étais engagée dans l’associatif depuis Sciences Po, mais pas encore en politique. J’avais côtoyé des jeunes PS et UMP pendant mes études, et ce monde-là ne me donnait pas du tout envie. »
Le coup de fil à Grégory Doucet
Le déclic survient le 28 août 2018, jour de la démission surprise et spectaculaire de Nicolas Hulot sur les ondes de France Inter : « Quand j’entends son intervention, je me dis qu’il est temps de franchir le pas. » Elle contacte l’antenne locale d’EÉLV et tombe sur un certain Grégory Doucet, alors secrétaire de la section lyonnaise du parti.
« On comprend alors qu’on travaille tous les deux pour Handicap International, donc on se donne rendez-vous pour déjeuner. On parle d’engagement, de ma trajectoire, de mes doutes vis-à-vis des partis politiques… Puis il me propose de suivre la prochaine réunion du groupe local. »
La machine est lancée. La néo-militante s’engage dans la campagne des Européennes en 2019, puis lors des municipales de 2020 et décide, pendant cet entre-deux tours anormalement long, perturbé par le confinement, de prolonger son aventure lyonnaise plus longtemps que prévu.
Elle quitte Handicap International après la vague verte des municipales et métropolitaines et devient collaboratrice du groupe Les Écologistes à la Ville, puis directrice de cabinet de Nadine Georgel à la mairie du 5e arrondissement. « Cette arrivée en politique n’était pas du tout prévue. Je m’implique beaucoup dans ces nouvelles responsabilités à ce moment, mais je ne sais absolument pas ce que je vais faire ensuite. Je me laisse plutôt porter. »
Investie par la Nupes à 26 ans
La suite de l’histoire s’écrit quelques mois plus tard, avant les législatives de 2022. « Elle se demandait si elle était capable d’être candidate à la primaire interne du parti sur la 3e circonscription, renseigne le vice-président (et partenaire de footing) Philippe Guelpa-Bonaro. Avec la maire du 7e Fanny Dubot et d’autres, nous lui avons dit d’oser. Nous étions persuadés qu’elle avait tout pour être une très bonne candidate et une excellente députée. »
Après des semaines d’hésitation, Marie-Charlotte Garin se lance finalement dans la bataille et décroche, à la suite des accords nationaux, l’investiture de la Nupes dans cette 3e circonscription du Rhône.
« Je décide de me lancer parce que les jeunes, et notamment les jeunes femmes, ne sont pas assez représentées en politique alors qu’elles ont toute leur place dans ces institutions. J’ai la conviction que mon profil peut faire bouger les lignes. Mais je n’avais pas forcément anticipé tous les impacts que ça aurait sur ma vie ! »
Inconnue du grand public, la militante écoféministe affronte Sarah Peillon (référente départementale Renaissance) et Béatrice de Montille (conseillère municipale Les Républicains), deux candidates bien plus expérimentées et implantées localement.
« Bien sûr que j’ai la pression. Je sais que je n’ai pas l’expérience des femmes en face de moi, mais j’apporte ma voix, ma singularité, et surtout, j’assume de ne pas tout savoir. »
La campagne est saine, l’entente entre les trois favorites très cordiale. Portée par l’élan de la Nupes dans une circonscription sociologiquement très marquée à gauche, Marie-Charlotte Garin l’emporte au second tour et devient, à 26 ans, la plus jeune des députés écologistes.
« Elle ose aller sur des sujets complexes et importants »
Et la Lyonnaise capte vite la lumière et l’attention des médias nationaux. Pour son premier jour à l’Assemblée nationale, elle porte la fameuse robe à fleurs bleues de Cécile Duflot, objet de sifflets et remarques sexistes dans l’hémicycle en 2012, et signe des débuts remarqués. « C’était très bien vu. Ça lui a permis de s’installer tout de suite dans le paysage politique et de marquer les esprits », rappelle Thomas Dossus.
Après ce premier coup médiatique, l’élue, membre de la commission des affaires sociales, plonge tête baissée dans son mandat. « Devenir député, ça s’apprend. Il faut beaucoup bosser, observer, aller en commission… La première année, je refusais des demandes médias parce que j’estimais que ma place était en commission pour apprendre. »
Avec son mental d’acier forgé sur les tatamis (elle est ceinture noire de karaté), MCG prend vite ses marques dans l’hémicycle et bluffe ses nouvelles collègues du Palais Bourbon.
« Elle s’est très vite imposée par le sérieux de son travail et la qualité de ses interventions, juge Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée. Elle m’impressionne par sa finesse d’analyse, son aplomb et sa détermination. Surtout, elle ose aller sur des sujets complexes et importants. »
La construction d’une image médiatique
En deux ans de mandat, la députée lyonnaise est ainsi intervenue sur des dossiers comme les violences sexistes et sexuelles en politique, l’inscription de l’IVG dans la Constitution, l’instauration d’un congé menstruel de 13 jours par an, la situation des familles à la rue ou la définition pénale du viol.
« Ma boussole, c’est la préoccupation de la personne la plus vulnérable. C’est la règle cardinale que je m’applique sur tous les textes de loi que je vois passer. »
La patte MCG et la fraîcheur de cette nouvelle élue séduisent vite les médias nationaux. La jeune femme consolide alors son image médiatique. Elle apparaît en longueur dans un feuilleton-documentaire de France 2 et passe régulièrement sur les plateaux de BFM TV, LCP et franceinfo, avant de relayer méthodiquement chaque intervention sur son compte Instagram.
« Je m’efforce d’avoir la parole la plus juste possible, sans chercher l’attention ni la caricature. Je veux donner envie aux jeunes de s’impliquer, et cela passe aussi par cette visibilité médiatique. »
Le choc de la dissolution
Le 9 juin dernier, elle apprend la dissolution de l’Assemblée nationale, alors qu’elle participe au dépouillement d’un bureau de vote lyonnais : « Je suis d’abord choquée par l’irresponsabilité du Président. Dans un moment comme celui-ci, avec l’extrême droite au plus haut, on n’a pas peur pour son siège, on a surtout peur pour la démocratie. »
Elle regagne dans la soirée son QG, les militants, puis règle les derniers détails administratifs nécessaires pour repartir en campagne au plus vite. Deux jours plus tard, le mardi 11 juin, elle est debout sur un banc de la place Bahadourian, avec une enceinte à bout de souffle, devant plus de 300 personnes.
« Sur le plan personnel, j’ai plus d’expérience qu’en 2022, et avec l’équipe, on sait faire, donc on déroule. » En face, le parti présidentiel et le RN investissent de très jeunes candidates sans expérience.
Le match, déséquilibré, semble plié d’avance et s’arrête même dès le 30 juin : Marie-Charlotte Garin est la seule candidate des 14 circonscriptions du Rhône à être élue dès le premier tour. « Elle a gagné haut la main, mais je l’ai trouvée moins humble et plus arrogante en 2024 qu’en 2022, comme si elle avait cette fois-ci pris ses concurrentes de haut », souligne Béatrice de Montille, son adversaire lors de ces deux scrutins législatifs.
L’audace de la jeunesse
Seule députée sortante Nouveau Front populaire sur les quatre circonscriptions lyonnaises, l’élue écologiste s’est surtout muée en chef de file du mouvement d’union des gauches à Lyon.
« Elle était entourée de son équipe professionnalisée donc elle a pu nous aider sur des points logistiques et des conseils. Elle a été d’un appui très fort pour Boris (Tavernier) qui vivait sa première campagne. Avec Marie-Charlotte, il y a beaucoup de sororité. Ça tient aussi au fait que nous sommes toutes les deux de la même année », témoigne Anaïs Belouassa-Chérifi, élue dans la 1re circonscription du Rhône, et née en 1995 comme sa consœur écologiste.
La députée sortante s’est aussi distinguée lors du grand meeting commun organisé fin juin place Jean-Jaurès, avec les quatre candidats NFP. « Elle a pris la parole en dernier et le public a ovationné son discours. On a tous compris ce jour-là à quel point elle avait progressé. C’était flagrant, elle a changé de dimension », souligne le sénateur Thomas Dossus.
L’avis est aussi partagé par la figure écologiste Sandrine Rousseau, qui côtoie la Lyonnaise sur les bancs de l’Assemblée nationale depuis 2022 : « Elle a pris beaucoup d’assurance et d’épaisseur depuis ses débuts. Elle a l’audace de la jeunesse et a un avenir certain en politique. À elle maintenant de voir ce qu’elle souhaite faire. »
Popularité et influence grandissante à Lyon
Si certaines voix, à l’image de la macroniste Sarah Peillon, la jugent trop Parisienne et lui reprochent son manque de présence sur le terrain (« Elle est députée de Lyon comme elle pourrait être députée de Rouen ou Paris », dit-elle), d’autres lui prédisent au contraire un fabuleux destin entre Rhône et Saône.
« Il suffit de regarder le nombre de personnes qui font campagne derrière elle ou son nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux pour mesurer sa popularité et son influence grandissante ici, note un cadre écologiste. En plus d’être extrêmement talentueuse, elle incarne une autre façon de faire de la politique, très motivante, et ça parle à la nouvelle génération. »
De là à imaginer Marie-Charlotte Garin devenir un jour la première maire de Lyon ? « Il n’y a que les journalistes lyonnais qui me posent cette question (rires). Quand on retrace mon parcours, on voit que j’ai pris des chemins que je n’avais pas vraiment prévu de prendre. Donc tout est ouvert, même si ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. »
On lui rappelle alors, fruit d’un heureux hasard, que sa toute première photo lyonnaise postée sur ses réseaux sociaux en 2018, prise depuis la terrasse des Muses au sommet de l’Opéra, montrait justement… la cour de l’Hôtel de Ville.
La banderole de la discorde
Dans une vidéo postée mi-juillet, Marie-Charlotte Garin dévoile les mots d’encouragements, à caractère très politique, d’élèves de primaire sur une banderole géante remise par leur institutrice. La classe politique s’offusque. « C’est grave, c’est une faute politique. L’école ne doit pas former des militants en herbe », grogne Béatrice de Montille. « J’entends la critique, mais j’ai trouvé certaines accusations très exagérées. Je pense simplement que ces enfants étaient inquiets du contexte politique, répond la députée. Le rectorat fera son enquête et dira s’il y a une faute ou non de l’enseignante. Je continuerai de faire de mon côté mon travail d’éducation à la citoyenneté dans les classes des écoles, collèges et lycées. Je ne fais pas de la politique pour blesser des gens, ni pour diviser, donc j’assume le fait d’avoir retiré cette vidéo. »
Merci d’avoir lu cet article ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un émail à [email protected]. Merci beaucoup !